Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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À Seoul, je n'ai pas appelé Min. La semaine s'est écoulée ainsi que je l'entendais, au fil des jours en mode roue libre.
La meilleure façon, à mon avis, d'explorer une ville.
Vers midi, douchée de frais, quitter l'hôtel sac en bandoulière. Dedans, un MP3 saturé de musique, un bon bouquin (Freedom de Jonathan Franzen), un stylo et un carnet, des cigarettes et un briquet, un plan de la ville.
M'arrêter dans un restaurant puis marcher, marcher des heures entières.
Prendre le métro à contresens, me perdre, tourner, demander mon chemin.
Sentir le pouls de la cité, ouvrir les yeux et les oreilles, me parler à moi-même et prendre des photos.
Ne pas juger, juste m'ouvrir, observer le différent, consigner l'inexplicable et m'amuser de l'inédit.
Me rendre disponible, garder l'esprit curieux, le sourire aux lèvres et le rire facile.
Accueillir sans questions ce qui se présente, savourer tous les moments, vivre chaque rencontre tel un cadeau.
Comme ce soir-là où, fatiguée, je répugnai à quitter l'hôtel. Malgré l'heure tardive, je n'avais pas encore dîné. Mon estomac vide m'entraîna vers les cuisines de rue installées autour du métro.
J'y rencontrai Jeffrey, un éditeur coréen et Samuel, un Canadien prof d'anglais.
Entre deux gorgées de soju*, le premier me poussa à travailler pour le National Geographic. Le second m'apprit qu'étant sa parfaite opposée - femme, blanche, blonde aux iris clairs -, je serais ici l'enseignante idéale. Et peu importe ma langue maternelle.
Le repas se conclut sur un rendez-vous : le lendemain, 18h30, pour manger du chien.
Le chien, j'y avais déjà goûté en Chine. Mais voilà des mois que Jeffrey poussait Samuel à tenter l'expérience. Des mois que Samuel disait oui tout en se dérobant. Par dégoût, sûrement, mais aussi par peur de trop aimer cette viande alors qu'il aimait beaucoup les chiens vivants.
Mon accord enthousiaste ne lui laissa plus le choix, et ses craintes se trouvèrent confirmées.
Oui, le ragout de chien, c'est vraiment bon.
Comme ce samedi où, mon hôtel affichant complet, je dus en changer. J'entrai cinquante mètres plus loin dans une grande bâtisse.
À la réception, deux hommes.
Le premier, jeune, avait dû subir la classique opération de débridage des paupières. Ses yeux ronds, perpétuellement écarquillés, lui donnaient un air ahuri. Il semblait sortir à peine du lit, ne rien comprendre à rien et se demander ce qu'il fichait là.
Impression trompeuse, bien sûr.
Le second, d'âge mûr, avait la peau bronzée, des lunettes, des muscles épais, une carrure nerveuse. Sa force perçait derrière ses sourires.
Un ancien athlète, supposai-je.
Je me trompais du tout au tout.
Nous bavardâmes un long moment en anglais. D'où je venais, où je vivais, mes impressions sur Seoul... La discussion me faisait plaisir et je n'étais pas pressée.
Lorsque j'évoquai Paris, Eric, le jeune homme, me parla soudain en français. Ma mine ahurie le fit rire. Il avait séjourné en France, suivi des cours à l'Alliance Française.
- Mais quelle langue difficile ! grimaça-t-il.
J'acquiesçai.
Eric n'est pas qu'un simple réceptionniste. Ce travail lui permet de financer ses études de médecine pour, dans une poignée d'années, accéder à son rêve : s'installer à Paris.
Quant à son patron, il s'agit d'un ingénieur à la retraite recyclé dans l'hôtellerie. Cet hôtel, comme d'autres, lui appartient.
- Il a même conçu l'aéroport de Dubaï ! me souffla Eric.
Qui l'eût cru ? Je souris.
Le patron me proposa une chambre à prix cassé. Adjugé vendu.
Le lendemain, je copiai pour Eric tous mes musiques et toutes mes films français. Il n'aurait sans doute pas la possibilité de se les procurer. Puis j'aime à penser qu'à cet instant, un Coréen de Seoul écoute en boucle Gainsbourg ou Bashung.
Tout plaisir, s'il est partagé, n'en est que plus grand.
*Soju : spiritueux, souvent à base de riz, le plus consommé en Corée.
Photomontage : Dave McKean.
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