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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Jeudi 14 mars 4 14 /03 /Mars 17:40

      Cebu City, mardi 12 mars 2013.

 

 

EscortAyleen Guindelcor dit en riant que je suis folle. Et encore ne sait-elle rien de ma nuit.

Sinon elle n'aurait plus ri du tout.

Et m'aurait traitée de folle.

Pour de bon, cette fois.


Voilà longtemps que le sujet de la prostitution masculine aux Philippines m'intrigue. Que je souhaite m'y intéresser de près et écrire sur le sujet.

Mon séjour obligé à Cebu est un déclencheur : deux nuits à l'hôtel, aucun programme et une chambre en solo, des balades le nez au vent, un brin d'audace, un de curiosité, un de défi, un d'envie.

Non, deux d'envie.

Ce soir, c'est décidé, promis-juré de moi à moi, je m'aventure dans un club où les hommes sont disponibles.

Contre rémunération, of course.

 

Je suis aussi lasse d'imaginer que de parler à la ronde de ce projet, déclenchant soit des gloussements gênés, soit une stupéfaction choquée, soit un intérêt qui se heurte vite à mon ignorance.

Comment se passent vraiment ces rencontres ?

J'ai bien des idées, des hypothèses, des ouï-dire, des récits de bars à champagne* émanant d'hôtesses et de clients. Rien de concret, cependant. Rien de vécu.

Ce sont ces manques que je veux combler ce soir. Même si, je le suppose, la prostitution masculine ne diffère guère de son pendant féminin.

Peu importe.

Je veux les contempler, ces hommes. Apercevoir leurs client(e)s dans la pénombre complice de la salle. Des positions peut-être lascives, des mains peut-être hardies, des baisers sans doute profonds, des étreintes sûrement esquissées pour des accords conclus.

Une liberté sexuelle à l'oeuvre aux prudes Philippines, en somme.

Je veux sentir l'ambiance du lieu. La moiteur, la chaleur, le stupre. Ou à l'opposé la retenue hyprocrite, cette respectabilité de façade épousant l'équation "ce qu'on ne montre pas n'existe pas".

Je veux ouvrir grand mes yeux et mes oreilles. Scruter, m'imprégner, communiquer.

Je veux rire, m'amuser, profiter d'une soirée en forme de bascule. En Thaïlande, en Inde, en Indonésie, aux Philippines, au Laos, au Cambodge, en France, en Hollande... Ce sont toujours, toujours les hommes que j'ai vus choisir une femme.

Pourquoi moi, femme, n'aurais-je pas le droit de choisir un homme ?

 

Escort 2terJe ne me fixe aucun couvre-feu, aucune limite. Outre le respect des gens se trouvant là, la seule sera celle de mon bien-être.

Si je me sens mal, je m'en vais.

Si j'ai envie de payer pour un homme, je paye.

À la condition expresse d'être librement choisie, la prostitution ne me pose ni problème ni dilemme de conscience.

Fut un temps, j'avais - comme tout le monde ? - une opinion sur le sujet. Plutôt défavorable, l'opinion, à base d'idées préconçues et de morale, un peu.

J'avais ce conformisme du prêt-à-penser qui m'agace, conjoint à la volonté de m'en défaire.

Alors j'ai lu, échangé, écouté, rencontré des clients et des filles en activité. Beaucoup appris, beaucoup questionné, beaucoup réfléchi. Remis mes certitudes en cause, entièrement revu mes jugements, affiné mon regard.

Tant et si bien que j'ai songé à moi-même sauter le pas.

Sacré renversement.


Mais pour l'heure se pose une question aussi urgente que cruciale : où me rendre ?

Quels - rares - établissements emploient des escorts disponibles pour des femmes ? Ou pour des hommes et des femmes ?

Quand tu ne sais pas, demande à celui qui sait... et celui-là est tout trouvé : un taxi. Eux seuls connaissent les rues, les bars, les clubs comme leur poche.

Quant aux demandes étranges, ils en entendent chaque jour.

Magnéto arrière, Cebu deux ans plus tôt.

Je glousse encore du quiproquo avec mon chauffeur :

- Un bar à putes ? Mais il y en a partout, Mââm !

De son étonnement lorsque j'avais précisé :

- Non, pas des "putes" comme vous dites, mais des gigolos, please.

De son regard insistant dans le rétroviseur. Muet, perplexe à détailler mon visage, mon cou, ma poitrine, ma robe.

- But you don't have to pay, Mââm !

De mon rire à sa réponse. Je n'ai pas besoin de payer, certes.

Mais là n'est pas la question.

La question, c'est : où me rendre ?

 

 

Escort 2bisMon premier chauffeur de la journée n'est pas sûr, dit-il. Mais en insistant, il le devient et finit par lâcher un nom, puis deux.

Je les répète :

- Trasan à Lapu-Lapu, Naa Biguitor à Mandaue.

Naa en Bisayan* signifie "il y a".

Mais biguitor ?

Des hommes, du plaisir, du sexe ?

Mystère.

Je descends de la voiture sans demander.


Autre taxi, même question. À ce jeu-là mieux vaut croiser les sources, recouper les informations.

- El Navigator, Mââm ! s'exclame aussitôt Joel, le conducteur.

Un club chic, affirme-t-il. Pour femmes, oui, et homosexuels. Avec de beaux gars musclés. Et un show dont il ignore le contenu.

Ravie de tomber sur un interlocuteur aussi coopératif, je pousse mon avantage :

Quel âge ont en moyenne les clientes ?

Les transactions s'opèrent-elles en secret ?

Combien coûte un escort ?

Les détails, Joel les ignore. Tout dépend de l'escort, probablement.

Il sait en revanche que ceux des clubs sont plus chers que les call boys qui battent le pavé, à l'affût des voitures qui ralentissent. Une vitre baissée, un échange de regard, un prix.

Marché scellé.

Les rues des tapins, il peut m'y emmener, mais pas aujourd'hui. Elles ne s'éveillent qu'après vingt heures et non en fin d'après-midi. Et après cette course, le taxi rentre au garage.

Plus loin, Joel me désigne néanmoins un carrefour :

- C'est ici. Là-bas aussi, dans la perpendiculaire.

Je le remercie. Non sans objecter qu'à mon avis, peu de femmes ont recours aux call boys. Sûrement préfèrent-elles un minimum de confort. Pas du romantisme, non, mais pas la sauvette clandestine d'un trottoir non plus.

Sans compter qu'un espace public garantit leur sécurité. Si les risques que courent les garçons sont évidents, ceux que prennent les clientes ne sont pas à négliger.

N'importe qui peut monter dans la voiture, les menacer et les brutaliser, pas vrai ?

Le club permet de nouer un premier contact, de discuter et sentir l'autre pour peut-être se raviser. Sans drame ni scène, les vigiles armés y veillent.

Joel approuve.


Escort 4Mon chauffeur sait aussi que pour repartir avec un escort, il faut s'acquitter d'un bar fine*.

Autrement dit, d'une somme fixe qui dédommage le club de l'absence d'un employé (ou correspond à la mise en relation prostitué(e)/client ?).

La rémunération pour la nuit se discute ensuite.

J'acquiesce. Le système est le même qu'en Thaïlande.

- El Navigator, very good, Mââm !

Soudain j'éclate de rire.

Naa BiguitorNavigator...

Il s'agit sans l'ombre d'un doute du même lieu. Seul l'accent visayan en a déformé le nom.

Deux chauffeurs, deux réponses identiques.

Je tiens mon endroit.

Ce soir, donc, c'est décidé, promis-juré, cap sur El Navigator.

 


La suite bientôt !

 

*Bars à champagne : bars employant des hôtesses poussant le client à consommer, souvent contre - de menues - faveurs. Afin de ne pas être accusé de proxénétisme (banni en France alors que la prostitution y est légale), l'établissement interdit en général les rapports sexuels dans son enceinte. Hôtesses et clients peuvent en revanche convenir d'un rendez-vous à l'extérieur.

*Visayan (ou Bisayan) : langue parlée dans les Visayas. Les deux langues officielles des Philippines sont l'anglais et le tagalog, totalement différent du Visayan. La quasi totalité des habitants des Visayas le maîtrise également.

*Fine ("faillne") : amende en anglais.

 

Photos : Ellen Von Unwerth, Eugène Atget, René Maltête, Weegee.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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