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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Lundi 21 février 1 21 /02 /Fév 21:56

My dutch herringJe suis la dernière à descendre du train.

Les courroies de mon sac entaillent mon épais manteau.

Une pluie fine gifle mes pas hésitants.

Les autres voyageurs se pressent vers la sortie et je reste à la traîne, irrésolue, fouillant la marée de têtes du regard.

Mingus n'est pas là. Dois-je l'attendre sur le quai ? Au portail de la gare ?

Nous n'avons pas convenu d'un point de rendez-vous. Je maudis mon imprévoyance comme le crachin qui trempe mes cheveux.

Soudain, je le vois.

Immense et tanné, sans manteau mais engoncé dans un pull bleu, fendant la foule pour m'ouvrir ses bras. Je m'y blottis, très vite, bouche à hauteur de sa poitrine, joue irritée par la laine rêche, agacée de ne pas sentir son odeur sous les couches de tissu.

- Ma chérrrrie... Tu as fait un bon voyage ?

Mingus n'aime pas parler français. Son effort de bienvenue me touche, comme me touchent son accent râpeux, sa façon de prononcer les r à fond de gorge. 

 

Au portail de la gare, je le gratifie d'un regard incertain.

- Tramway ?

Mingus décline de la tête. Il est venu à la hollandaise, juché sur une improbable guimbarde d'occasion. La couleur en est incertaine, la selle rafistolée, le guidon tordu.

Il me désigne le porte-bagages :

- Assieds-toi, sweety.

J'hésite. Veut-il vraiment m'emmener sans imperméable ni parapluie ? Le vélo tiendra-t-il le choc de nos poids conjugués ?

Haussement d'épaules. On verra bien.

Je me hisse sur l'à-plat métallique, jambes pliées, pieds dans le vide, tirée en arrière par le poids de mon sac. Malgré la position inconfortable, mes muscles endoloris et les traîtres petits pavés de la route, je souris.

Depuis une semaine je rêvais d'Amsterdam et affirmais à mes amis :

- J'y vais parce que j'en ai envie, ce qui est en soi la meilleure des raisons.

Station terminus.

J'y suis, j'y reste.

 

My dutch herring 2Routes vallonnées, ponts, canaux, façades basses et frileuses tassées le long des lagunes... Amsterdam défile à l'allure paresseuse des coups de pédale.

De ces lieux vus enfant j'avais tout oublié.

Lovée contre Mingus, je bois le paysage comme la pluie.

M'émerveille de traverser une ville de poupées.

Me remémore des peintures flamandes, leurs intérieurs douillets, leur palette de marron glacé fusionnée au ciel plombé.

Au milieu du tableau, il y a nous. En apparence gentil couple à bicyclette, en vérité animaux décalés, débarqués d'une île et réunis par le hasard, exotiques et pourtant fondus à ce pâle décor d'hiver.

Kinkerstraat.

J'éclate de rire.

- Is it the street for kinky people ?

Mingus s'esclaffe. Me détaille, sans cesser de pédaler, l'origine du nom.

Je l'enlace plus fort.

A cet instant précis, je l'aime.

Tant pis pour le maquillage en rigoles et l'eau froide sur mon cou. Menton contre les nuages, je pousse un long cri silencieux.

Heureuse d'être là, avec cet homme qui m'explique le nom des rues, les racines grecques et latines, l'architecture de la ville, qui a décalé ses rendez-vous pour me consacrer tout son temps.

- Oui, chéri, raconte-moi la ville. La ville... et toi.

 

Un arrêt pour acheter des provisions. Du pain et du vin, repas d'apôtres. La boutique est minuscule, les bouteilles alignées comme pour un jeu de massacre. La cliente qui nous précède tient en laisse un chien enrubanné dans un manteau. Je me penche pour le caresser.

Des mots tombent en néerlandais. J'écarte les bras en signe d'impuissance et, aussitôt, surgit une langue familière.

La caissière prend le relais. Discute avec Mingus et avec moi, passant en souplesse d'une langue à l'autre.

Un vieil homme entre et la scène se répète. 

On dirait bien qu'ici, tout le monde parle anglais. Et on dirait bien qu'ici, tout le monde parle avec tout le monde. Violent contraste avec la raideur parisienne et les mines renfrognées du métro.

En voyage, j'ai toujours apprécié les Hollandais, leur simplicité et leur chaleur dénuée de calcul. Ce ne sont pas ces premiers moments à Amsterdam qui me feront changer d'avis.

 

Mon hareng 3Dernier arrêt en bordure de canal.

- Nous voilà arrivés, sweety.

La rue aux façades de briques ressemble à un décor de Ken Loach. Destination cité ouvrière, immeuble en réplique parfaite de son voisin, porte du bas fermé d'un simple verrou.

- Quand ma mère a vu la cage d'escalier, elle a crié.

Celle-ci est sombre, en effet. L'ampoule a claqué et personne ne l'a remplacée.

Sale aussi, jonchée de mégots et d'épluchures de patates.


Mingus habite au troisième étage, un appartement prêté par l'amie d'une amie. Solution commode et temporaire, divisée en cinq pièces alors que trois suffiraient à remplir l'espace.

Les lieux sont spartiates, pour ne pas dire désolés.

La porte n'a pas de serrure, juste une chaîne de sécurité. Les murs poussiéreux s'ornent de vagues tableaux africains. Des livres s'alignent sur des étagères de fortune. A en regarder les titres, j'en déduis que leur propriétaire est trilingue, cultivée et engagée dans des études de psycho.

Rien d'étonnant, puisqu'elle fait partie du cercle, même éloigné, de Mingus.

La cuisine et la salle de bains datent d'un autre âge. Il n'y aucun radiateur, juste un poêle à gaz qui ronronne dans le salon.

Partout ailleurs, le froid est coupant.

- Désolé, ce n'est pas très confortable.

Je m'en fiche. À Amsterdam comme ailleurs, le luxe est une option dispensable.

Mon sac atterrit sur le plancher.

Mingus apporte des verres dépareillés, sert le vin, redresse les coussins du canapé. Le canapé, j'y suis déjà et l'y entraîne pour trinquer. Il boit une gorgée, m'embrasse, parle, se relève. Fébrile, affairé, intimidé.

Jupe cavalièrement remontée, je le plaisante :

- Hé... Je te fais peur ?

- Oui. Très.

Son aveu me touche au dépourvu. Au lieu d'affirmer "il n'y a vraiment pas de quoi", je lisse son visage de mes paumes. Avec tendresse, parce que de moi Mingus n'a rien à craindre, hormis, peut-être, la peur de sa propre peur.

Mais pour cela, nous sommes à égalité.

 

 

 

Photos : Robert Doisneau, Frank Horvat, Pauline Franque.

Par Chut ! - Publié dans : Mingus, my dutch herring
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