Dimanche 16 mars
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Qu'est-ce que vous avez, vous, comme image en fond d'écran ?
Moi, c'est ce dessin-là : un simple mannequin de couturière, vêtu d'un corset rouge, dupliqué sur toute la largeur et la hauteur.
L'image me plaît, peut-être parce qu'à mes yeux, elle résume la féminité. Rondeur de la poitrine, finesse de la taille, courbe des
hanches... C'est toute la beauté du corps sinueux de la femme enclose en deux traits.
Peut-être, aussi, parce qu'elle suggère davantage qu'elle ne montre : les seins naissent de deux ombres, le sexe se devine à peine entre les cuisses absentes.
Peut-être, encore, parce qu'elle est double. Le blanc pur des liserés tranche sur le pourpre du tissu, couleur des rideaux de théâtre ou des
lupanars à cocottes. Et la pruderie victorienne des boutons alignés est démentie par la fantaisie des
rubans.
Chasteté et impudence, vierge et putain...
Ce que disent les premiers, les seconds le démentent : la rigidité n'est que de façade, affichée pour mieux être amollie, pétrie par les mains d'un amant. Bientôt, ce corset caché par les vêtements dévoilera la chair avant de rouler au bas du lit.
Peut-être, enfin, parce que cette femme me ressemble. Forme en devenir, au corps morcelé sans tête, ni bras, ni jambes, traversée de part
en part par une armature en fer forgé. Sans le métal qui la contraint à se tenir droite, debout, elle ploierait.
J'ai choisi ce fond d'écran il y a longtemps, pour toutes ces raisons que je ne me formulais pas encore. D'ailleurs, je n'ai jamais vraiment compris ceux qui optent pour la photo de leur chéri(e)
ou d'un de leurs baisers. En ont-ils besoin pour se rappeler les traits de l'être aimé ou la force de leurs sentiments ?
Jusqu'à une date récente, je pensais que les plus beaux clichés étaient ceux de la mémoire. Ces images capturées de moments vécus, qui n'existent plus ailleurs que dans notre cerveau. Tellement
privés que personne n'y a accès.
Fouillez ma maison, pillez-la, détruisez-la, torturez-moi, vous ne pourrez jamais me les arracher. Dépossédez-moi, je serai toujours
riche de mes souvenirs. Et si un jour je perds la tête, ils s'éteindront avec moi.
Mais voilà... Comme les vieilles photos jaunies par le temps, ces images s'effacent. Leurs contours jadis si nets se diluent, leurs couleurs jadis si vives déteignent.
Notre mémoire n'est plus un épais tissu chatoyant, seulement une guenille qui laisse voir sa trame. Délavée, transparente, immatérielle. Prête à être emportée par le vent de
l'oubli.
Ce vent aurait pu effleurer ma joue à mesure de ton absence. Mais tu l'avais prévu, je crois. Car chaque jour, je peux te voir autant qu'il me plaît. Tu as beau ne pas bouger, ton immobilité ne me
dérange pas.
D'ailleurs, lorsque je suis très fatiguée, j'ai même l'impression que tu t'animes. Que tes yeux bougent et que tu sors du cadre qui te retient prisonnier.
Oui, je sais, j'ai souvent de drôles de visions... Mais comme tu le sais, elle ne sont qu'assorties à mes pensées.
D'autres fois, au gré d'une fausse manip, d'une erreur de touche sur le clavier, tu surgis sans crier gare en gros plan.
J'en ai le souffle coupé, ce qui ne m'empêche nullement de te dire bonjour.
Certains peuples refusent de se laisser photographier, persuadés qu'un cliché volerait l'âme de son modèle. Bien que n'ayant pas cette superstition-là, je leur donnerais pour le coup presque raison
: cette combinaison de pixels, c'est toi entièrement.
Si entièrement que soudain, tu n'es plus là-bas mais ici.
Et je te souris, et je te salue.
Il faut toujours bien accueillir les âmes lorsqu'elles vous rendent visite.
Par Chut !
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Publié dans : Feu mon amour
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