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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Samedi 18 mai 6 18 /05 /Mai 15:45

StefanStefan a ce qu'on appelle une gueule. Un visage oblique et un crâne rasé, des paupières lourdes recouvrant de larges iris noirs, un nez fort, une lèvre inférieure avançant sur sa bouche fine.

Sa peau olivâtre trahit un métissage, la pâle Angleterre mêlée du sombre Trinidad et Tobago. Lisse, follement soyeuse, une peau d'Asiatique pour un corps de demi-Noir.

Grand et massif, plus épais à la taille, le corps de Stefan s'habille d'un tatouage japonais. Sur sa poitrine, un duo de carpes aux nageoires transformées en yeux pâles.

Des yeux qui me transpercent alors que je le déshabille.


À 17 ans j'aurais été folle de Stefan.

Folle de sa tranquille assurance, de ses airs de truand des faubourgs, de sa voix douce et de ses "non" très anglais.

Folle de ce mystère qu'il tente de dissiper mais qui le pare d'une aura de soufre.

Folle de ses secrets alors qu'il jure que de secrets, il n'en a plus. Qu'il s'est rangé des voitures, qu'il aspire à une vie calme. Son but ? Atteindre un certain chiffre pour ne plus travailler du tout, s'acheter un voilier et larguer les amarres. Mais en attendant trimer dur, priorité boulot en court-circuitant le reste.

Il faut dire que les chiffres effraient moins Stefan que les sentiments.

Depuis une rupture catastrophique, la perte de contrôle l'effarouche, l'engagement l'angoisse, l'ombre d'un possible amour le terrorise. Lorsqu'une relation s'installe, Stefan s'enfuit.

À 17 ans j'aurais sûrement relevé ce défi. Voulu réparer - fût-ce contre son gré - cet homme cabossé, lui montrer que toutes les femmes ne sont pas lâches ni cruelles.

À 17 ans, oui...

 

Notre rencontre eut comme beaucoup d'autres lieu sur un hasard. Quoique Stefan fût mon voisin, je ne l'avais jamais croisé. Mais ce soir-là, Bertille quittait notre studio de Bangkok. 2 semaines, 14 jours, 336 heures à vivre sous le même toit, à respirer le même air et à dormir dans le même lit entre des va-et vient à l'hôpital.

J'accompagnai mon amie à l'entrée de la résidence. Le gardien stoppa un taxi en maraude. Par chance, celui-ci accepta de mettre le compteur en marche.

Une fois les valises chargées, je serrais Bertille contre moi.

- Bon voyage... et à très vite !

Au même instant, reconnaissable au chauffeur en gilet orange, une moto-taxi déboula.

Le passager enleva son casque, sauta à terre, sourit à la ronde et resta planté à nous observer, elle qui montait en voiture et moi qui lui lançais des au revoir.

Avant de claquer la portière, Bertille me souffla la mine complice :

- Lui, il est pour toi !

Je ne l'entendis pas. Je pensais à autre chose. Sans doute à cette première soirée sans elle. Étrange de partager autant avec une seule personne pour se retrouver finalement seule, transition du plein au vide toujours délicate à négocier.

Oh, bien sûr, être rendue à moi-même me convenait. Mais que cet entre-deux était bizarre !


Stefan 2À l'entrée de la résidence mon tee-shirt trop rouge électrisait la nuit. Ma jupe battait mes mollets. Trop serrées, les brides de mes sandales m'écorchaient les talons.

Accoudé à la grille l'homme était toujours là, immobile, à m'observer. Je feignis de ne pas le voir pour mieux lui tourner le dos.

Lui ne l'entendait pas de cette oreille.

Aussi lâcha-t-il, très vite :

- Are you Russian ?

Je souris. Yeux bleus, cheveux blonds et hautes pommettes, cette question-là me poursuivait sur toute la planète.

- No, sorry. French.

L'homme dégaina alors une phrase que j'ai oubliée. Sûrement en français, puisqu'il avait vécu à Cannes. Aux Philippines aussi.

Déjà deux points communs.

Trois en comptant Bangkok.

Je me souviens, en revanche, de mon équilibre précaire sur un seul pied. De mes poignets qui battirent l'air et d'une paume qui s'avança pour me rattraper au cas où. D'une question "are you alone here ?" puis d'une invitation à boire à verre.

Ce soir si j'étais libre.

Mon diable sur l'épaule ricana quelque chose à propos de ma solitude. Il se moquait, je crois. De moi et de mon impression d'être parfois si seule, comme abandonnée.

Le temps d'une éclipse un souvenir de mon père s'interposa :

- Et tu voudrais, dis-tu, être vraiment belle ? Mais ma fille, combien d'hommes te disent non quand tu veux qu'ils te disent oui ?

Mon silence renfrogné avait répondu à ma place.

Ce soir-là, si je le voulais, ma solitude serait de très courte durée.

Trop courte, même.

Je m'inventai un travail à finir.

Stefan s'inclina, nota mon numéro et promis de m'appeler. Ce qu'il fit dès le matin tandis que je dormais encore.

 

 

La suite ici.


Photo : Chas Ray Krider. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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