Mardi 1 décembre
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13:42
Je
suis frustrée. Agacée. Énervée. En colère, même. Je veux répondre à mon amie Ether et je ne peux
pas.
La fenêtre des commentaires ne s'ouvre pas. Privée de parole à cause d'un bug informatique ou peut-être, va savoir, d'une connexion aléatoire parce que trop lointaine.
Et la mondialisation, merde ?
Alors je suis là, collée à la banquette de ce bar lounge wifi trop bruyant, subissant les "ah... ah..." du chanteur qui braille dans la sono. Si j'étais parano - ou s'il chantait avec plus
d'émotion - je croirais qu'il se paye ma tronche grand format.
J'ai envie de lui dire de boucler sa lourde (très lourde, j'insiste) deux minutes.
Trop tard, il s'est déjà éclipsé, me laissant comme un pingouin sur la banquise, loin de la chaleur des mots de mon amie, sans personne sur qui brailler ma hargne.
Mince alors, comme on dit en termes politiquement corrects (l'autre version, je vous la passe).
J'ai laissé mes fouets et autres instruments de plaisir coercitif à Paris de peur des douanes :
"Madame, il y a d'étranges formes dans votre sac, vous voulez bien l'ouvrir pour une fouille approfondie ?"
Frustration encore.
Je me serais volontiers défoulée sur quelqu'un, moi. Un innocent tant qu'à faire, vu que je n'ai aucun coupable sous la main.
(Fantasme intercalé : je vais trouver le serveur aux dents de traviole, celui-la même qui m'objecta une grimace lorsque je lui quémandai une prise où brancher mon ordinateur.
Je le regarde bien en face, yeux enfoncés dans les yeux et, sans sommation, lui décoche une double paire de claques.
Motif ?
Ta connexion m'empêche de répondre à mon amie.
Dans mon fantasme, il rampe jusqu'à une gigantesque machine. En deux clics, voilà le problème réglé.
Dans la réalité, je suis trop injuste pour pouvoir me regarder demain dans la glace. Et accessoirement trop menottée par la police pour émettre la moindre protestation, orale ou
écrite.)
Lorsque j'ai découvert l'article d'Ether, ma gorge s'est serrée. Au fil des lignes, j'ai mordu mes lèvres fort, de plus en plus fort, fermé les écluses qui menaçaient de s'ouvrir à grandes
eaux.
Pas pleurer. Self control. Pas pleurer.
Faut croire que je suis assez douée à ce jeu-là parce que rien n'a filtré.
Ma bouteille d'eau serrée trop fort s'est juste pulvérisée entre mes doigts mais ça, personne ne l'a vu.
C'est pas l'endroit, putain. Je suis dans un cybercafé avec à peine une cloison de plastique pour me protéger du monde. Puis autour de moi, on parle trop français.
Sûr que si je m'épands façon flaque, les deux minettes d'à côté délaisseront leur compte bancaire pour me demander ce qu'il m'arrive. Au nom de l'entraide entre voyageurs ou de la
solidarité entre Frenchies.
Manquerait plus qu'elles évoquent l'argument "d'identité nationale" pour que je me retrouve, cette fois, complètement par terre.
Remontée dans le temps. Deux jours pour cent ans et nous voilà à
dimanche.
Onze heures et demi. Quatre de sommeil au dernier compteur de mes trop courtes nuits. Mon reflet, je ne le regarde même plus en passant devant le miroir. Il me renvoie à un moi que je déteste, à
une femme épuisée au visage trop pâle.
Chiffonnée, écrit Ether par gentillesse.
Marquée est sûrement le vrai mot, car j'ai à peine pris le temps de la politesse. Celui du maquillage en camouflage d'états d'âme, avec lequel je débarquai chez elle au temps de la rupture avec Feu
mon amour.
Détruite dedans mais feignant au dehors, opposant à la douleur le mince rempart du mascara et de la poudre.
- Je veux rester présentable, lui dis-je.
Ce temps, je ne l'ai pas ou ne désire pas le prendre. Je m'en vais, je suis dans le brouillard, j'ai bien et
mal à la fois, je souffre et j'exulte. En attendant, je suis dans cet appartement que je quitte bientôt.
Dans une demi-heure exactement si Ether est ponctuelle.
Je sais qu'elle le sera. Partagée, déchirée comme moi entre deux sentiments contradictoires.
Je vais vomir, je crois. Je crois sans en être certaine tellement je me sens bizarre, fendue entre l'envie de me tapir derrière le canapé tels les enfants qui, fermant les yeux, s'imaginent cachés
et celle, impérieuse, de me dresser en femme décidée, sûre d'elle et de son chemin, pour empoigner mon sac.
Mon estomac remue tellement que mon cerveau reflue jusqu'à lui. Maudit manège et montagnes russes du vide au plein, du plein au vide. Bizarre, très bizarre alors que tout tourne sous mon crâne.
La découverte d'Ether
sur la pointe des pieds. Mon admiration et ma fascination à la lire, elle si hésitante, s'excusant d'être là et moi pensant :
"Encore, encore... Le monde a besoin de gens comme toi. Intègres, entiers, purs. Je n'ai jamais vu ton visage et je m'en fous. Je te vois dedans et ce que je vois me donne envie de te
connaître... si tu me l'autorises."
Qu'Ether soit brune, blonde, rousse, laide ou sublime, je m'en tapais comme de la dernière guerre.
Elle était belle, évidemment belle. Belle et vibrante malgré ses blessures qui l'empêchaient encore d'être.
Première rencontre dans ce café. J'eus la conscience de la forcer un peu, de lui faire doucement violence
puisque nous habitions presque à côté.
Ether vint en pantalons et large pull beige, moi en jupe courte et hautes bottes marron. Instantané de nous, chacune dans notre rôle mais pourtant sans fards : elle dans celui de la femme qui
craint de l'être, moi dans celui de la femme qui s'affirme, peut-être trop par ses signes extérieurs de féminité.
Mais la plus femme des deux n'est pas toujours celle qu'on pense.
Elle tira un siège et je le regardai
bien en face. Plus tard, elle me dit que dans mes yeux elle lisait la peur comme elle voyait trop de fantômes.
Dans les siens je lisais à la fois une incertitude et une détermination.
Et putain qu'elle était jolie noyée dans son pull.
Elle partit trop tôt pour cause de boulot. Je crois qu'elle érigeait entre nous cette barrière qui la protégeait, celle du "je dois partir pour cause extérieure". Quand elle se leva, et
plus encore lors des conversations qui suivirent, j'eus le sentiment d'avoir rencontré une personne essentielle. Une de celles qu'on ne croise que rarement et dont on peut s'enorgueillir d'être
l'amie.
Dimanche, comme le mardi précédant notre dernier dîner, les mots me manquèrent.
Je ne sais pas dire dans l'urgence. Pas arranger les mots comme il faut, ouvrir les portes au moment opportun. Y a comme un truc qui bloque, des ouvertures qui se verrouillent et restent coincées
dans ma gorge alors même que je voudrais parler.
Dimanche, devant l'escalator qui allait nous séparer, nous nous serrâmes très fort. Ether dit avoir respiré dans mes cheveux l'odeur de l'encens qui parfumait mon appartement. Je sentis, au creux
de son cou et malgré son manteau, celle de sa peau et son parfum.
La quitter fut un déchirement odieusement souligné par un employé de l'aéroport :
- Faut pas pleurer, Madame.
Tu sais quoi ? Je pleure si je veux. Fourre tes gros doigts dans ton
uniforme au lieu de les immiscer dans notre intimité.
Emportée par l'escalator, je me penchai et pensai :
- Je ne te dis pas adieu, ma belle, juste à bientôt.
La femme qui hurle sur la première image n'est bien sûr pas moi.
Ether le confirmera... Je suis beaucoup moins photogénique quand je pique ma crise. :)
Par Chut !
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