Samedi 17 octobre
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Adrien voulait offrir un cadeau à Laïs, son épouse. Mais ni parfum, ni lingerie, ni sortie au théâtre ni voyage. Pour elle, il désirait le plus beau cadeau qu'un homme puisse faire à une
femme : une après-midi de plaisir. De plaisir oui, mais plus encore : une plongée dans le cœur forcément trouble de ses fantasmes.
Offrir à l'autre ce qu'il n'a jamais osé demander ni ne se formule à lui-même, n'est-ce pas, tout compte fait, la plus belle preuve d'amour ?
La préparation de ce plaisir prit du temps et trois personnes : Adrien lui-même, Welles et moi.
Je n'avais jamais vu Welles. Laïs non plus, alors même qu'il s'approchait d'elle.
Il ne prit ni la peine de s'annoncer ni celle de la saluer. Ces politesses étaient inutiles, il le savait. Aussi, arrivé tout près d'elle, jusqu'à la toucher, lui glissa-t-il le bras sous le coude
pour lui chuchoter :
- Bonjour, belle dame.
Laïs dut sursauter, tourner la tête et peut-être lui sourire.
Ce sourire n'était pas adressé à Welles mais au noir. Laïs, un masque opaque d'avion glissé
sous ses lunettes de
soleil, était aveugle.
Welles la guida pas à pas dans les rues.
Laïs avait confiance, forcément. Sinon, elle aurait arraché pour s'enfuir ce qui lui obstruait les yeux.
Elle avait peur, aussi. Du moins je le crois. Quelle femme ne tremblerait pas de se confier ainsi à un parfait inconnu ?
Côte à côte, elle sûrement un peu tremblante et lui penché sur elle, ils cheminaient vers le plaisir. C'est-à-dire vers mon
appartement.
Le couloir et le salon, dégagés de leurs meubles, n'offraient plus aucun obstacle. Un grand tapis
donnait du moelleux au plancher trop froid, signe d'un printemps qui titubait encore dans l'hiver. Adrien sur le canapé avait la mine concentrée de ceux qui se repassent un film à créer.
Il était prêt, moi non. Au dernier moment j'avais trouvé ma tenue de femme-garçon : une chemise et un
pantalon enfilés sur une robe courte à fines bretelles.
Mes cheveux étaient retenus par un élastique, mes jambes et mes pieds nus. Laïs ne devait ni deviner que
j'étais une femme, ni m'entendre marcher.
Un coup bref, un coup long à l'interphone. C'était le signal.
Je déverrouillai le sas de l'immeuble sans un mot. Laïs ne devait pas entendre ma voix. Elle aurait pu la reconnaître.
Traversant le couloir à pas de loup, j'entrebâillai ma porte et écoutai. Le silence d'abord. Puis, très vite, le frôlement d'une main sur la rampe d'escalier et un bruit hésitant, inégal,
chancelant de talons. Ceux d'une femme qu'on aurait dit ivre et surtout seule.
Lentement l'écho montait, montait, plus fort, plus précis, plus synchrone avec celui qui résonnait sous ma chemise, gonflant le tissu, tirant sur les boutons.
Bientôt surgirent des marches une chevelure dénouée doublée d'une houppette poivre et sel.
Ils étaient sur le palier.
Laïs avait le menton porté un peu trop
haut des aveugles, les gestes imprécis sous l'armure du manteau, la courbe bouleversante du cou battant contre l'écharpe. L'ovale de son visage et sa bouche fine étaient aussi beaux que dans mon
souvenir.
Welles
avait un visage que l'on aurait pu oublier si ses yeux n'étaient pas si vifs. Deux pointes noisettes déchiffrant le message tracé par Adrien :
Bande-lui les yeux.
Attache-lui les mains.
Saisissant l'épais foulard que je lui tendais, il ôta les lunettes de sa captive pour le nouer autour de son masque.
Laïs ne verrait rien. Pas même le ballet de nos bustes, de nos jambes, de nos pieds autour d'elle.
Welles l'escorta jusqu'aux crochets fixés à la poutre du salon. Laïs frémissait déjà de ce qu'elle ne voyait pas : une corde soutenant une barre prolongée de menottes.
Gibet de plaisir sur lequel elle serait
crucifiée.
Dépouillée de son manteau, elle se tenait debout en émouvante statue de chair. Sage dans sa robe grise aux
genoux et sa veste boutonnée aux clavicules, avec en contrepoint ses bas filant sous ses escarpins
rouges.
Par Chut !
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Publié dans : Classé X
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(Mais j'ai toujours pensé qu'avoir quelques lecteurs de choix est un grand privilège.)
(Du moins d'une plume comme la tienne).
(Oh, tu sais par quel bout me prendre... coquin !)
Alors, je rejoins Ordalie pour te demander la suite. Même si je la connait, je me languis de la lire.
Bises ++++
Bizarre impression de raconter des scènes très proches et en même temps très lointaines. Il s'est tant passé de choses depuis...
Les mêmes avec un + en + !
Non, je t'assure, personne n'est mangé à la fin. Quoique... ça se discute.
Allez, je m'y mets ! Au boulot !