Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Ma peau se souvient de nos folies. Rapée le long de ma colonne, elle est rouge écorchée là où les noeuds l'ont frottée.
Mes muscles sont vrillés, ma gorge râpeuse, ma chatte endolorie, mes lèvres gonflées.
Entre elles Stefan s'enfonce doucement. Je l'accueille dans un souffle, jouissant de la douleur infligée par son membre et du plaisir de son corps lourd.
Ses doigts cherchent les miens, les étreignent à les briser.
- Longtemps j'aurai cette image... chuchote-t-il.
L'image de mon impuissance ligotée en équilibre sur le bord du matelas. De mes yeux qui l'implorent et le provoquent. De ses bras qui me repoussent dans une bascule tendue et prisonnière.
Gifle ou pichenette, si Stefan calcule mal son geste, je tombe à la renverse. Mais toujours il me rattrape avant que je ne sombre, avant même que je ne puisse m'inquiéter de sombrer.
Il a ma confiance. Il le sait.
- Longtemps j'aurai cette image...
L'image de ses bras-balanciers qui m'attirent à lui. Mon buste qui chavire sur le drap, ma tête qui plonge entre ses cuisses, ma bouche qui se referme sur son centre palpitant. Mêlés à ma chevelure, ses poings m'impriment vitesse et mouvement. Emportée par leur force je ne suis qu'une poupée sans défense, une que Stefan enfonce d'un bloc jusqu'à sa garde pour mieux la rejeter.
Étranglée, libre, étranglée.
Des ruisseaux de bave roulent sur ma langue, mon menton, mon cou, mes seins.
- Longtemps j'aurai cette image...
Moi aussi, longtemps j'aurai l'image de ses yeux exigeants, de son impitoyable douceur, de ses cuisses constellées de marques bleuâtres.
Mon amant a l'épiderme trop fragile. Je l'ai trop mordu.
Après son départ je me recouche pour plonger dans l'hébétude.
Ce soir sans nous concerter nous avons rendez-vous. Et il en sera ainsi, chaque soir, jusqu'à ce que je quitte Bangkok.
Au dîner Stefan m'avoue qu'en dépit de la fatigue, un sourire béat l'a accompagné toute la journée.
Entre lui et son travail, indécents et précis, des flashes venaient s'immiscer. Des visions de mes tétons violacés, de mes jambes écartelées, de son membre fiché au fond de ma gorge, des ravines creusées dans mon ventre par les liens.
La mine soudain gouailleuse, il avoue :
- Ce midi j'ai croisé notre voisine... Une Américaine.
- Ah. Et alors ?
- Alors ? Elle m'a dit bonjour !
Je hausse les sourcils.
- Depuis que j'habite ici, elle ne m'a pas salué une seule fois. Pas une seule ! Et son bonjour, il était bizarre... avec un drôle de rictus en coin, un peu gêné, un peu égrillard, et les yeux qui pétillent. Jamais elle ne m'a regardé comme ça. D'habitude, elle ne me regarde même pas.
- Mmmh.
Je soupèse les risques, évalue les possibilités.
D'un côté un plein milieu de nuit, la résidence éteinte et tous ses locataires a priori endormis.
De l'autre, mon studio éclairé et nos silhouettes qui passent et repassent, impudiques, devant la large baie vitrée.
Mieux qu'un théâtre d'ombres, un théâtre de chair rehaussé du rouge, vert, bleu des cordes et du piquant des baguettes chinoises.
Stefan insiste :
- C'était un bonjour inhabituel, crois-moi. Un bonjour qui sait pour la nuit dernière.
- Oh ! Et où loge-t-elle, cette femme ?
La réponse, je la connais déjà : dans le bâtiment d'en face.
En écho Stefan dit :
- Dans le bâtiment d'en face.
Des images censurées de cordes, noeuds, levrette, coups de rein, claques et supplices défilent sous mon crâne. Puis, par-dessus ce chaos de cul, de mouille et de foutre, une cocasse qui s'impose : le godemiché dont les vibrations meurent en moi et que Stefan, agacé, lance à travers la pièce.
- Putain de fabrication chinoise !
Un rouge rétrospectif me monte aux joues.
Puis l'intuition, fulgurante :
- Elle t'en reparlera.
- Euh... Tu crois ?
- Ma main à couper ! Et tu sais pourquoi ?
- ...
- Parce qu'elle rêve maintenant d'être à ma place !
Nous rions aux éclats. Plaisantons des Américains, de leur pruderie et de leur façade de respectabilité. Des mots qu'il faut éviter de prononcer devant eux, des attitudes à ne pas afficher, de leurs Shocking ! dès que ça déborde.
Régle générale qui néglige les cas particuliers, bien sûr.
Nous tombons vite d'accord : parler de sexe, ça embarrasse les Américains.
Alors, de là en réclamer...
Fort de ses certitudes, Stefan me soutient bec et ongles que je me trompe :
- Vouloir être à ta place ? Impossible, cette femme est mariée !
- Voilà bien une raison stupide !
J'ajoute que venue d'un mauvais garçon comme lui, l'explication ne manque pas de sel.
Le mariage, un rempart contre l'infidélité...
Mon amant shibariste est-il si naïf ?
Ou foncièrement idéaliste ?
Et depuis quand respecte-t-il les conventions ?
Je me moque :
- Toi qui baises les femmes ligotées, sûr que tu es un modèle de morale !
Stefan s'étrangle de rire, vaincu par KO comme mon corps l'est aujourd'hui.
Être attaché, il ne le suppportera pas.
Être fessé, contraint, pénétré, non plus.
Et notre témoin indiscret, alors ? Ce calme plat risque de l'ennuyer.
J'attrape Stefan par le col et le traîne jusqu'à la baie vitrée.
- Déshabille-toi !
- What ? Are you kidding ?
- Déshabille-toi, j'ai dit !
T-shirt, short et caleçon tombent mollement sur le plancher.
- Allez, du nerf !
J'agrippe mon amant, le ploie, lui claque la croupe. Une corde puis deux, et le voilà grossièrement ficelé, tout entier à ma merci à l'exception du bras droit.
Celui-là, il va servir.
- Maintenant tu dis bonjour à la voisine !
- No, no way !
- Comment ça, no way ? Allez, malpoli, dis bonjour !
Et Stefan, docile, d'agiter le bras en direction de l'immeuble d'en face.
Le lendemain il me dira :
- J'ai recroisé notre voisine...
- Et ?
- Elle ne m'a pas parlé d'hier, juste de notre nuit. "Tu t'es bien amusé ?", m'a-t-elle glissé dans un autre sourire équivoque. Moi, j'ai fait celui qui ne comprenait pas. Amusé de quoi, Madame ?
Je glousse. La parade de Stefan est la bonne : rien de pire que d'avoir à s'expliquer sur ses allusions.
- Bon, on s'en doutait, c'est à présent confirmé : elle a tout vu... Et à sa mine, elle voulait me demander un truc...
Le picotement du rire me chatouille l'échine.
La mine innocente je demande :
- Un truc comme ?
- Comme, euh... D'accord, tu as gagné. C'est toi qui avais raison.
J'ai souri comme d'une petite victoire.
Petite car au fond si prévisible.
1re photo de Gilles Berquet ; dernière d'Eliane Escoffier.
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