Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Désirer et être loin. Tendre les bras
et ne pas étreindre. L'absence est une brûlure tour à tour tendre et cuisante, apprivoisable ou insupportable. Un mouvement de bascule continu, entre douce torture et supplice chinois : la goutte qui me rafraîchit le front finit par le perforer. Incrustée
dans ma chair comme mes pensées dans mon cerveau.
Et dans mes pensées, il y a toi. Ton sourire, tes mains, tes yeux d'ailleurs, ton demi-sang dans le mien. À fleur de peau, accordés, battant au même rythme.
Ce rythme, c'est le nôtre... ou peut-être le mien seulement, parfois.
Va savoir, tant le doute s'insinue au travers de mes certitudes, affolant la boussole de mon intuition.
Alors que je te crois marcher à tes côtés, n'es-tu pas en retrait ? Glissant dans un espace retranché, une anfractuosité de roche où j'aimerais me couler sans pouvoir t'atteindre, parce que
malgré toi, tu t'y es emmuré ?
Dans l'absence, parfois, on se figure tout. Le moindre (non-)événement devient un cataclysme. La moindre incompréhension un mur à déconstruire pierre après pierre, privés de l'essentiel :
l'expression, les gestes, le regard. Ta main qui se pose sur ma joue pour me réconforter, tes baisers qui effacent ma peur de la distance, de l'impuissance, de la perte.
Puis notre lien se tend à nouveau, chassant les malentendus. Les mots qui coulent de tes lèvres ferment celles de ma brûlure en cicatrice invisible.
Tes mots, mes mots. Prononcés, écrits, tus aussi. Nos blancs, nos ellipses en disent souvent plus longs que nos discours.
Pour moi, ton absence est duelle. À la fois pleine et vide, remplie de tes phrases mais retirée de ta peau. Et ce vide même est certains soirs une brûlure.
Je pourrais m'en défendre que cela n'y changerait rien. Je pourrais le nier que je mentirais : de toi, de si peu et de tant, je suis marquée. De fer rouge et de cuir. De grogs au rhum et de
hot-dogs (cela, toi seul peux le comprendre, et je te vois déjà sourire).
Dans l'attente du tien, mon corps se creuse, mon sexe te réclame. Béant d'être comblé. Remplie de toi jusqu'à en jouir, enlaçant les oreillers qui miment si bien les courbes de ton dos.
Le corps ici, l'esprit ailleurs, je vis
désormais coupée en deux. Partagée entre l'espace que j'occupe et celui dont je rêve.
Un pied dans le quotidien, un dans l'imaginaire.
Une main dévouée au travail, l'autre au plaisir. De celle-là je me caresse et te dessine toi, chantier de mes rêves, en perpétuelle construction dans ma tête. Toujours recommencé et jamais
achevé, tant tu te livres et tu m'échappes.
Ciment sous mes paumes et sable entre mes doigts, si solide et fragile à la fois.
Ce soir encore, j'irai me coucher seule. Mais ce soir encore, je visiterai ta chambre. Ses carreaux de mosaïque détachés sur le
carrelage blanc de l'absence, son rideau ouvert sur le théâtre de mes fantasmes... ou des nôtres, si privés et si partagés.
Lentement, comme une ombre, je m'approcherai du lit où tu es couché. Pousserai ton corps qui repose de biais ou me loverai dans la place que tu laisses pour ne pas te déranger. Te rejoindrai pour
faire l'amour ou dormir. Pour me soumettre à toi ou te dominer.
À moins que ce ne soit l'un puis l'autre... ou aucun des deux.
Qu'importe l'ordre, qu'importent les actes, seul le moment
compte.
Ce moment où les contraintes se taisent, où les barrières s'abattent. Ce moment où notre seule fantaisie nous mène.
L'absence a beau me blesser, elle est nécessaire. Oscillant entre poison et remède, entre douleur du manque et nécessité de la
séparation. Car si elle ne nous était pas imposée, sûrement la demanderions-nous : pour qu'il y ait une suite, encore faut-il avoir tordu le cou au passé, aux histoires qui nous alourdissent. À
leurs échecs qui lestent nos valises, à leurs spectres qui se logent dans nos placards.
Il est des deuils dont on ne peut faire l'économie. Des impasses dont on ne peut se détourner qu'en s'y enfonçant, au risque de se
faire égorger.
Se perdre soi, et du même coup perdre l'autre, tel est l'enjeu terrible et inévitable : se placer au pied du mur pour éviter de se faire rattraper au tournant.
Le "déchoisir" est une douleur, mais aussi une condition de libération.
Une fois passés par tous les cercles de l'enfer (et Dieu sait
combien il compte de kilomètres...), nous pourrons enfin nous choisir. Pleinement et non par hasard, simplement parce tu as croisé ma route et toi la mienne, et que le désir s'en est mêlé.
Nous choisir en toute connaissance de cause, pour ce que nous sommes : imparfaits, fêlés, brûlés mais pas encore calcinés.
Ta
brûlure n'est pas la mienne et je ne prétends pas chasser tes ombres.
Si je les apprivoise, c'est déjà beaucoup.
Ton absence me brûle, certes. Mais pour rien au monde je ne troquerais ma place.
Si tu es en retard, je t'attendrai.
Parce que c'est toi. Parce que c'est moi et que sous le signe du lien je me suis placée.
L'image à elle seule est un symbole. Mais cela, tu l'avais déjà deviné... n'est-ce pas ?
Photo de Jan Saudek, Deep Devotion.
Très très beau texte qui résonne d'une douce et impossible brûlure...
Merci beaucoup Marie... Cette brûlure-là fut très cuisante, presque à me faire passer l'envie de rejouer avec le feu...
L'amusant est qu'au moment où tu écrivais ce commentaire, je t'en écrivais un ! Les grands esprits, peut-être ? :)
Je suis ravie que les incroyables moyens de communication modernes nous permettent de correspondre alors que tu es de l'autre côté de la terre, et simultanément encore! C'est un miracle qui nous permet de se dire des choses aussi sur nos passés et nos présents. Je lis en ce moment ce qui a trait à "feu mon amour". Ce sont des pages magnifiques. Il me semble que la douleur nous fait écrire de belles choses. Peut-être plus belles que le bonheur... "Les gens heureux n'ont pas d'histoire"... Et aussi "il n'y a pas d'amour heureux..."? Mais si peut-être... Merci de ton com sur la Sardine à propos des sites de rencontres...
Mais je t'en prie ! J'aurais voulu commenter davantage mais j'ai un problème récurrent d'affichage des pages (le cadre pour écrire le comm n'apparaît pas, j'ai beau recharger, rien n'y fait).
Oui, cet instantané à des milliers de kms m'émerveille toujours... A peine la fin de l'après-midi en France, plus de minuit dans la nuit tropicale, deux ordinateurs et la distance semble ne plus exister !
Je crois aussi que le chagrin, la douleur sont de puissants moteurs à l'écriture. Parce qu'il y a un réel besoin, une urgence aussi, à se délester d'un trop plein. Et que parfois, l'écriture permet de mettre à distance, un peu. Plus difficile d'écrire sur le bonheur, et souvent moins l'envie de se mettre au bureau quand tout va bien...
L'histoire avec Feu mon amour a été abominablement dure : à la perte s'est mêlée une profonde remise en question de mon identité de femme. L'impression d'un rejet de ce que j'étais, moi, parce que stérile. Et c'est peut-être cela qui a été le plus douloureux, en fait.
Depuis, avec le temps, j'ai intégré cette histoire à mon histoire, et je ne la regrette pas. Reste une cicatrice qui est la preuve que j'ai vécu. Ce qui vaut mieux que pas de vie du tout. Une vie sans cicatrices, marques, bleus ? Impossible. Ils font aussi de nous ce que nous sommes (devenus) et rendent le bonheur et la paix intérieure encore plus précieux.
N'y aurait-il pas d'amour heureux ? Je persiste (et signe !) à croire que si, même s'il a des airs d'Arlésienne. Vaut p'têtre mieux que je passe mon tour sur le sujet, aheeeeem. :)