Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Il m'a dit que dès la première fois qu'il m'avait vue, il avait eu envie de moi. Qu'il y pensait depuis deux ans. Que ça lui avait manqué.
Aussitôt je me demandai comment ce qu'on n'a jamais connu peut nous manquer.
Un être qui est loin nous manque.
Un être qu'on a perdu nous manque.
Mais un désir physique jamais abouti peut-il nous manquer ?
Erwald avait de quoi être un peu perdu, sans doute. Jusqu'alors je lui avais dit non, préférant repousser d'un sourire ou d'un silence ses avances directes, voilées ou maladroites.
Mais hier, j'ignore pourquoi, ce fut oui.
Pourquoi quelqu'un qui ne nous attirait pas se met un beau jour à nous plaire ?
Là, c'est moi qui baignais dans la confusion.
Après une journée en sa compagnie, j'avais invité Erwald à la maison. Comme une conclusion à nos rires, nos discussions, notre bien-être. Comme un remerciement, aussi, pour son aide ayant transformé une fastidieuse commande de travail en pure rigolade créatrice.
Nous papotions face à face sur la terrasse. C'était déjà le milieu de la nuit mais Erwald n'avait pris aucune réelle initiative. Oh, ses pieds touchaient bien les miens, parfois, et prolongeaient plus que nécessaire ce contact faussement fortuit. Ses doigts venaient bien, souvent, se poser sur mon bras, mes épaules ou mon cou pour souligner ses propos. Mais toujours pieds et doigts finissaient par se retirer, peut-être déçus de ne pas recevoir de réciproque.
En effet je ne l'aidais guère. Je l'écoutais discourir en inclinant la tête, glissant de temps à autre un "yes", "for sure", me demandant si cet homme oserait enfin un pas ou quitterait, de guerre lasse, la villa. Comme il y était venu, sans connaître le goût de mes lèvres.
En chemin je perdis le fil de ses mots. La fatigue pesait sur mes paupières. J'étouffai un bâillement discret.
- Je vois que tu es lasse. Tes yeux ne brillent plus. Dommage... Ils sont si beaux quand ils pétillent.
- Mmmh, il est tard, fis-je en m'étirant.
Encore un peu et je donnerais à Erwald son congé pour dormir.
Il le comprit sûrement. Et sûrement par réaction face à cet inévitable, encercla mon genou gauche de sa paume. La contracta brusquement.
Je n'esquissai aucun geste, à peine un soubresaut nerveux.
- Étrange, dit-il. Cette zone est une zone réflexe... Tu aurais dû sursauter. Au moins.
Intrigué, il tenta l'expérience du côté droit sans obtenir plus de succès. Il réessaya à gauche, à droite, à gauche encore.
Aussi amusée qu'inerte, je l'observai. Lui et ses imposantes mains en battoirs, son visage en lame de couteau, son nez court et son menton fort, ses yeux sombres aux prunelles obstinées, presque butées.
Erwald a ce qu'on appelle une gueule, et cette gueule était penchée sur mes jambes, penchée et acharnée à tirer d'elles l'ombre d'une réaction.
- Rien, tu ne sens toujours rien ? questionna-t-il.
- Not really.
- Well...
Soudain il plaqua sa main sur mon sexe.
Je bondis de surprise, soufflée par son brutal culot, cette foudroyante initiative sans prémisses.
- Ah ! triompha-t-il.
Sur ce "ah" j'emprisonnai sa main, m'attirant un sourire presque étonné.
- Aucune idée de comment tu réagirais... Feindrais-tu de ne rien remarquer ? Garderais-tu ton air sérieux ? Te reculerais-tu offensée ? Impossible de deviner...
- Et bien maintenant, tu sais ! dis-je en me trémoussant pour rapprocher ma chaise, cuisses en étau afin de ne pas perdre sa main.
C'est Erwald qui l'ôta pour la faufiler sous mon sarouel, effleurant ma cheville, remontant le long de mon mollet, caressant ma cuisse et s'arrêtant sur ma chatte.
Il se réjouit de la sentir vibrante et, surtout, nue.
À dessein je ne portais pas de culotte.
J'appuyai mes pieds sur ses cuisses. Les pétris de mes orteils. M'arrêtais et reprenais mon massage par à-coups, prunelles insolemment rivées aux siennes. Plus bas se dessinait une éminence ne cessant de s'ériger. La verge d'Erwan prisonnière du tissu qui la retenait, brûlant de s'en échapper pour se ficher en moi.
L'aveu, l'urgence de ce désir me troublèrent.
J'aurais pu, là, de suite, délivrer sa chair gonflée, mais y renonçai. Je voulais encore étirer l'instant, encore me repaître de l'impatience de mon futur amant, encore m'abreuver à ses yeux.
Et jouer, surtout. Jouer avec son envie, m'en jouer aussi. La multiplier, l'étendre, la fortifier pour majorer son plaisir, le célébrer en l'amenant au bord de la défaite. Le contraindre à gémir, à supplier peut-être. L'inciter à m'arracher de mon siège et à déchirer mes habits. Le provoquer afin de l'acculer à la lisière de ce qui ne se fait pas, madame.
En rire parce qu'on l'a fait, monsieur. En se fichant bien de ce qui d'habitude ne se fait pas.
J'écrasai sa verge du pied, la contraignit à se rabattre sur son ventre. Erwald lâcha une brève plainte, plongea sur mes genoux serrés. S'y cala, s'y abandonna, y roula comme bercé par une forte houle, un vertige qui tout entier le ployait, ému, frissonnant, alors que ses doigts fouillaient mon sexe. Avec avidité et sans douceur, mâle autorité contredite par la ligne tremblante de ses épaules.
J'enfouis mes doigts dans ses cheveux, forçant sa tête à osciller contre mes jambes, la relevai pour murmurer :
- Let's go inside...
Nous entrâmes au salon. Je fermai la baie vitrée, tirai les rideaux. Peu de risque qu'à cette heure les voisins nous surprennent, mais cette probabilité, même faible, me déplaisait.
- Where ? s'enquit Erwald.
Je me dirigeai vers la grande chambre avant de changer d'avis. M'arrêtai pour appuyer mes coudes au mur, jambes tendues, échine pliée.
Tiré avec vigueur, mon sarouel atterrit en boule au sol, bientôt suivis de mon débardeur et de mon soutien-gorge.
Zip de fermeture éclair, froissements d'habits, légers chocs mats sur le carrelage... J'entendis Erwald se déshabiller dans mon dos. Faillis protester que là était ma tâche, mon rôle, ma joie et mon plaisir.
Mettre un homme nu, à nu, a fortiori une première fois m'enivre, m'émeut, m'excite.
Faire apparaître son corps vite ou lentement, d'un coup ou portion après portion pour enfin le dévoiler en entier, différent de ce que j'imaginais. Ou identique car avec impudeur dessiné sous les vêtements dont je viens de le dépouiller.
Le premier déshabillage est comme la première pénétration d'un nouvel amant : un plaisir et une surprise que l'on n'éprouve qu'une seule fois.
Les fois d'après sont déjà autres. Délectables peut-être, mais privées d'un caractère unique qui, défloré, ne reviendra jamais.
Avec Erwald c'était déjà trop tard. Prise de vitesse, je n'imaginai pas lui demander de se rhabiller. Me résignai du coup à cette première fois qu'il m'avait dérobée.
Nu derrière moi il se tenait, énigme de chair dont je percerais le mystère en me retournant. Ce que je fis, découvrant ce qu'il avait brièvement évoqué l'après-midi : un corps de survivant lardé de cicatrices, séquelles d'un gravissime accident de voiture. Corps massif et émouvant à la chair couturée, plaies anciennes depuis longtemps cicatrisées, pâles souvenirs d'un événement ayant changé sa vie en manquant de la lui ôter.
Erwald s'agenouilla en léchant mon dos, mon sexe, mon cul. Écarta mes jambes et creusa mes reins afin de se ménager une meilleure prise. Avança le visage vers ma croupe, y poussa son menton, y plaqua ses lèvres, y darda sa langue, y enfonça ses dents.
Avec la violence d'un désir trop longtemps brimé qui soudain ne se maîtrise plus.
Avec une frénésie proche de l'angoisse, comme s'il craignait que je ne me sauve ou ne m'évapore.
Avec une fureur qui allait croissant, des gémissements, des cris, des mots chuchotés et hurlés, des clappements de langue et des bruits de succion, un emportement tel qu'il me poussa à me raidir pour, en effet, lui échapper.
Erwald avait le souffle court, l'air vague et les yeux flous d'un homme sorti d'un délire. Je faillis l'enjoindre de respirer, le rassurer, lui affirmer que rien ne pressait. Nous avions tout notre temps, la fin de nuit, l'aube, le matin.
Je me tus pour effleurer sa joue.
Erwald m'entraîna dans la petite chambre, m'allongea sur le lit, s'abattit entre mes jambes.
À nouveau son désir était brûlant, avide, goulu, âpre, presque effrayant.
Mon amant collait tout son visage le long de ma fente, l'y frottait et l'y poussait comme afin de l'introduire en moi. M'assaillais, me pénétrais de sa langue, me déchirais de ses doigts, me choquais de son menton. Sa barbe drue contre mes lèvres, ma vulve, mon clitoris, agaçant, râpant, égratignant ma chair tendre.
Je repoussai sa tête.
Il résista.
Je le tirai par les cheveux.
Il céda pour aussitôt se noyer dans mon sexe, le sucer, l'engloutir, s'y noyer en haletant, jurant, grognant, plaintes de fauve dévorant une proie trop longtemps convoitée.
Ses mâchoires claquaient à s'en décrocher, se refermaient dans un bruit sec.
Ses gestes étaient désordonnés, saccadés, fous.
J'aurais pu, je crois, le gifler qu'Erwald n'aurait pas retrouvé ses esprits.
- Tccchttt... soufflai-je.
Je me redressai, serrai les cuisses pour le déloger. Il avait le même regard qu'au salon. Absent et habité, celui d'un homme se relevant à peine d'une transe, dans laquelle je refusais qu'il replonge.
- À mon tour ! dis-je.
Tandis que je me courbais sur lui, je pensais que le poids d'un désir est parfois encombrant.
Trop lourd pour qui le reçoit et trop pesant pour qui l'éprouve.
Photos : Joan Colom, Lucien Clergue,
Paul Outerbridge, Claude Fauville.
Miam. Enfin. Une belle histoire. Vous ne serez pas surprise d'entendre que je me suis installé à la place du monsieur, évidemment... Retour en force, j'aime.
Merci, m'sieur Stan ! Voilà qui nous éloigne au grand galop de la steppe mongole... avec un récit qui a certainement plus de chair - dans tous le ssens du terme.
Si vous vous êtes installé à la place du monsieur, je me permets d'oser une requête : rasez-vous, par pitié ! (voilà, c'est dit, oups)
Euh, certes, certes... Vous parlez des joues, évidemment ? Pour les steppes, je vous ai écrit par ailleurs quelques observations mais je suis à peu près certain que vous avez déjà réécrit une ou deux autres versions depuis...
Non ?
Oui, oui, je parle bien des joues... je n'ai rien contre les poils pubiens, même à cette époque où il semble de bon ton de les ratiboiser (enfin, surtout chez les femmes !).
Et bien non. Votre avis m'a fait réfléchir tant et si bien que j'ai laissé le texte en pause. Je travaille actuellement sur un autre commencé depuis longtemps, que je n'arrivais pas à finir. Alors, j'ai bon espoir qu'au moins l'un des deux soit achevé avant le passage à 2013 (année de la... ah non, zut, je m'égare). Cet autre-là est charnel, très. Autobiographique aussi, puisqu'il s'agit de l'histoire avec le Pierrig de ce blog, mais format XXL (l'histoire, pas Pierrig, quoique...). Près de l'os, exactement.
Je ne voudrais pas que mon avis soit "bloquant", vous savez bien que je suis enthousiaiste quand à votre plume. Disons que j'ai été un peu "déconcerté" parce que je ne vous ai pas "retrouvée" comme j'aime à vous lire, et que votre récit - certes passionnant - m'a semblé (mais je peux me tromper) probablement écrit de façon moins brillante que vos billets ici. Le sujet n'y est pour rien, il me semble... Vous êtes pourtant aussi concernée dans ce cas que dans vos errances... Mais il n'y avait que 90 pages, hein...
Ne vous inquiétez pas (mais Ordalie va vous fesser dans le commentaire suivant).
Du coup, je réponds à vos deux messages en même temps : votre avis est arrivé, Stan, à un moment où je me posais des questions sur la forme, et surtout le style du récit (à savoir la narration arrangée de mon périple mongol - je précise pour les lecteurs qui, découvrant cet échange, risquent de ne pas le comprendre). L'impression qu'il y manquait quelque chose, sans vraiment toucher ce je-ne-sais-quoi du doigt.
Peut-être était-ce le récit lui-même, très éloigné de ce que j'écris d'habitude ?
Peut-être le style ? Le sujet étant radicalement autre, mon style n'a que peu en commun avec celui du blog.
Donc, votre avis est arrivé à un moment de questionnement et m'a "parlé". Parce que sur le fond, ben, je suis d'accord avec vous : les billets, récits touchant aux relations homme/femme, avec une certaine complexité de sentiments et une composante sexuelle sont en quelque sorte plus près de moi. D'où les mots pour les dire, mots plus personnels, plus pleins, plus sentis. D'où, forcément, un meilleur texte. Pas pour dire que le périple mongol est mauvais, mais vous m'avez comprise, j'en suis sûre. Je pense qu'en effet je suis "meilleure" sur un autre type de texte que ce récit de voyage, ce qui ne signifie pas pour autant que je l'abandonne.
La pause permet justement de le laisser se... poser afin de le réaborder, plus tard, avec un oeil neuf. Très difficile d'avoir du recul quand on est plongé dans un texte. J'avoue aussi que l'écriture érotique commençait également à me manquer.
Donc, non, chère Ordalie, ne faites pas subir à Stan les derniers outrages. Sauf s'il en est d'accord, bien sûr. :) Vous serez une des premières à découvrir la suite de nos galères au pays de la chouroupe ! Et scoop : probable que Bertille et moi y retournions l'été prochain. Pas avec Valérien, je vous rassure tout de suite ! Pas masos à ce point, les filles...
C'est pas vrai! V'la qu'à cause de Stan tu mets ton texte au congélateur? Il mérite une bonne dose des sévices dont il se repaît sur son blog, non mais!
Et moi qui attendais la suite la langue dehors... et !!!
Et pour ce qui concerne les poils: "Les monts de Vénus se déboisent, laissant place à l’ennui sur le mont Chauve.."
:D Reste le fifty-fifty... mi-chauve mi-chevelu !
Désolé, Ordalie... Je suis effectivement moi aussi en attente de la suite, mais Chut voulait un avis objectif que je me suis permis de lui donner.
Euh, pour la fessée, faut voir...
Mais vous avez eu raison et sincèrement, je vous en remercie ! Ne soyez pas désolé, vraiment pas. Là, c'est moi que vous gêneriez, pour le coup.
Juste un mot sur Près de l'os : il s'agit un récit qui me tient beaucoup à coeur (pour preuve, les billets du blog consacrés à Pierrig) et il était plus que temps de lui tordre le cou. Difficile pour moi de rester sur In Memoriam comme testament à cette histoire - même si Pierrig a fait un pas vers moi quelques mois après. Envie, besoin ?, de raconter, décortiquer cette relation maintenant que m'en voilà à la juste distance : ni trop près, ni trop loin. C'était jusqu'alors trop pénible d'y replonger et faire place nette, ne serait-ce que par les mots, avant janvier prochain me semble une conclusion parfaite à cette année extrêmement chargée.
No worries, then.
Bonsoir,
Première fois que je lis votre blog. Ce récit m'a touché. Vous écrivez très bien.
Merci,
Xu
Merci à vous, Xu. Soyez le bienvenu !
Commencer la journée par cette lecture ne va pas aider à me concentrer sur les dossiers qui m'attendent. Le plus dur sera de repousser à ce soir l'envie d'y revenir. Et cette question : pourquoi quelqu'un qui ne nous attirait pas se met un beau jour à nous plaire ?
Cher Slev,
si tu as la réponse, je prends ! Amusant... En écrivant ce billet, je me douterais que tu t'arrêterais spécialement sur cette question. Simple intuition.
J'espère que tes dossiers ont pu avancer dans l'entre-deux. :)