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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Vendredi 25 février 5 25 /02 /Fév 19:44

Night trainPierrig a dit qu'il viendrait me chercher. Qu'on prendrait mon sac à la guesthouse. Qu'il me le porterait s'il était trop lourd. Qu'on serait à l'heure à la gare et, seize heures plus tard, à destination.
Postée au carrefour, je l'attends. Les voitures filent à toute allure le long des remparts. Comme j'ignore à quoi ressemble la sienne, je reste aux aguets, nerveuse et confiante. Je sais qu'il viendra comme promis. Parce qu'il en a autant envie que moi, qu'il est déjà en route et que notre rendez-vous plusieurs fois repoussé, c'est aujourd'hui.
Un Américain posté sur le trottoir me demande ma nationalité.
- French.
Il me remercie avant de tourner les talons. Etrange.
Les minutes filent. Le soleil tape dur. Je m'impatiente.

Depuis le siège passager, je l'observe. Pierrig porte une casquette contenant à grand peine ses boucles, un pantalon taillé pour la brousse, un pull qui découvre ses avant-bras. Longs et bronzés, recouverts d'une discrète ondée de poils clairs, ils sont identiques à mon souvenir de la chambre par une après-midi insulaire.
Habillé, Pierrig a l'air maigre. Nu, il est superbe, délié de courbes, de vallons et de montagnes.
- J'ai acheté cinq hauts de couleurs différentes. Pour une fois que je fais un effort...
Je glousse. Argue que l'orange n'est pas très flatteur et me prononce pour le chocolat.
Châtain, bleu, chocolat, les adjectifs roulent aussi harmonieusement que les muscles de ses cuisses sous la toile épaisse. Je me retiens de ne pas les effleurer, juste pour sentir leur crispation quand il change de vitesse. Accès de timidité, peut-être, même s'il est peu probable que Pierrig me repousse. Entre nous, comme toujours, cette tension qui court sous nos mots et habite nos gestes, sous-conversation charnelle parasitant, dupliquant, enrichissant notre rapport horizontal, amical, social. Mais ce lien a aussi ses règles, dont la tendresse ne fait pas partie. Caresser sa cuisse serait enfreindre la règle, et j'ai la certitude qu'il n'est pas encore temps. Si ce temps vient jamais, d'ailleurs, car à cet homme j'ai des choses à dire.
Déjà je prévois qu'elles l'éloigneront de moi ou moi de lui.
Déjà je me doute de ses réponses, mais qu'importe. J'ai besoin de lui parler et je souhaite qu'il m'écoute.

Le train n'est pas plein, du moins pas encore. Quatre couchettes se partagent notre compartiment, isolées de leurs vis-à-vis et du couloir par un simple rideau. Avant le départ, celui-ci est ouvert. Fermé, il offre une mince intimité.
Nous voyagerons avec une famille thaïe. La femme nous sourit, un peu intimidée par notre aisance de baroudeurs. Son mari est si petit qu'il ne peut mettre leurs bagages dans le coffre du haut. En vrac sur sa couchette, ils occupent la moitié du matelas. Pierrig lui propose de les déplacer. L'homme ne comprend pas tout de suite. Il dit non, puis oui et un par un, les paquets atterrissent dans le réduit.

Le contraste entre ces deux hommes m'amuse. A côté de notre voisin asiatique, Pierrick et son presque double-mètre font figure de géant.

Night train 3Le train démarre. Nous prenons place sur les couchettes converties en banquettes.
- Drôle de tableau... me dis-je.
Face à moi, cette femme timide avec son garçonnet sur les genoux. A sa gauche, son mari, tout aussi raide et réservé. En contrepoint, nous, sortis tout droit de la matrice de l'Europe, blonds aux yeux turquoise, avachis dans leurs vêtements fripés.

Tous quatre avons l'air de deux couples parfaitement assortis, mais une fois encore, les apparences sont trompeuses.

Je me prends à imaginer ce qu'ils pourraient penser ou dire, nos voisins d'une nuit, de notre relation à éclipses et de son flamboiement dans des chambres de hasard.


Le cliquetis de la ceinture de Pierrig qui tombe sur le plancher.
La lanière qui zèbre mes fesses et trace sur mon dos des serpents rouges.
Son poing noué dans ma chevelure qui redresse ma tête pour me souffler des mots crus.
Ses ongles dans ma chair tandis que, ployée tel un arc à la renverse, je jouis. Si fort que les murs en tournent. Si fort qu'il prend presque peur et que sa paume s'aplatit sur ma bouche, brutalement, lacérant mon plaisir qui tombe en lambeaux.
 
Pierrig ôte sa casquette. Je résiste à l'envie de la lui prendre afin de respirer son odeur.
Cela aussi, je crois, serait contre la règle, comme ne pas garder les mains sur les genoux. Pas de laisser-aller. Sinon, je les enfouis dans ses boucles folles et redessine, là, au coin de ses paupières, les petites rides que le soleil a creusées.
- Cigarette ?

- Wagon-restaurant.

Nous remontons le train jusqu'à la dernière voiture. Impasse. La fenêtre donne sur la voie. Retour dans l'autre sens, contrôle de billets. Pierrig demande au contrôleur s'il y a un compartiment vide. La réponse, non, me rassure presque. Le partage forcé avec la famille thaïe me protège : sa présence sera la garante de ma relative sagesse.

J'ignore ce qu'il adviendra de cette nuit. Je sais ce qu'il faudrait qu'il en advienne sans être certaine de le tenir. Les obligations et moi, ça aboutit souvent à une addition. 

 

Le wagon-restaurant est d'un autre temps. Tout en bois, il s'orne de tables agrémentées de sièges métalliques. Un brutal coup de frein et ceux-ci déraperont comme un seul homme, envoyant valser leurs occupants contre les murs. Le plafond, lui, s'illumine de loupiotes dessinant des coeurs entrelacés. Plus tard, ils battront, synchrones, sur la pulsation d'une musique tonitruante.

Pierrig commande une bière. Je reste au Coca et j'enfreins la règle.

Lentement je parle de moi, de nous. Des doutes et des questions qui m'ont hantée à Chiang Mai. Des occasions manquées, de l'importance qu'il pourrait avoir dans ma vie. S'il le permet, qu'il est prêt à et libre de. Taisant que, pour l'instant, je me l'interdis, hésite à être prête et suis encore moins libre.

Cela est mon affaire et en aucun cas, ses réponses ne dépendent des miennes.

Des fils électriques, des carrés de rizières, des champs à perte de vue rythment mes mots. Les rayons du crépuscule se glissent par la fenêtre pour tomber pile sur son visage. Ses traits aigus s'adoucissent de rose, ses iris se paillettent d'or cuit.

 

 

Night train 3Je me tais pour le regarder. Lui, sa casquette à l'envers et son pull orange, une main entourant son verre, l'autre tenant sa cigarette. Attentif et penché dans ce wagon hors d'âge, le ronronnement poussif de la locomotive et le brouhaha des conversations, Pierrig écoute mon silence.

"Beauté pure."

Il ne peut entendre les mots chuchotés sous mon crâne.

La fumée me pique les yeux. Fumée est le nouveau nom de l'émotion, un nom à l'euphémisme qui m'arrange alors que je joue contre la règle, que je la pulvérise sur fond de soleil couchant, de rose et d'or cuit.


Je me promets de ne jamais oublier ce moment. De le fixer un jour par l'écriture pour, d'autres jours, le revivre.

Les instants de grâce sont si rares.

Celui-ci en est un.

 


La suite.

 
Photos : DR, Ed van der Elsken, Jan Saudek.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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