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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Mercredi 23 février 3 23 /02 /Fév 01:13

Night trainLe temps avait passé, sans nouvelles malgré nos promesses. J'écris à Pierrig que je n'avais pas envie de le rejoindre en Thaïlande. Un mail court, volontairement sec, qu'il laissa d'ailleurs sans réponse.

Pourtant, une fois à Chiang Mai, j'avais envie, furieusement envie de le voir.

Pierrig avait habité ici, et chaque balade dans la ville était l'occasion d'une rêverie.

Avait-il loué cette maison derrière les arbres ?

S'était-il déjà assis dans ce troquet pour un café ?

Avait-il, comme moi, flâné dans la vieille ville et le long des remparts ?

S'était-il attardé près du temple en ruines pour un coucher de soleil ?

Les lieux me parlaient tout en restant muets. J'étais la diseuse d'histoires sans échos, la faiseuse de contes frustrée mais têtue, accrochée à son refus en se persuadant qu'il était le meilleur des choix. Mais le meilleur choix ne signifie pas le moins coûteux et, à Chiang Mai, je payais le prix de ma certitude en poursuivant son fantôme.


Au coin de chaque rue sa silhouette surgissait.

Dans les yeux clairs des autres étrangers je voyais les siens. Dans une démarche nonchalante, la sienne.

Pierrig avait beau ne pas être là, il était partout, saturant l'espace vide de son absence. Et je m'en voulais d'être infidèle, non de corps mais de pensée. La plus grande des tromperies, sûrement.

- Arrête donc... m'ordonnai-je. Il n'est de toute façon plus en Thaïlande, mais en Indonésie ou à Taiwan, à Bornéo ou à Vientiane.

Depuis longtemps j'avais renoncé à suivre le cours de sa vie sur une carte. Pierrig ne restait que rarement plus d'une semaine au même endroit, faisant et défaisant ses bagages au rythme des avions, des meetings, des entraînements.

A la saint Sylvestre je me sentais mal, si faible que je dus me forcer à sortir du lit avant minuit. Mon demi-frère m'attendait pour la bonne année. C'est à demi inconsciente que je lui plaquai une bise sur la joue, puis le suivis dans les rues embouteillées. L'hébétude traçait devant mes yeux de larges cercles colorés. Mes orbites s'enfonçaient dans mon crâne, mes muscles se vrillaient en cordes pincées. Ivre de fatigue, je titubai, craignant à chaque instant de trébucher.

L'aube m'éveilla gémissante. Qui m'avait battue pour me briser les os un à un ?

Je pensais couver la grippe. J'avais attrapé la dengue*.

 

Mon demi-frère s'envola pour l'Europe. Nos adieux se firent dans ma chambre d'hôpital. A ma sortie, je fus chanceuse : Sofia, une amie, venait d'arriver à Chiang Mai. C'est elle qui me récupéra, plus chiffonnée qu'un vieux torchon, dans la cour de mon ancienne guesthouse.

Nous trouvâmes asile dans un bâtiment rouge. Notre chambre comportait deux lits, un balcon et une salle de bains refluant une odeur d'égout. Je passais là mon temps à dormir et à lutter contre l'envie de vomir. Toute la journée je chevauchais un radeau en pleine tempête, livrée à une mer démontée qui me retournait l'estomac. La nourriture m'écoeurait. La faim elle-même avait disparu, hormis par brèves éclipses. Lorsque celles-ci surgissaient, il fallait que je mange. Immédiatement. Un plat particulier, aucun autre ne pouvant me satisfaire. Deux bouchées étaient assez, mais ces deux bouchées, il me les fallait. Tout de suite.


Night train 2Ce soir-là, la faim était venue. L'image d'un restaurant de rue s'était imposée avec elle. Nous y avions mangé avec mon frère et soudain, j'avais sur la langue le goût du porc sauté aux brocolis.

- Allons-y, proposa Sofia.

C'était compter sans mon sens de l'orientation. Calamiteux, il nous fit tourner et retourner sur nos pas jusqu'à ce que je m'avoue perdue. Le boui-boui avait peut-être fermé. Ou je l'avais manqué en me trompant de trottoir.

- Regarde, il y en a plein par ici...

Sofia m'indiquait une rue en diagonale. Nous nous y engageâmes. Devant la cour intérieure d'un restaurant français, mon coeur rata un battement.

Pierrig se tenait au comptoir. Ses cheveux avaient poussé en boucles folles, une barbe lui mangeait la moitié du visage.

Pourtant, j'en étais certaine, c'était lui.


Mes joues se fouettèrent de sang. Au lieu de m'arrêter, je baissai la tête comme une collégienne punie.

- Un problème ?

- Marche, je t'en supplie, marche, Sofia !

Surprise, elle m'obéit.

- Pierrig... soufflai-je entre mes dents. Il est là.

- Là où ?

- Chhhhhhut.

Je pressai l'allure en me traitant d'idiote. Pourquoi fuyais-je ainsi cet homme ? Pourquoi me comportais-je en gamine puérile ? Notre relation, même interrompue, méritait mieux que cette débandade honteuse.

- Mais... tu ne le salues pas ? insista Sofia.

- Nan. Pas envie.

D'envie, j'en crevais. Il aurait été facile de me retourner, de reculer, d'entrer dans cette cour et de lui parler. Bien que simples, ces gestes m'étaient impossibles. Tout ce que je pouvais faire était avancer, raide comme un piquet, coeur tiraillé et âme en bataille.

Mon prénom résonna sur les pavés.

Je n'étais pas la seule à l'avoir vu. Pierrig m'avait vue aussi.

"Les dés sont jetés...", pensai-je.

Je m'arrêtai pour lui faire face.

 

Un sourire s'accrocha à mes lèvres. Un "bonsoir" en tomba alors que je chavirais dans ses yeux. Je brûlais de lui sauter au cou, de le griffer, de le mordre. Autour de nous, le décor de briques tournait à toute vitesse. Maudit manège... Mais qui donc tanguait ainsi, de moi, des arbres ou de la ruelle ? Je m'arrimai au mur. Surtout ne pas tomber, ne pas m'évanouir, ne pas vomir non plus.

L'odeur de ma sueur frappa mes narines. Entêtante et poivrée, sans équivoque. Je sentais la femme et l'appel au sexe, agacée de ce corps qui trahissait mes pensées.

Pierrig parlait. Ses mains immenses m'obsédaient. Je les voyais sur mes seins à Vientiane, me bâillonnant à Koh Tao. Lorsqu'il saisit son téléphone pour y entrer mon numéro, l'appareil semblait un jouet dérisoire entre ses doigts. Un jour, nous avions comparé : paume contre paume, les miens arrivaient tout juste à ses premières phalanges.

Je lui promis une engueulade si nous nous revoyions. Il sourit.

- J'y suis prêt.

Moi, je ne l'étais pas. Quand je le revis, l'envie de le disputer avait disparu. L'envie tout court, non.

 

 

* La dengue est une forme de malaria courante sous les tropiques. Ce virus est lui aussi transmis par un moustique, qui pique essentiellement le jour et à la tombée de la nuit. Il n'y a aucun traitement, juste une surveillance recommandée... et du repos.

 

La suite.

 

 

Photos : Jan Saudek, Bruce Mozert.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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