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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

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  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Mardi 24 novembre 2 24 /11 /Nov 00:25
Quand j'entre, l'odeur, toujours. Âcre et rance, lourde de merde et d'urine. Un remugle de mort qui donne envie aux vivants de vomir. Comme toujours, les stores sont à demi tirés, les couloirs propres, les chambres aussi.
J'avance.

Dans la salle commune, je les vois, disposées en rond autour de la grande table, comme pour un colloque. C'est dimanche mais le jour importe peu. Chaque après-midi se tient cette réunion de fantômes
immobiles, de corps cassés sur leur fauteuil, d'esprits brisés battant la campagne ou spiralant à vide.
Les pensionnaires sont là sans l'être, là parce qu'on les a roulées ici.

Certaines ont les paupières fermées. Elle semblent dormir et pourtant, non. Aucun sommeil ne les berce. C'est leur hébétude, tendue sur elles comme un drap, qui les retient prisonnières.
D'autres ont les yeux ouverts, mais elles ne regardent rien hormis le mur blanc. Ses fissures, elles doivent à présent les connaître par cœur. Les retrouver jour après jour comme de vieilles amies d'errance. Abîmé le mur, déglinguées les mamies.

Elles sont dix. Dix qui ne parlent pas. Une musique de bal musette, poussée à fond les baffles, emplit le silence. L'air entraînant de l'accordéon résonne en une ultime
  cruauté.
Ses accords doivent leur parler de ces soirées d'insouciance, loin, si loin dans le temps, alors que jeunes filles, elles virevoltaient au bras d'un cavalier.
Ils doivent leur évoquer les dancings, le vent piquant qui rosissait leurs joues, l'odeur des herbes foulées, des braises dans la cheminée. Toutes ces odeurs de leur jeunesse alors qu'elles sont maintenant grabataires. 

Parmi elles, une dame au visage taillé au couteau, r
ides obliques et regard fier. Emmitouflée dans un plaid noir, elle ressemble à une veuve corse couvant une colère impossible à dire. Son visage fermé affirme qu'elle ignore ce qu'elle fiche ici. Qu'on a dû l'y traîner par erreur ou l'y abandonner par traîtrise. Murée en elle-même comme dans une tombe, elle paraît mépriser ces murs, cette maison et ses pensionnaires.

Une autre encore, si barbue qu'on dirait un homme. Parfois elle s'anime pour se tourner vers sa voisine. Pliée à angle droit sur son fauteuil, le cou avachi sur le sternum, celle-ci a posé ses bras sur la table. Pas au hasard mais selon un écartement précis dont elle seule connaît l'importance. Prenant appui sur ses mains, elle soulève ses os en un bond dérisoire. Attend dix secondes et recommence.
Et lentement le temps s'écoule.

Une autre, postée en bout de table, a un nez remarquable dont le volume lui mange le visage. On ne l'a pas peignée ce matin. À quoi bon ? Elle n'a presque plus de cheveux, juste des touffes semées sur son crâne blanc.
Mais une langue, oui, elle a.
"À boire !"
"Je veux pisser !"
"Bougez-moi d'ici !"

Ni merci ni s'il vous plaît, juste des ordres en aboiements.

Une autre erre d'une démarche mal assurée entre les fauteuils. Ses mèches pendent en touffes grasses, sa jupe est mal reboutonnée, son gilet constellé de taches. Désorientée, inquiète, elle a brusquement un hoquet.
"Laissez-moi partir...
supplie-t-elle. J'en ai assez, je n'en peux plus !"
Un sanglot la secoue. Elle a
quatre-vingt dix ans et l'impuissance d'une petite fille dévastée par un trop gros chagrin.
- Madame Foix, venez avec moi !
À l'appel de son nom, une pensionnaire lève le menton.
- C'est vous qui parlez, Madame Clotte ?
- Oui ! Venez avec moi, s'il vous plaît !
- Venir où ?

Madame Clotte s'arrête, indécise.
Où ? Elle ne sait pas.
Ailleurs, en tout cas, de l'autre côté de toutes ces portes verrouillées.

Madame Foix est accommodante. Elle déplie
péniblement sa carcasse d'oiseau frêle, s'agrippe à son déambulateur et esquisse quelques enjambées.
- Vous arrivez, à la fin ?! s'impatiente l'autre.
Madame Foix, n'aimant pas qu'on la commande de la sorte, lâche :
- Puisque vous êtes si pressée, venez donc me chercher ! Vous le savez bien, que je suis aveugle !
Les deux femmes ne sont séparées que de quelques mètres. Un quart d'heure durant, elles se tourneront autour,
abîmées, titubantes, en une partie de colin-maillard au ralenti.
Puis Madame Clotte oubliera qu'elle veut partir. Oubliera Madame Foix qui, elle, n'aura pas oublié.
- Mais où êtes-vous ? Mais où va-t-on, Madame Clotte ? la questionnera-t-elle sans la voir ni obtenir de réponse.
De guerre lasse, elle finira par se rasseoir.

Une autre a un air de chouette aux aguets, des iris verts grossis par ses lunettes. Voilà un quart d'heure qu'elle m'observe sans ciller.
Je lui souris. Elle a un mouvement de recul. Un rictus de terreur comme si j'étais capable de lui faire du mal, de traverser cette pièce pour la jeter à terre.
Soudain, j'ai conscience de ma force. Moi, je peux bondir de mon siège. Soulever à la fois un couteau et une assiette. Débloquer les freins d'un fauteuil et le pousser jusqu'au bout du couloir sans même être essoufflée.

Une autre, la chevelure en houppette blanche et frisée, a les yeux perpétuellement embués.
On dirait qu'elle ne cesse de pleurer des larmes qui refusent de couler. C'est la seule à prendre, de temps à autre pour tromper l'ennui, un des rares magazines posés sur la table.
Elle ne les lit pas, elle les feuillette comme un enfant qui regarderait des images.

Une autre est couchée de biais sur son fauteuil. Menu pantin désarticulé à la tête pendant sur l'épaule, le menton traversé d'un filet de bave.
Pas un de ses muscles ne bouge ni ne tressaille. Sa peau a la pâleur d'un suaire.
Je jurerais qu'elle est déjà morte.

Une autre, assise en retrait, touche ses lèvres. Puis le bord de la table. Puis ses lèvres. Puis le bord de la table. On croirait que, morte de faim, elle grappille des miettes invisibles.
Lorsque je lui tendrai un verre d'eau, elle le boira cul sec. Le reposera. Le reportera à ses lèvres.
Elle me fait penser aux
chevaux d'écurie atteints du tic de l'ours. Agonisant d'ennui, ils balancent toute la journée leur encolure de gauche à droite puis de droite à gauche.

Il reste une pensionnaire. La dernière. Celle que je suis venue voir.
Ma grand-mère.


Dans le train, j'ai écouté les trois volets de l'émission de Daniel Mermet, Là-bas si j'y suis.
Son titre, c'est
Les Vieux.
Son sujet, les maltraitances infligées aux personnes âgées en maisons de retraite.

Une fois arrivée, j'ai écouté cette chanson.
Par Chut ! - Publié dans : Elles...
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