Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Petit-déjeuner sur la terrasse de la guesthouse avec Eyalh, un Israélien rencontré à Delhi. Varanasi étant pour tous deux la
prochaine étape de notre voyage, nous avions décidé de nous y retrouver.
Nous buvons un café. Une jeune femme franchit le portail. Jeune, jolie, épuisée, chargée d'une énorme valise qui l'encombre, elle a l'œil hagard de ceux qui débarquent en Inde sans se douter de
ce qu'ils vont y trouver : une foule compacte qui se presse partout, vous frôle, vous touche, vous interpelle, vous bouscule ; des gamins qui s'accrochent aux revers de votre pantalon, des
mendiants traînant leur misère dans la boue des égouts, des vieilles femmes qui vous sourient de leur bouche édentée, des lépreux qui vous tendent leur moignon, des culs-de-jatte qui vous
escortent en caisses à roulettes ; des chiens errants qui menacent de vous mordre, des vaches qui vous barrent la route, semant leurs bouses sous vos semelles.
Et par-dessus tout cela, une moiteur tropicale qui colle à la peau, une odeur persistante d'encens, d'épices et de merde.
L'odeur de l'Inde.
La jeune femme demande si la guesthouse aurait une chambre
de libre. Soupire de soulagement car c'est le cas. Prend la plus belle, la plus chère, avec clim' et salle de bains privée pour se requinquer de son long voyage.
À son accent, elle est américaine. Américaine et choquée que des vaches bouffent des tas d'ordures et qu'on les trait pour boire leur lait ; que les pauvres vivent ainsi, en haillons à même le
trottoir ; que des parents laissent leurs gosses jouer dans les détritus ; que des gens crèvent dans la rue et dans l'indifférence générale.
On discute un peu. Elle s'appelle Mandy, doit voyager avec un ami qui n'arrivera que demain. Et qu'après tout ce qu'elle a vu, elle n'a qu'une hâte : qu'il arrive vite !
Là, elle ne souhaite pas sortir de l'hôtel. Seule, c'est en tout cas hors de question. Elle ne supporte pas les regards insistants que les hommes posent sur elle. Le désir qu'elle y voit la tétanise. Elle a peur qu'ils ne l'embêtent, ne l'agressent, ne la violent peut-être.
Nous lui proposons de nous accompagner. Elle accepte avec gratitude et empressement.
Nous nous frayons un chemin dans les ruelles. Mandy nous suit, apeurée, en veillant à ne pas nous perdre de vue. Peu à peu, elle se détend et profite de la promenade.
Nous voici sur un ghât, à regarder le Gange couler à nos pieds. L'instant, calme, est rompu par un éclat de voix. On se retourne.
Un jeune homme tend à Mandy une main amicale :
- Hello, Miss, how are you ?
- Fine, thank you, répond-elle en serrant la paume tendue.
Le gars se fend d'un sourire immense. Il est content.
Aussitôt, son copain se précipite vers Mandy.
- Hello, Miss, how are you ?
- Fine, fine ! lui assure-t-elle dans une poignée de main.
Un homme prend immédiatement la place du copain, suivi d'un autre. Et la scène se répète, quatre, cinq, six fois. Bientôt, une queue se forme pour serrer la main de la jeune étrangère, qui
s'extasie de son côté sur la gentillesse des Indiens.
Je décide d'intervenir.
- Tu sais, Mandy, on ne se salue pas de cette façon en Inde. Pour dire "bonjour", tu joins tes mains et tu les portes à ton front.
- Euh... Tu veux dire qu'on ne se touche pas ?
- Oui, c'est ça. Il ne doit pas y avoir de contact, surtout entre les hommes et les femmes.
Elle jette un regard dégoûté sur sa main, puis sur la foule de ses admirateurs.
- Mais ne leur en veux pas : tu leur as prodigué leur premier orgasme de la journée !
Elle a fait l'effort de rire. Elle était sympa, Mandy. Et moi, ce jour-là, un peu garce.
Photo : Hendrik Kerstens.
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