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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 2 juin 7 02 /06 /Juin 18:38

Deconcertante douceur 1J'ai rencontré Pio un samedi. Il devait quitter mon île le lendemain.

Le dimanche il n'a pas pris le ferry.

Le lundi non plus. La journée fila à faire l'amour, la cuisine, du cheval et de la bronzette à la plage.

Il y a pire comme programme...

Le mardi Pio partit avec des regrets. Pas assez, néanmoins, pour accepter ma proposition : l'accompagner à Siquijor.

Son long voyage tirait à sa fin. Pio voulait faire le point, digérer son expérience de routard, se préparer à son retour en Allemagne. Son besoin de solitude pour se recentrer, je le comprenais si bien que je n'ai pas insisté.

Il est des moments de retrouvailles avec soi dont il ne faut pas faire l'économie.


Une semaine plus tard, nous avions rendez-vous à Singapour.

L'avion de Pio se posa par une après-midi de déluge. L'eau débordait de la rue piétonne où, bloquée en terrasse d'un restaurant de Chinatown, je buvais un mauvais café. Les yeux rivés à ma montre, je m'encourageais à braver les intempéries : peut-être Pio était-il déjà à l'hôtel.

Mon retard ne posait aucun problème en soi. La chambre était payée, le réceptionniste prévenu, Pio connaissait notre numéro de chambre. Il pouvait y déballer ses affaires en mon absence.

Mais ce serait moche, pensai-je. Un manque de délicatesse, la preuve d'une indifférence que je ne ressentais pas.

Ultime coup d'oeil à ma montre. Je me résolus à déplier mon parapluie pour quitter l'abri de l'auvent, retroussai ma robe jusqu'à mi-cuisses pour me frayer un chemin dans l'eau sale. L'hôtel n'était qu'à cent mètres mais j'y parvins trempée.

Pio se trouvait à la réception. Il venait tout juste d'arriver.

À Singapour nous fîmes ce que font tous les couples : l'amour encore, de longues balades bras dessus bras dessous, du shopping souvenir, des visites...

Dans un temple bouddhiste j'achetai un set de quatre pièces gravées. Je décidai que l'une reviendrait en donation au temple, que la deuxième serait pour Bertille, la troisième pour Pio, la dernière pour moi.

J'aime ce symbole du cadeau : le don spirituel et le don aux personnes chères.

 

Deconcertante douceur 2Pio s'ouvrit à moi comme rarement il se l'autorisait. Renfermé, réfléchi et volontiers taciturne, il n'avait guère le goût des confidences.

Son habituelle réserve rendit les siennes encore plus précieuses.

Juste avant mon départ il m'affirma :

- Je ne veux pas te perdre de vue.

Il m'écrirait, sans faute.

Me donnerait des nouvelles, évidemment.

Me reverrait, bien sûr, si un voyage le ramenait en Asie - ou si moi, par le plus grand des hasards, m'aventurais jusqu'en Allemagne.

Je ne doutai pas une seconde de sa sincérité. Tout en sachant, d'une tranquille certitude, qu'il n'en ferait rien.

Bingo.

Presque deux mois que Pio s'en est allé.

Deux mois sans un seul mail, même pas un pour me dire qu'il est bien rentré.

Je ne lui en tiens ni rancoeur ni rancune. Sa disparition n'enlève rien à ce que nous avons vécu. Son silence me blesse pas. Il ne m'est pas destiné, je crois : Pio, dans un autre monde, est passé à un autre chapitre.

 

Mais la tendresse, la donnée, la rendue, l'inattendue qui déborde, la quotidienne de nos journées, me déconcerte. Elle nous faisait ressembler à un vrai couple, un fort d'un passé, d'une histoire, d'un avenir, pas à un duo de vacances voué à vite se rompre.

Pire, s'ignorer.

Au réveil Pio prenait ma main, la cherchait dans la rue, déposait sur mon front une salve de baisers.

Dans les yeux des gens et en dépit de notre différence d'âge, lui et moi formions un couple. C'est d'ailleurs ainsi que je me sentais : en couple avec Pio. À Singapour et sur mon île, si radieuse qu'à plusieurs reprises on m'en fit compliment.

En couple même sachant que c'était faux, ou plutôt si éphémère.

Notre tendresse laissait supposer une complicité, une ébauche de sentiments, un ensuite peut-être.

Tout sauf ce silence en forme d'absence, de vide, de néant.

Et pourtant je ne suis pas déçue.

Et pourtant je comprends.


Deconcertante douceur 3Je sais que l'on peut être ému sans aimer, désirer sans s'engager, partager sans espérer.

C'est année après année ce que je fais, moi, avec mes amants.

Sincère lorsqu'ils sont là, oublieuse d'eux lorsqu'ils sont partis. Une page s'est tournée, j'attaque comme Pio le prochain chapitre, ce chapitre posé dès le prologue : mon lieu de vie n'est pour mes amants qu'une étape de leurs voyages.

Bientôt ils retraceront la route ou retourneront chez eux, en Europe ou en Amérique.

Une relation longue distance ? Non merci.

Possible que ma tendresse les déconcerte, d'ailleurs. Ou les effraie, car ils pourraient aisément m'imaginer amoureuse - de cet amour qui trop souvent marche avec la contrainte, les promesses à tenir, les comptes à rendre.

À moins que ma tendresse ne les enchante. Qu'ils ne s'y coulent sans réfléchir, jouissent des mots doux, des caresses, des attentions, de mes bras ouverts et de mes baisers.


Ma propre capacité à sortir de cette tendresse me surprend, d'ailleurs. Très vite un homme peut s'agréger à mon monde et y représenter beaucoup : amant, ami, confident, redresseur d'âme tordue, complice de fous rires. Nous dormons ensemble, nous éveillons côte à côte, partageons l'intimité d'un bref quotidien, nous blessons d'un mot et nous rabibochons d'un sourire.

Nous pouvons même plaisanter sur notre futur, la destination de notre lune de miel, la couleur des murs de notre chambre, les prénoms des enfants que nous n'aurons jamais.

Rapidement nous construisons notre bulle, créons nos codes, nos habitudes, forgeons nos anecdotes, la petite histoire de notre histoire.

Comme si celle-ci ne devait jamais se finir.

Comme si le temps ne nous était pas compté.

Mon plaisir n'est pas simulé. Mon bonheur n'est pas feint.

Rien n'est faux dans cette histoire mais remis en perspective, son essentiel n'est pas important. Si mon amant et moi nous donnons, nous nous reprenons avec la même facilité. Presque avec la même vitesse.

Même pas mal.

Reste une nostalgie diffuse, un vague regret de "c'était bien", un désagréable sentiment de solitude et d'excellents souvenirs qui aident à traverser la nuit.

 

Deconcertante douceur 4Mais pourquoi, moi si prompte à la tendresse, suis-je donc déconcertée par celle de Pio ou de Stefan ? 

Je crois pourtant à la vérité du moment. Une vérité instantanée qui jaillit, bondissante, susceptible de s'évanouir ou d'être contredite la minute suivante.

Une fugace mais néanmoins sincère.

Une légère mais néanmoins honnête.

Une qui permet de dire, les yeux dans les yeux, "je t'aime" sans que ces mots ne signifient autre chose. Sans en attendre de réponse ni de réciproque. Sans la lourdeur qu'on leur associe, sans la gravité des grandes déclarations.

Je crois aux vérités à l'image de la vie : mouvantes, imprévisibles, d'eau et non de granit.

Je crois aux vérités qui n'engagent que le moment de leur énoncé.

"Des vérités performatives", diraient les linguistes. Parce que je les ressens ainsi et souhaite les prononcer de même, mais les tais prudemment de crainte qu'elles ne soient pas comprises ou mal reçues.

Oui, je crois à ces vérités-là.

Mais quelle est, alors, la valeur des mots ?

 

 

Photos : Laurent Weyl, Umbo (Otto Umbehr), Shinichi Maruyama.

Dessin d'Alfred Gockel.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso - Communauté : les blogs persos
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Commentaires

"Mais quelle est, alors, la valeur des mots ?" Pas des mots en général mais de ces mots-là. Ils valent dans l'instant, pas dans la durée. Et la grande illusion esr de croire qu'ils engagent pour l'avenir. En ce qui te concerne, je pense avec amusement que ta vie ressemble à une série télévisée où dans les saisons successives chaque épisode est différent et les guest stars se succèdent. ;)

commentaire n° :1 posté par : Ordalie le: 02/06/2013 à 19h44

Oh mais je proteste, certains sont des personnages récurrents ! :D

Sûr qu'avec toutes mes stars, il y aurait de quoi monter un film choral... Rires !

 

"Ils valent dans l'instant, pas dans la durée. Et la grande illusion esr de croire qu'ils engagent pour l'avenir."

Vrai. Je pense d'ailleurs que passés les débuts passionnels, l'amour devient un choix conscient. On décide de rester avec un homme, de faire des efforts et des compromis pour que cette relation-là fonctionne. On s'éloigne de l'emballement - voire on y renonce - pour laisser place à la construction.

Travail de longue haleine s'il en est !

Mais les "je t'aime", je peux les penser très vite, après quelques jours, et très sincèrement. C'est ceux-là que j'évite de dire de peur qu'ils semblent complètement déplacés - si ce n'est inquiétants.

Ils me feraient d'ailleurs passer pour une fille au coeur d'artichaut. Ce que je dois être, au fond : très sentimentale mais (si) peu romantique. 

réponse de : Chut ! le: 02/06/2013 à 20h07

En somme, être sentimental, c'est dire "je t'aime" ; être romantique, c'est lorsqu'on ajoute "pour la vie". J'adhère.

Et pourtant … . Instant / durée, vérité du moment / épreuve du temps, passionaimant / amoureuxsement, ces slash sont-ils donc immanquablement couperet ? performatifs à jamais ? Et si les mots n'avaient aucune valeur tant que la phrase n'est pas finie ? Et si le mot "valeur" ne valait rien tant qu'on n'a pas dit "je t'aime" ? Et si le mot "je t'aime" ne valait rien tant qu'on ne l'a pas redit ? 20 ans plus tard, à la même personne ? sans, là encore, ajouter "pour la vie", car ce n'est jamais pour la vie, c'est pour cet instant qui dure. Paradoxe déjà : par définition l'instant échappe au temps qui passe - un tout en soi, autonome, atemporel, rassurant donc, une rencontre, une histoire, un espace fini, son essentiel n'est pas important, résumes-tu d'un trait remarquable ; mais vérité reproductible : cette sensation soudaine d'une plénitude, d'une respiration lumineuse, d'un oubli absolu, qui nous saisit là, maintenant, émouvante exception, et qu'on aimerait traduire tout aussi brièvement d'un mot total : je t'aime. C'est à dire j'aime ce nous dans ce temps de vie occupé ensemble.

On aimerait le dire, mais on ne le dit pas. La crainte d'être mal entendu ? En partie peut-être, le fait est qui si cet énoncé peut n'être que la simple formulation d'un moment heureux de tendresse, je t'aime sert tout autant à l'expression de sentiments plus profonds. Or je crois que c'est justement de le prononcer qui fait toute la différence. Je crois, qu'on le veuille ou non, que ce mot est une déclaration d'amour. Et en ce sens, une immense prise de risque. Car on entre à cet instant dans un espace imprédictible, le contraire même du précédent, qui ne se définit pas en terme d'engagement ou de promesse, non, simplement qui en ouvre la possibilité. A tout moment.

commentaire n° :2 posté par : Slevtar le: 05/06/2013 à 17h55

Merci Slev pour ce magnifique commentaire tout en finesse, qui traduit si bien ce qui est difficilement explicable.

"C'est à dire j'aime ce nous dans ce temps de vie occupé ensemble."

C'est exactement ça ! Et je me rappelle alors ce que je disais au Paulien de ce blog il y a quelques années : je t'aime aussi pour la personne que je suis avec toi, pour celle que tu me fais devenir. Avec toi et pas avec un autre, et voilà aussi ce qui te rend si précieux à mes yeux.

 

Oui, "je t'aime" est une immense prise de risque. Une de celles qui fait battre le coeur à mille à l'heure, nous plongeant soudain dans la peur de la non-réciprocité. Ou pire, du rejet.

Si l'on peut choisir d'ignorer les signes qui nous montrent que l'autre est amoureux, il est impossible d'ignorer les mots. Sinon, ça s'appelle de la pure mauvaise foi...

réponse de : Chut ! le: 19/06/2013 à 12h11

La valeur des mots, et pas que de ceux-là d'ailleurs, mais de tous ceux qui peuvent sonner dans le définitif pour celui ou celle qui les entend est souvent le point de cristallisation des attentes et des déceptions, plus que les actes, surtout chez les personnes "libres". L'avis du mec, les deux pieds dans la terre, qui a goûté à ces déceptions, c'est que les mots doivent garder leur valeur, leur sens, même au long cours, car c'est le langage qui est fondateur de nos relations, de nos pensées, et de nos êtres. Si l'amour est effectivement un choix conscient, il impose encore plus de prudence dans l'usage des mots à deux. On peut être tendre, ému, emballé et pourtant pas amoureux, l'essentiel est de le dire, et de ne pas jouer sur les malentendus. Toutes les fois que je te lis, que je m'imagine ta vie, je me demande ce qui au fond de toi fait que tu es si souvent amusée, même émue, et jamais éprise finalement. Le besoin absolu de liberté ? ou la certitude que tout engagement est vain ? ou... Sans amour, je m'éteins.

commentaire n° :3 posté par : Graindorge le: 18/06/2013 à 13h44

Bonsoir Graindorge,

je crois que l'essentiel est là : "On peut être tendre, ému, emballé et pourtant pas amoureux, l'essentiel est de le dire, et de ne pas jouer sur les malentendus."

Tu as tout à fait raison : dire en disant ce que les mots signifient pour ne pas que se glisse le malentendu. L'autre est libre d'entendre - ou pas - mais le mode d'emploi a été fourni !

J'aimerais tomber amoureuse, oui, mais surtout éviter l'écueil d'être amoureuse par amour de l'amour, ce qui m'est déjà arrivé et s'avère douloureux pour tout le monde.

Le besoin de liberté ne m'est pas un obstacle. Il faudra ajuster, en revanche, ce besoin-là avec une relation stable. C'est un équilibre fragile et difficile à conserver, mais je suis convaincue qu'avec de la communication, de l'écoute, de la compréhension, il n'est pas inaccessible - à condition, sans doute, que mon partenaire soit autonome.

À vrai dire, je ne m'imaginerais pas avec quelqu'un qui ne l'est pas ! Il serait malheureux avec moi et vice-versa.

 

Je ne pense pas non plus que tout engagement soit vain.

Je ne tablerais pas sur la pérennité, on va s'aimer jusqu'à la mort, mais la conscience que la relation peut s'arrêter n'empêche pas de la vivre.

Non, l'explication est à mon sens ailleurs : si je suis facilement émue, touchée, tomber amureuse est un pas bien plus grand, qui suppose la bonne rencontre et surtout du temps pour la laisser s'épanouir. C'est là justement que le bât blesse : l'impossibilité de se projeter avec quelqu'un quand on sait dès le départ qu'on va devoir vite se séparer. Parce que l'autre n'est que de passage, qu'il repart dans son pays, qu'il a uen vie déjà installée ailleurs.

J'adorerais rencontrer un homme libre qui vive en Asie...

réponse de : Chut ! le: 19/06/2013 à 11h59
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