Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Je ne sais pas par où commencer cet article. J'ai essayé plusieurs amorces, mais aucune ne convient. Je sais le centre, je le ressens encore
dans mes tripes, mais pour qu'il soit compréhensible, il faudrait dire la périphérie. Expliquer les chemins à la fois simples et tortueux qui y mènent. Dépiauter l'oignon de ses peaux
protectrices pour arriver au cœur et le mettre à nu.
Retracer, expliquer est long travail qui me fatigue d'avance. Et je ne suis pas sûre d'être au clair avec moi-même, ou tout simplement claire, tant ces trois jours dans mon là-bas ont déjà été
denses et épuisants.
La fatigue physique n'est rien. C'est émotionnellement que je suis vidée. Et encore, entre cette journée et maintenant, il y a eu une soirée avec l'amie d'enfance qui m'accueille.
Une bonne soirée, mais une soirée dure aussi, à parler sans détours ni faux-semblants. Pas le genre de soirée qu'on oublie de sitôt.
N'empêche que je ne sais toujours pas par où commencer.
Je pourrais dire que j'ai été confrontée, que j'ai vu , sans transition autre qu'un bref trajet en
voiture, les deux extrêmes de la vie, mais en inversé : la maison de retraite où des "vieux" finissent
leur existence, puis l'aile de la maternité où la fille de ma belle-mère, une sœur de cœur, vient d'accoucher.
Mais ce serait présenter les événements d'une trop jolie façon. Les situer dans une perspective littéraire, romancée de la vie qui est un perpétuel recommencement.
On naît pour mourir un jour... Tout le monde est au courant, même si bien peu de gens vivent avec cette idée, sauf pour l'oublier.
Penser que l'on là est juste en visite, de passage, et qu'on finira par crever en laissant si peu derrière soi. Qu'on occupe juste une tranche de rien à l'échelle du temps, et que nous revient la
tâche (la responsabilité ?) de la remplir au mieux, d'en profiter ne serait-ce qu'un peu, malgré le balbutiement des jours qui n'ont pas de sens, des épreuves qui nous tombent sur les épaules...
et heureusement, du plaisir, des plaisirs, parfois minuscules, parfois si intenses qu'on voudrait bien une âme et un cœur de rechange pour les accueillir tellement ils sont forts, violents.
Mais moi, je n'ai pas vécu cette journée de façon jolie ni littéraire. Je m'en suis mangé la seconde partie en pleine face, parce que je ne m'y attendais pas.
La lente descente vers la mort de ma grand-mère, je l'accepte par la force des choses. Je sais que chaque visite sera une épreuve, alors j'y travaille avant. Ce qui ne la rend pas facile, loin de
là...
Au moins, je m'y prépare, à défaut d'être prête.
En revanche, je n'étais pas préparée du tout à la vision de la maternité. Ou plutôt à ce qu'elle allait soulever en moi, à ce raz-de-marée
de larmes complètement inapproprié à la situation.
Lorsque je suis arrivée dans la chambre avec ma belle-mère, tout allait bien. J., le papa était là, tout fier, adorable comme leur enfant qu'il tenait dans les bras.
On était contents de se voir, on a papoté, j'ai offert à la jeune maman quelques babioles pour elle et le petit.
Jusque-là, rien à signaler. C'est lorsque les parents de J. sont arrivés que j'ai commencé à me sentir bizarre.
Au début, je n'ai pas compris.
Au moment où la mère de J. s'est penchée sur l'enfant, quelque chose a chaviré en moi. Une dame blonde, aux yeux très bleus, avec un amour si éclatant, inconditionnel, sur le visage...
Soudain, comme en surimpression, j'ai vu ma mère. Et dans cet enfant, celui auquel elle aurait souhaité
donner tout cet amour, mais qu'elle ne prendrait jamais dans ses bras si j'en ai un jour, qu'elle ne
verrait jamais grandir ; et de son côté à lui, l'enfant qui n'aurait jamais la chance de la connaître, de l'embrasser, de l'aimer, de la faire même tourner en bourrique, d'apprécier quelle
femme elle était.
Cette joie que nous aurions pu partager ensemble si elle avait été là, simplement.
Mon cœur s'est déchiré en mille morceaux.
Je me suis levée brusquement pour me précipiter dans la salle de bains. Me suis baigné le visage à l'eau froide en réprimant les sanglots qui m'étouffaient. Ai fait le plus de bruit possible avec le robinet, le séchoir pour que surtout, personne ne m'entende.
L'heure était à la réjouissance, pas à la peine. Cette souffrance est la mienne, la déverser sur une maman qui vient de mettre son enfant au monde aurait été indécent.
Qu'y pouvait-elle, elle ? Rien.
J'avais beau essayer de me reprendre, c'était de pire en pire. Alors je suis sortie pleurer dans le couloir, longtemps, recroquevillée sur moi-même, la tête contre les vitres de la verrière, les
mains pressées contre la bouche.
Ma belle-mère, venue me rejoindre, a essayé de me consoler. Mais parfois, malgré toute la bienveillance du monde, la consolation est juste impossible à trouver, parce que ce qui se joue est
tellement au-delà des mots qu'aucun mot ne peut l'atteindre.
Puis je me suis calmée.
Puis je suis rentrée, seule.
Puis j'ai envoyé un petit mot à l'homme que j'aime.
Puis j'ai repensé à ce bout de chou dans ses langes.
Et puis j'ai eu envie de lui dire ce dont j'avais été incapable dans cette chambre :
"Bienvenue dans ce monde-là, aussi formidable que cruel parfois, en espérant que tu y sois heureux. Tu as deux parents formidables pour veiller sur toi.
C'est déjà un bon départ dans la vie, non ?"
Soigne-toi bien, je t'embrasse fort en attendant de te voir.