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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 13 janvier 7 13 /01 /Jan 20:20

 

Koh Tao, Thaïlande, début décembre 2013.

 

 

7-eleven 1J'ai rencontré Min à la plage. Ou plutôt, sa haute taille s'est imposée à moi en me cachant le soleil.

J'ai observé ce géant à la peau diaphane, au large chapeau de paille et aux lunettes de soleil stylées mouche. L'ai sur le champ pensé Japonais ou Coréen, avec une préférence pour Coréen.

Le tee-shirt 7-Eleven*, sans doute.

Je ne me trompais pas.

 

Min est un Coréen qui, comme nombre de ses compatriotes, ne parle - hélas - qu'un anglais rudimentaire. Mais Min est, se veut et se réclame différent.

Lui recherche le contact des étrangers.

Lui se déplace seul, surtout pas en groupe.

Se mêler aux hordes de Coréens en vacances, pas question. Quand Min part à l'étranger, c'est pour agrandir ses horizons.

Sauf que Min reste malgré tout très Coréen.

"Tu peux enlever un homme de la jungle, mais pas la jungle de l'homme", avait un jour prophétisé un instructeur de plongée.

Il avait mille fois raison.

Min fuit le soleil qui fait virer au caramel. En Corée le bronzage est jugé laid, voire infâmant - comme (presque) partout en Asie.

Min ne sait pas nager. Se baigner, c'est pour lui marcher sur le sable, à faible profondeur, en agitant les bras. Vu de loin, sa brasse mêlée d'éclaboussures fait illusion. De près, elle attendrit.

Min vit encore chez papa-maman, toujours dans sa minuscule chambre d'enfant. Il la quittera lorsqu'il se mariera, s'il se marie un jour : à 30 années moins une, Min accuse un sérieux retard.

Son frère aîné, également célibataire, est également resté au nid.

Leurs parents s'en attristent : les fils, ça prend femme et ça fait des enfants. À 25 ans dernier carat.

 

Ce n'est pas le seul souhait familial auquel Min a dérogé.

Min n'a pas un bon travail, un qui rapporte. Min une passion, la musique, une guitare qu'il ne traîne pas en voyage et le rêve fou de s'exiler aux États-Unis, à Memphis la patrie du blues. Mais de Seoul à Memphis, oh Americain, long is the road.

Alors Min a tracé une croix sur ses espoirs.

Alors Min cumule les petits boulots pour s'en sortir : livreur, cuisinier, serveur dans un bar branché, où il est vite devenu la coqueluche des filles.

Faut dire que Min est très grand. Très musclé aussi.

- Et je n'ai pas le nez plat ! s'enorgueillit-il dans une moue coquette. Toi non plus, d'ailleurs.

- Mais moi, c'est normal. Je suis Européenne.

Long nose... Il s'étonne du surnom peu flatteur que nous donnent les Philippins. Pour Min, "long nose" est un compliment.


7-eleven 2Au lit Min ne s'autorise pas un mot, ne lâche pas une plainte, ne se permet pas un soupir.

- Ce n'est pas viril. Un homme qui s'exprime ? Une lavette. Honte à lui !

Dans les Love Hotel, on ne doit entendre que les femmes et on n'entend d'ailleurs qu'elles. Souvent à un volume tel qu'elles semblent se livrer à une compétition d'une chambre à l'autre.

- Pendant l'amour, seules les femmes crient, insiste Min. Et crier, elles le doivent, à plein poumons ! Toi, par exemple, tu ne cries pas assez...

Je fixe Min d'un air ahuri.

Voilà bien la première fois qu'on m'adresse ce reproche !


Min affirme que les Coréennes sont superficielles, ne prêtent attention qu'au physique - à commencer par le leur. Mais Min prend également grand soin de son apparence.

Min sait ce qui est tendance et ce qui ne l'est pas. Il a l'oeil du lynx et des avis d'expert sur ma robe, mes yeux, mes fesses, mon tatouage iban, ma chevelure "à couper comme ci, comme ça, jamais".

Ses doigts miment des ciseaux pendant ses lèvres chuintent tchhk tchhk tchhk !

Min m'imagine en lolita. Min me recoiffe en midinette.

- Arrête ! dis-je. Je ne suis pas une poupée !

- Dommage...

Pour me venger, j'étouffe Min sous l'oreiller. Il glousse.


 

Min n'hésite pas à partager ses opinions ni à demander ce qu'il désire. Ainsi, debout près du lit, m'enjoint-il :

- Rhabille-toi, s'il te plaît !

- Pardon ?

Je ne suis pas certaine d'avoir bien compris, pas sûre que mon amant ait bien exprimé sa pensée. Mon désarroi le pousse à joindre le geste à la parole, à mimer, d'une main, l'enfilage d'une veste en me tendant, de l'autre, ma robe.

- Trop tard ! dis-je. Nue je suis, nue je reste !

Min s'assombrit. Il préfère les femmes habillées, rien que pour le plaisir de leur ôter leurs vêtements. Tous sauf leurs dessous qu'il aime palper, griffer, écarter façon étreinte à la dérobée.

- Excitant... souffle-t-il. Comme interdit. Comme dangereux.

Min voudrait de la résistance là où il n'y a qu'abandon.

Min a l'obsession du blanc. Des dessous blancs, donc. Parce que le blanc est pur, délicat, virginal. Les modèles doivent en plus être simples, sans dentelles ni fioritures.

Et pour la matière, Min a son exigence : coton obligatoire.

Pourtant épurée, ma lingerie noire le déçoit. Pas assez candide ni virginale, sans doute.

Je pense à ces Japonais excités par les culottes d'écolière.

Je frissonne, un peu.

 

7-eleven 3Min a l'obsession de la propreté.

Pas de chaussures dans le bungalow.

Pas de pieds non rincés sur les draps.

Pas de caresses sans s'être lavé les mains.

Pour Min, une douche de dix minutes n'est pas une douche.

Alors que, peau savonnée, dents lavées et cheveux propres, je regagne le lit, lui reste à se savonner, se frictionner, s'astiquer à s'en décoller l'épiderme.

Je songe aux grands réservoirs de l'île, déjà à moitié vides en fin de saison des pluies. L'eau douce est ici une denrée précieuse, probable qu'elle soit bientôt rationnée.

Min s'en moque. Une douche de dix minutes n'est pas une douche.

Min a dû me prendre pour une truie.

Mais ça, c'est moi qui m'en moque.

 

Min s'affirme bon amant, en toute sincérité et modestie.

Il va d'ailleurs s'employer à me le prouver. À l'oral d'abord.

- In Korea... commence-t-il en butant sur la première syllabe de son pays comme s'il manquait d'entrain pour le prononcer d'un trait ou reprenait sa respiration, comme si "Korea" était une injure à scinder pour qu'elle glisse mieux.

Mais non, je m'égare.

Min a en anglais la même découpe des mots qu'en coréen. Monosyllabique, poussée d'un fort souffle à chaque entame.

In Korea (donc), one minute stand-by, thirty minutes fucking. Then, finish. Sleep.

Stand-by ? Je lève deux sourcils interrogateurs.

Min lance des bisous dans le vide, pose des paumes furtives sur sa poitrine, son sexe, son derrière.

J'ai compris. Le mot qu'il cherche, c'est foreplay (préliminaires).

Min a néanmoins raison : stand-by est plus évocateur. Là où les anglophones voient l'amorce d'un jeu, les Coréens se figurent une pause, un passage obligé leur ouvrant l'accès à leur désir.

Le droit à la pièce de résistance, en somme.

Je pouffe que le sexe made in Korea semble triste. Une minute de préliminaires, trente de fornication, éjaculation et bonne nuit.

- Yes, yes ! approuve Min. In Korea very sad ! Boring !

Mais Min n'est ni prévisible ni ennuyeux. Ni même trop directif car au lit en Corée, la femme ne bouge pas. Ou point trop.

C'est l'homme qui, prenant les initiatives, la tourne et la retourne, la plie et la ploie.

Devant mes yeux incrédules, Min empoigne un corps aussi imaginaire qu'étendu, le meut, le tord, le secoue avant de le lâcher sur le sommier.

- Aïe ! fais-je. Very painful, no ?


7-eleven 4Min est obsédé par les odeurs. Faut qu'à ses narines ça sente le frais, le neuf, le récuré.

Il faut que mais en vérité, il ne faut pas.

Le pipi doit sentir le pipi, la chatte la chatte.

Je ne souligne pas la contradiction entre les douches interminables et cette revendication sensorielle. Min ne m'écouterait pas.

Là, il lape ma sueur.

Renifle mon sexe, le lèche, s'en délecte.

Enfonce ses doigts dans mon cul, les renifle, les goûte, défaille.

Me demande de vomir dans sa bouche et de déféquer sur son torse.

Je dis non aux deux.

 

Min m'a donné une autre vision de moi-même.

Moi qui me croyais ouverte aux nouvelles expériences, j'ai reculé.

Moi qui me jugeais libérée, voilà que je me découvre coincée.

Heureusement qu'en juin, je pars en Corée !

 

 

 

* Seven-Eleven : chaîne de supérettes très présente en Asie.

 

L'image - sexuelle notamment - de la Corée n'engage que Min. Je n'ai que répété ses paroles. Pour se forger une opinion personnelle, une immersion in situ s'impose. :)  

 

Photos : Doisneau, Zang Huibin, Will Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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