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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Mercredi 16 janvier 3 16 /01 /Jan 17:46

 

Oulan Bator, Mongolie, 15-18 juillet 2012.

 

 

AyalLa chambre est froide, si froide qu'elle a le souffle glacé des caveaux. Et humide, si humide, que les gouttes suintant des tuyaux maculent le plancher.

Bertille, malade, dort enroulée dans les couvertures.

Moi, je tiens mon carnet de bord dans la salle commune. Mon poignet, mes doigts et mes épaules sont douloureux, conséquence des pages noircies au fil des heures.

Voilà de toute façon des semaines que chaque journée apporte son lot de douleurs. Il y a, surtout, cette fatigue qui depuis notre raid à cheval ne me lâche plus, s'interposant tel une brume opaque entre le monde et mes yeux.

J'ai la conscience aiguë de ne pas être à ma place dans ce pays d'étendues infinies et de nuits glaciales. Dureté des conditions de vie, du climat, des Mongols à l'hospitalité pourtant tant vantée... La douceur philippine me semble un rêve aussi lointain qu'inaccessible.


De l'autre côté de la table, penchée sur son ordinateur, écouteurs vissés aux oreilles, une Hollandaise aux strictes lunettes rectangulaires, journaliste venue réaliser un reportage sur le festival du Naadam*.

Autour d'elle, des touristes qui discutent. Tous sont de passage, la plupart prépare un trip dans la steppe. Il y a des Français, des Scandinaves, quelques anglophones et beaucoup d'Israéliens. Allez savoir pourquoi, eux n'ont pas besoin de visa pour entrer en Mongolie.

Parmi eux, lui qui vient juste d'arriver.

Lui si brun et aux cheveux si drus que je le prends pour un méridional. Un Espagnol, peut-être.

Lui et sa langue gutturale qui m'évoque sur le champ Noam.

Lui qui pousse le portail de la guesthouse alors qu'appuyée à la rambarde de la terrasse, les os réchauffés par le soleil, je fume en écrivant.

Lui qui me gratifie d'un sourire si large et chaleureux que mon stylo, comme saisi, s'arrête sur la feuille. Ce sourire qui, plus tard, fera apprécier à Bertille la beauté de cet homme, sa beauté et son humour, sa simplicité, sa bienveillance.

Lui qui, une heure plus tard, revient se présenter d'un "Ayal" et d'une paume tendue.

Lui qui allume à son tour une cigarette et me présente Nicolas, un Français croisé dans l'avion.

Perdu et fébrile, le Nicolas. Le corps d'un Schwarzie accro au body-building mais le manque de confiance d'un garçonnet. Bourré d'envies mais démuni de temps, tournant dans la guesthouse comme un lion en cage.

- Je ne suis pas sûr de vouloir voyager avec lui, glisse Ayal. Il me stresse...

 

Ayal 2En attendant, le duo partage une des yourtes* plantées sur le toit de la bâtisse.

Ayal souhaite s'en aller dès le lendemain mais son sac s'est perdu entre deux avions. Ses affaires se résument, du coup, à celles qu'il porte sur lui.

Problématique pour affronter un climat froid et dommageable pour ses vacances : outre des vêtements chauds, ses bagages contiennent le nécessaire de camping indispensable à son périple en steppe.

Boro, un guide rencontré lors d'un précédent voyage, doit l'accompagner.

- Je veux absolument partir, dit Ayal. Mais comment ? Et avec quoi ? Je n'ai que dix jours à passer ici, impossible d'attendre mon sac une semaine... Il faudrait que je rachète tout !

Ce qui, au vu des prix mongols, lui coûterait une petite fortune.


Aussitôt l'idée germe : ce vendredi, Bertille et moi serons à Beijing. Nous n'avons plus l'usage de nos pulls chauds, de nos jeans trop grands, de nos bonnets polaires ni d'une foule d'articles qu'au pire, nous rachèterons en Chine à prix modique.

- Bon, OK, je suis une fille... ris-je en regardant mes seins. Mais quelques-unes de mes fringues peuvent quand même te convenir. Essaye-les. Si elles te vont, tu les prends !

Ayal se récrie en s'étonnant de ma générosité.

Je hausse les épaules, évoque la solidarité entre voyageurs, lui raconte comment certains, de l'Inde du Nord à la Malaisie, m'ont tirée d'un mauvais pas, lui affirme que les biens sont faits pour circuler et non être gardés. Que, de toute façon, leur absence ne me privera pas.

Puisque lui en a besoin, autant qu'il s'en serve, non ?

- D'accord... lâche Ayal, vaincu.

Nous nous observons en pouffant.

Un mètre soixante-trois pour moi, un bon mètre quatre-vingt pour lui. Un corps costaud, massif, un peu lourd, tout en muscles et puissance contre ma corpulence de crevette. Malgré les kilos gagnés en Mongolie, ma silhouette n'approche ni de près ni de loin la sienne.

Je parie en silence que rien ne lui ira. Mes fringues les plus larges à la rigueur, et encore...

 

Ayal me suit dans la chambre-caveau où Bertille, enthousiaste, se met à vider son sac.

- Essaye ça !

- Ça aussi !

Je propose à notre invité d'utiliser la salle de bains pour se changer. Il décline mon offre et, sans gêne apparente, enlève ses chaussures, sa chemise, son pantalon.

En un tournemain le voilà face à nous en caleçon et chaussettes.

 

Ayal 3Pulls, débardeurs et tee-shirt enveloppent bientôt ses épaules d'un patchwork criard. La plupart, trop petits, découvrent son ventre, s'arrêtent à mi-bras, l'étranglent et moulent sa poitrine de façon ridicule.

À chaque habit à peu près à sa taille, Ayal s'exclame :

- Great ! I take it, thank you, girls !

Me retenant de glousser devant cet homme si viril soudain changé en porte-manteau féminin, je lui propose de se regarder d'abord dans une glace.

 

Dans cette chambre en plein bidonville d'Oulan Bator, j'ai l'impression totalement décalée de revivre mes folies parisiennes, d'obliger un soumis à se travestir et de jouir de sa surprise, de son ravissement ou de sa volonté pliant devant la mienne.

Le summum de l'étrangeté est atteint lorsqu'Ayal s'étire, buste comprimé par trois tee-shirts vert, rose et jaune, à manches courtes et longues, fesses et cuisses serrées par un jeans lui arrivant aux chevilles.

Fiché en travers des lèvres, cet immense sourire qui le quitte rarement.

Perfect !

J'objecte qu'à peine capable de marcher, il ne pourra pas enfourcher son cheval.

No, no, it's OK ! insiste-t-il en esquissant trois petits pas.

- Le tissu se détendra... encourage Bertille.

Je l'espère. Pas le choix, de toute façon.

Une gourde incassable, une lampe de poche à dynamo, un couteau suisse, une serviette, une écharpe et des gants rejoignent le paquet d'affaires. Pas mal, mais pas de quoi affronter les nuits glaciales non plus...

Bertille et moi avons alors la même idée au même moment.

 

Une dhel était de notre périple. Manteau traditionnel mongol taillé dans un lourd tissu pour l'hiver, plus léger pour l'été, elle couvre le cou, les jambes, le dos des mains et se ferme par une large bande tissu roulée autour de la taille. Le pan ainsi ménagé forme une large poche sur la poitrine.

Mon amie et moi surnommions celle de notre guide "le trou noir" : tout ce qui l'intéressait, tout ce que nous lui donnions y disparaissait pour ne jamais en ressortir.

La dhel est sans conteste le vêtement idéal pour la steppe. Elle tient chaud, sert de couverture, d'oreiller et de rempart à l'intimité : se soulager sur un terrain invariablement plat, c'est forcément exhiber ses fesses, que seule une dhel peut dérober aux regards.

Précieuse alliée de notre aventure, la nôtre fut donnée à Bertille avec mépris :

- Tiens, prends ça pour aller pisser la nuit !

Lancée d'un revers de poignet, elle atterrit sur nos sacs.

 

L'homme de la yourte 3De retour à Oulan Bator, nous renonçâmes à la garder. Nos bagages étaient pleins et la dhel trop lourde, trop encombrante, parfaitement inutile sous le climat philippin.

Nous cherchions quelqu'un à qui l'offrir.

Quelqu'un qui en aurait vraiment besoin et apprécierait le cadeau à sa juste valeur.

Ce quelqu'un, nous venons de le trouver.

No, girls ! No way ! proteste Ayal.

Mais après l'avoir essayée, il doit se rendre à l'évidence : cette dhel noire, marron et or lui sera indispensable.

Touché, il affirme que nous lui sauvions son voyage.

Et nous, que personne d'autre que lui ne pouvait mieux recevoir ce présent.

C'est toujours émouvant lorsqu'un objet, a fortiori très particulier, trouve son exacte destination.

 

 

La suite ici.

 

*Naadam : fête nationale se tenant en juillet. Elle donne lieu à des courses de chevaux, des compétitions de lutte et de tir à l'arc (les 3 sports traditionnels mongols).

*Yourte : habitation traditionnelle des nomades. Il s'agit d'une tente ronde démontable munie d'un poêle, de lits et de quelques meubles. 

 

Photos : 1re et 3e : William Eggleston ;

2e : Greg Girard, 4e : William Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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