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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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En profondeur... passion plongée

Mardi 15 septembre 2 15 /09 /Sep 12:41

Barracuda Lake, île de Coron, archipel de Palawan, Philippines.


Il m'a dit que ça allait être chaud.
Très chaud, même. Bien plus que la température de mon corps et davantage qu'un bain bouillant.
- Tu veux plonger sans combinaison ?
J'ai dit oui bien que sous l'eau, j'ai facilement froid.
Au bout de trois quarts d'heure, même par 28 degrés, je grelotte.

Des immersions d'une heure ou plus, j'en ai terminé en claquant des dents, secouée de spasmes et de frissons, racornie dans le vent sur le pont du bateau, détrempée de la tête aux pieds, enlacée à mon paréo en quête d'une chaleur illusoire.
Lorsque la pluie s'invitait à la fête, ma Bérézina était complète.

Depuis ces retours tremblotants à la surface, je ne me jette à l'eau qu'avec deux combinaisons, enfilées à grand peine l'une sur l'autre façon crêpes.
Alors prisonniers de six millimètres d'épaisseur, mes membres ne se plient qu'avec difficulté. J'ai la raideur des bonshommes au derrière plombé de mon enfance, le mouvement saccadé, la sueur au front et le souffle court.
Loin, très loin de Lara Croft et près, très près de la bonbonne Michelin.
Une fois lestée du gilet et du tank de quinze kilos, me voilà tout à fait paralysée. Et lorsqu'il faut sauter du bateau, c'est d'une démarche de crabe que j'avance, pieds palmés en canard, gracieuse comme un manchot.
Vite, un pas de géant pour me délivrer de la pesanteur de ce monde.
Dans l'eau tout deviendra léger, facile, aérien.
L'âne mort de ma bouteille n'aura plus de poids, plus de prise sur mes muscles tétanisés.
La mer est ma délivrance.
Mais puisque là, ça allait être chaud, très chaud, je ne pouvais qu'accepter de laisser croupir sur le pont mes frusques en néoprène. Assez joué le bibendum, place au rêve de plonger peau nue, directement livrée aux caresses de l'océan, sans rien d'autre que mon petit maillot rouge.

Soleil épinard 2Dix mètres.
L'eau est tiède comme un bain dans lequel on a trop mariné mais dont on ne résigne pas à sortir. Les icebergs de mousse retombent en flan trop cuit, la crasse se dilue en flaques huileuses.
C'est l'heure des braves, celle où il faut s'extraire du liquide pour retourner à la terre.
Moi, je vis cette heure à rebours : dans le monde du dessus, elle sonne ce qui s'achève.

Dans celui de dessous, ce qui commence.

Quinze mètres.
Une main invisible a tourné le robinet d'eau chaude. Il coule maintenant à grandes giclées et ses cataractes m'inondent.
Je suis bien, mieux que bien même.
J'écarte les jambes. Un courant s'insinue en rigole entre mes cuisses, glisse en anguille agile le long de mon sexe.
Frémissement de plaisir. Une pensée me frôle :
"Peut-on jouir en plongeant ?"


Vingt mètres.
La main invisible tourne, tourne le robinet.
On m'a menti.
Je ne suis pas dans un lac salé mais dans une grande casserole. Le sable au fond n'est pas minéral mais métallique, sa pente ne s'incline pas vers l'infini mais bute à l'horizontale sur des parois noires.
Celle de la casserole dans laquelle je cuis doucement à l'étouffée.

Vingt-cinq mètres.
La main, ivre de son mouvement, est devenue folle. Ecrevisse
dans son bouillon, je rôtis engluée dans le chaudron de l'enfer.
Je veux protester que je ne suis pas comestible.
Que mon nom est dure à cuire. Que je ne parlerai pas, même sous la torture. D'ailleurs, régulateur enfoncé dans la bouche, je ne pipe pas mot mais regarde mon guide.
Il fait signe de balayer son masque.
Compris. Droit devant, la lumière est mangée par l'obscurité. On n'y voit pas plus qu'au tréfonds du purgatoire.
Avant de plonger, il m'avait d'ailleurs prévenue :
- Le fond du lac est trop sombre, personne ne s'y risque.
Cela sonnait comme une information sauf que j'ai vu ses yeux et dedans, la peur de ce que l'on ne formule pas.

L'angoisse archaïque du chaos, la crainte primitive d'avancer en territoire interdit, trop loin de la terre des hommes et trop près des squelettes des marins perdus, des cimetières d'âmes, des monstres des profondeurs.
Un regard de terreur sacrée mâtinée d'une excitation enfantine. L'avertissement que par trente mètres de fond se tient une ligne de démarcation aussi nette qu'imperceptible, infranchissable même aux hommes poissons.


barbapapa.jpgNous virons de bord et soudain, le paysage me coupe le souffle.

Devant nous, sur le côté, à perte de vue, des montagnes abruptes se dressent, des gorges moutonnent en replis sinueux, des pics lacèrent l'eau trouble de leurs pointes.
Je suis au Colorado ou dans un décor de cinéma conçu par un visionnaire alcoolique, s
ur un Everest débarrassé de ses neiges où je fais de l'alpinisme à l'envers.
Tête en bas, sans un effort, je flotte à flanc de rocher, m'approche et m'éloigne d'une inflexion de palme, serpente entre deux déchirures ouvertes dans la pierre.

Passée de l'enfer au paradis, je nage dans le ciel. Oui, dans le ciel, car autour de moi ballottent des nuages immobiles, prisonniers d'une densité opaque.

Le monde autour est un désert d'immensité, passé sous le vernis d'un aquarelliste.

Lorsque le guide avait plus tôt évoqué "the formation of clouds", je repris étonnée :
"Clouds ? In the sea ?"
Comme il insistait doigts tendus vers le ciel "Yes, yes, clouds", j'avais fini par acquiescer "Clouds in the sea, OK", pensant qu'il se payait ma tête.
Et bien non, parce que ces agrégats de plancton ressemblent vraiment à des nuages. Ou, corrigeai-je mentalement, à des morceaux épars de barbe à papa, petits ou gros, maigres ou ventrus, filandreux et fondant sous les doigts en filets de sucre.
Soudain je suis une gamine revenue à la fête foraine, une invitée surprise dans la chocolaterie de Charlie, une ado allongée dans l'herbe cherchant à donner forme aux boules de coton.
- Là je vois... Le profil d'une impératrice... Un éléphant à hélice qui prend son envol... Un pilon de poulet dans une assiette... 
Lorsque je me renverse, le soleil luit au loin à travers des couches de gélatine. Il n'est ni blanc ni jaune, mais vert.

Vert épinard.
J'ai faim.
Il est temps de remonter.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Samedi 12 septembre 6 12 /09 /Sep 15:39

J'ai devant moi un oiseau ailes repliées.

Et moi aussi je suis un oiseau.

Bras croisés sur le torse, jambes fléchies, je glisse au ralenti. Chaque expiration me fait toutefois descendre un peu plus vite.


Légère douleur dans les oreilles. Je mâchonne le détendeur et avale ma salive, faisant doucement jouer ma mâchoire. Le petit plop caractéristique survient pour chasser la gêne.

Je peux continuer.

 

Un regard vers le bas. Le plateau de corail s'infléchit en pente douce pour tomber en un mur à pic. L'eau, bleu sombre, saturée de particules en suspension, devient noire.

Plus haut, perdus dans la distance, des silhouettes de poissons passent tels des spectres. L'ombre gracieuse d'une tortue nous survole avant de disparaître.


Des reflets argentés allument soudain l'obscurité. Un banc de sardines en feux follets, semblable à de petites torches argentées nous montrant la route.

Tout droit, plus bas.

C'est en effet là que, ombres aspirées par un abysse, nous allons.

 

L'oiseau se tourne vers moi. Je ne vois pas ses yeux, juste son pouce et son index se rejoindre en un rond parfait.

- Tout va bien ?

Je joins à mon tour les doigts pour lui répondre.

- Tout va bien.

Je range ma main à sa place, contre ma poitrine, et bascule sur le dos d'une simple torsion de cheville. Surtout éviter la précipitation, le moindre geste inutile, l'essoufflement qui me ferait brûler mon air plus vite.

Ma palme n'est pas un ajout à mon pied mais le prolongement naturel de ma jambe, ma nageoire terminale. Je n'aime d'ailleurs pas utiliser, comme beaucoup de plongeurs, les bottillons sur lesquels on ajuste la courroie des palmes. Je préfère de loin sentir ma peau agrégée au plastique. Lui et moi fondu en un corps unique.


Dos au noir, visage tourné vers la surface, je m'éloigne encore de la nappe agitée de vagues, miroitant sous le soleil comme une flaque d'or pur.

- Tout va bien ?

- Tout va bien.

Elle est pourtant là, cette oppression désormais familière qui comprime mes côtes et raidit ma nuque.

Nul besoin de vérifier mon profondimètre.

Je sais que nous avons largement dépassé les trente mètres et que je subis le poids de l'eau. A moins que cette constriction ne soit qu'un spasme de mon cerveau, qu'un effet de la narcose à l'azote.

Rien qu'un flux de pensées sans consistance jailli du magma de la peur.

Je regarde l'oiseau devant moi. Ne distingue plus ses yeux mais seul le bout de ses plumes bleues, l'extrémité de ses palmes qui fendent gracieusement la demi-obscurité.

Avec la profondeur les couleurs disparaissent. D'abord le rouge, l'orange, le jaune. Ensuite le vert et le bleu.

Au fond, tout s'affadit, se dilue en blanc, noir, marron. En rouille, rouille comme mes pensées qui voltigent, tourbillonnent, rebondissent contre les rochers.


Et si je prenais mon envol en ballon ivre pour remonter brutalement à la surface ?

L'air contenu dans mes poumons se dilaterait. Soudain trop gonflés, ils éclateraient et, oiseau éventré, poisson mort, je flotterais ventre en l'air, bras en croix, genoux fléchis sous le léger poids de mes nageoires terminales.

Et si je m'enfonçais, encore et toujours, si je ne cessais de m'enfoncer dans le noir, dans la rouille et le magma ? Aurais-je le temps de saisir les plumes de l'oiseau pour l'avertir que je tombe, que je m'écrase au fond, tout au fond ?

Stupide. Personne ne s'est jamais crashé en immersion.

Non, il ne faut pas que j'oublie.

J'ai devant moi un oiseau. Et moi aussi je suis un oiseau.

Un oiseau qui dit merde à la rouille, au magma, à cet ennemi intérieur qui le taraude et le divise.

D'un vigoureux coup de nageoires je dépasse les serres de mon congénère, glisse le long de ses rémiges, frôle le duvet de son cou. Ses yeux se tournent vers moi.

Lentement son pouce rejoint son index en une question muette.

- Tout va bien ?

Lentement mes doigts dessinent le même mouvement.

- Tout va bien.


45 metres 3L'oiseau ramasse un brin d'herbe sombre au fond de l'océan. Il me le tend.

Je le prends et m'aperçois aussitôt de ma méprise.

Ce n'est pas un brin d'herbe mais un lien abandonné par hasard, jeté par une main négligente ou décroché de la cale d'un bateau.

Alors que je le noue à mon poignet, l'oiseau me fait signe qu'il est temps de rejoindre le ciel.

Peu à peu, l'eau se reteinte de couleurs et le lien à mon bras d'orange vif.

Dans l'immensité du bleu, nous ne sommes finalement jamais seuls.

 

 

Ce matin-là, nous avons plongé à très exactement 46,8 mètres.

Les limites de profondeur de la plongée loisir se situent à 40 mètres,
après obtention de la certification "deep dive" (standard PADI).
Cette immersion ainsi que les précédentes à plus de 40
mètres furent pour moi inoubliables.
Merci à l'oiseau de m'avoir fait confiance pour m'ouvrir les grands fonds .
Une sacrée expérience physique, visuelle, psychologique... et nerveuse.

 

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Samedi 22 août 6 22 /08 /Août 18:31

Le matin, je me dis souvent que ce n'est pas possible. Que jamais je n'arriverai à m'extirper de ce lit ni à chasser toute la fatigue de mes yeux. Mon corps est lourd de trop peu de sommeil ou de rêves interrompus, mes muscles tendus en cordes d'arc.
Je me lève cependant et, nouée comme un vieil arbre, je gémis de m'étirer.

Pas le temps d'avaler un café. Quant à prendre une douche, à quoi bon ? Je serai bientôt trempée de sel.
J'avance, hésitante, empoigne au hasard un maillot, une jupe, un tee-shirt. Parfois je mets l'un ou l'autre à l'envers. Mais parfois seulement, tant j'aime à être présentable.
Il paraît qu'en France, les femmes sont élégantes et les hommes romantiques. Nourrissant quelques doutes sur ce dernier point, je défends au moins la réputation de mon pays sur le premier. Et je souris en repensant à Augustino, cet Argentin qui fut mon amant lorsque nous apprîmes à plonger.

La journée, nous jouions les étrangers sur le bateau. Personne n'aurait pu deviner ce qui nous unissait lui et moi au soir tombé, lorsque je toquais, demi nue, à la porte de son bungalow. Il l'ouvrait et s'effaçait pour me laisser passer.
A peine étais-je entrée qu'il mettait de la musique spiralant en tourbillons d'écume dans l'air brûlant, susurrant les paroles à mon oreille. Ses lèvres et la bossa nova me parlaient de pays inconnus, d'amants magnifiques, d'âmes redorées au soleil, de chaleur, de vie éclatante et de mort flamboyante.
Debout aux confins du lit, je me déshabillais d'un seul geste, plantais le drapeau de ma chemise sur le drap replié, me dressais dans l'obscurité telle la figure de proue d'un navire en perdition.
Depuis le rivage du lit il m'offrait sa main. J'y déposai la mienne et la corde de son bras me hâlait pour que nous roulions, ensemble enlacés, sur cette nouvelle terre.
Ces quelques nuits partagées m'apprirent que l'espagnol était la plus sensuelle des langues. Tantôt ronde comme un sein ou abrupt comme un os, tressée de petits raclements à fond de gorge et de r roulant en pointe contre les dents. Quand il commençait à parler, j'enfonçais ma langue dans sa bouche, non pour le faire taire mais pour lui voler un peu de sa magie.

Ces quelques nuits m'apprirent aussi que le sexe, le bon sexe de la bonne baise, se mariait divinement à la plongée. Sûrement parce que l'un comme l'autre, tranchant pour un éphémère instant nos racines terrestres, nous arrachent à nous-mêmes en une suspension.
Lui et moi appelions d'ailleurs ces nuits nos deep dives, nos plongées profondes.
Au milieu de celle qui précéda son départ, je lui dis que j'avais peur d'avoir, le lendemain, trente mètres d'eau au-dessus de la tête.
Une première fois, ça impressionne toujours.


Histoires d'O 2Caressant mes cheveux, il me répondit que je n'avais pas à m'inquiéter. Que ce serait juste comme d'habitude. Que ma crainte ne devait pas être enclose en un chiffre, parce qu'un chiffre n'avait en soi aucune importance.
Tandis que j'approuvais d'un timide hochement de tête, les lèvres pleines d'un "mais" à objecter, il me retourna afin de me pénétrer plus profondément.
Je jouis, très fort, en pensant à tous ces mètres liquides qui me recouvriraient et ne signifieraient rien. Rien hormis que je serais allée plus profond encore. Et que là se trouvait peut-être, au fond, le sens de ma vie.

Au matin, sur le bateau, l'instructeur me tendit son ardoise. Y figuraient dans des carrés les chiffres de 1 à 22, inscrits de façon aléatoire. Les pointer un par un me prit vingt secondes.
- Une fois en bas, tu seras plus lente. Ton cerveau répondra moins bien, tes réflexes s'émousseront. Tu souffriras peut-être même de "nitrogen narcosis" ou narcose à l'azote, plus connue sous le nom d'ivresse des profondeurs.
J'étais prévenue lorsque, accroupie par trente mètres de fond, je répétai l'exercice.
De un à huit, tout roula parfaitement.
À neuf, des pensées subreptices s'immiscèrent entre mes pupilles et mon masque. Un mot en français contre un en espagnol, un poisson aux nageoires trépidant au rythme frénétique d'une samba, une anémone en sexe étale épanouie sur un rocher...
À onze, je revis le visage d'Augustino, l'entendis me souffler qu'un chiffre n'avait aucune importance et restai bloquée, le doigt en l'air.
"On s'en fout du chiffre, d'accord. N'empêche... Il est où, ce putain de douze ?"
J'éclatai de rire dans une myriade de bulles. Des dizaines de bulles crachées par soudains à coups de mon détendeur, rebondissant sur ma tête en tapotements complices.
"Hé, hé, une crainte enclose en un chiffre... Douze comme bouse, ça rime, non ?"
Il y avait à mon avis de quoi franchement se tordre.

Je n'étais pourtant pas ivre. Enfin, je ne crois pas. Le propre de la narcose à l'azote étant de passer inaperçue pour celui qui l'éprouve, peut-être fus-je hors de moi sans même m'en apercevoir. À l'image de ces fous qui, persuadés de détenir la vérité, soliloquent en ivrognes sur un quai de métro.
Lorsque je crucifiai enfin le douze sur l'ardoise, le goût de l'air inspiré avait la sécheresse de la bouteille et celui de la victoire.
De douze à vingt-deux, l'enchaînement fut facile.
Tout compte fait, le compte en bas me prit deux fois le temps du compte en haut.

En remontant à la surface, je songeais à Augustino que je ne reverrais plus, mais qu'importait ?
Il m'avait laissé assez de chaleur pour les jours de grisaille et une certitude : un chiffre en soi ne signifie rien.
Le lendemain, je replongeai avec délices. Par trente mètres.

de façon aléatoire
Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Mercredi 29 juillet 3 29 /07 /Juil 01:55

Puisque se souvenir, c'est revivre encore.
Puisque mes nageoires sont sectionnées, je replonge dans mes souvenirs.


19 mai 2009, Koh Tao, site de White Roc.


L'eau est glacée.

Je tends un bras et ma main, happée, disparaît. Les torches des autres plongeurs dansent autour de moi un ballet blanc. Lorsqu'ils s'éloignent, je suis rendue à l'obscurité.
Les consignes défilent à toute allure : ne jamais s'éloigner de son binôme. En cas de séparation, se chercher une minute sous la surface avant de remonter.
Mais si je remonte, trouverai-je mon binôme ?
Et où est amarré le bateau ?
Et une fois en haut, ne serai-je pas une gommette perdue au milieu de nulle part, hurlant son angoisse et sa solitude à la face des étoiles ?

Les paysages familiers du jour sont devenus hostiles comme ces défilés de rochers s'étranglant en coupe-gorges.

 Ma lampe saisit, au hasard, des tapis de coquillages, des vagues de sable bosselé, des fantasmagories de coraux enchevêtrés.

L'eau est noire, si noire,
 une vraie purée de poix, une étendue de suie à perte d'yeux aveugles.
Oppressée, je nage dans un cercueil, environnée de monstres hostiles et d'algues en cheveux de méduse.
 Je heurte de plein fouet un rocher, bondis de côté, jurant sentir l'étreinte d'une main visqueuse sur mon poignet.
 Des pensées folles me battent les tempes, des crampes me serrent sous la combinaison.
Inspiration, expiration. Saccadées, trop rapides, bloquées à fond de larynx, à rebours d'une règle d'or de plongée : respirer aussi profondément que lentement.
Et respirer, surtout ne jamais cesser de respirer.
Noir autour, blanc dedans. Un blanc comme un manque, un no man's land terrifiant de magma agglutiné, une zone de cerveau nommée panique.
D'un coup de palme, je me renverse en poisson mort et je flotte, sirène agonisante cernée d'une nuit infinie.

Expiration.
L'air mugit dans ma gorge puis dans l'embout de plastique. Un tourbillon de bulles gicle. Leur grondement, seul bruit coupant un silence de plomb, me ricoche aux oreilles.
Mais qu'est-ce que je fous là ?

Plongée de nuit 2Inspiration.
J'inhale dans mon détendeur comme un héroïnomane dans sa paille. Je suis une shootée de l'oxygène, je ne veux pas mourir en bas.
Je pense à ceux que je laisserai sur la terre et au niveau d'air dans ma bouteille.
Je pense qu'ils vont pleurer et qu'il doit descendre trop vite.
"Vas-y doucement...
 You're gonna burn your air too fast, ma jolie..."
Le français et l'anglais s'emmêlent dans ma caboche, d'ailleurs s'emmêler j'ai la trouille, y a plein d'obstacles, de filaments à ventouses et de trucs dont j'ignore jusqu'aux noms, que je ne vois pas, qui vont m'emprisonner, me coincer, me ficeler, me faire crever.


Mais pourquoi, pourquoi n'ai-je pas plongé hérissée d'un couteau comme ce Thaï au corps de lame et au bandeau de flibustier ? Le pirate, comme je l'appelle, avec son tatouage et son cran d'arrêt en bandoulière au mollet ?
Avec un couteau, j'aurais pu me libérer, les dépecer ces putains de trucs et de fantômes, les réduire en pièces, en miettes, les faire valser à tous les diables.
Tronc aligné sur la tête, jambes sur le tronc, palmes sur les jambes, la plongée-corrida enmétaphore de vieje lutte pour ne pas me débattre, ne pas agiter ma lampe en signe de détresse.
En silence je hurle à tous mes fantômes d'aller se
 faire foutre. Bien profond, même.

...

Une fois sur le bateau, au lieu de dire "je déteste plonger de nuit, je suis claustrophobe, jamais je ne recommencerai", je demandai simplement :
- À quand la prochaine ?
47 minutes d'angoisse et je réclame du rab de peur de voir la peur gagner.



Jour pour jour un mois plus tard, même site par 16 mètres d'océan.

 

La nuit est douce mais l'eau toujours froide.
Ethan et moi avons laissé comme convenu les autres plongeurs à des jets de palmes, en tête-à-tête pour notre dernier rendez-vous nocturne avec l'océan.

Dans le noir mâtiné de lune je dessine des lignes droites, des voltes et des virevoltes. Géométrie de paix bercée d'une respiration lente et profonde.
Le faisceau de ma lampe avive le corail d'un violet intense, surprend un bernard-l'ermite rampant à flanc de sable ou un poisson endormi dans un trou de rocher.
Je pense que je n'aurai jamais assez d'yeux pour voir, jamais un cœur assez grand pour goûter à tout ce bonheur sans éclater en mille morceaux.

Ethan  tout proche me tend la main. Je pose ma paume contre la sienne, ferme doucement les doigts en signe d'alliance puis les desserre pour me séparer de lui.
"Laisse-moi nager seule si tu m'aimes. Et puisque tu m'aimes, laisse-moi nager seule."

Cous tordus, mes fantômes se sont fait la malle. Je leur ai entre-temps brisé l'échine.
S
ans couteau, mes jambes me propulsent droit devant, vers un ailleurs qui s'éclaire à mesure de ma course.
Ma seule arme ? Un trident tatoué à la cheville par un guerrier iban.
Je pense que c'est bien assez alors que mon cœur explose.
Je pense d'ailleurs que je ne pense plus.

De retour sur le bateau, j'ai vécu 64 minutes.
Un peu plus d'une heure de félicité à déduire de mon temps sur terre.
Toujours ça d'arraché au néant.


Bien que conforme à la vérité, ce texte pourrait être une métaphore.
Comprenne qui pourra, saura, voudra. Moi, je me comprends. :)

2e photo : Anton Don Greggorio.
Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Mardi 26 mai 2 26 /05 /Mai 17:46

A Koh Tao, je descends du bateau, déjà baignée de bleu. Bleu mer, bleu ciel, bleu parasol claquant en étendard.
Ca sent l'iode et l'huile solaire. Ca sent les vacances.

Le ponton tremble sous le poids des centaines de passagers largués au paradis. Je brûle de les semer là, en pleine ligne droite, pour enfin marcher pieds nus. J'aime le contact du bois chaud autant que les pichenettes du vent capricieux.
Mais à peine ai-je pris le tournant que je suis déjà à destination.


Derrière le comptoir du centre de plongée, un homme me sourit.

Il parle l'anglais que je comprends le mieux et ne parlerai jamais, celui des Londoniens huppés, coulant en bouche comme une glace à la pistache.


Souscription d'assurance. Je signe.

Personne à prévenir en cas d'accident. Je remplis et je signe.

Questionnaire médical. Je ne coche que des non et signe encore.

Motus sur ma claustrophobie, sur mes cauchemars tissés d'enfermement, sur les espaces sombres où je tremble de me trouver piégée, sur ma terreur d'être ensevelie vivante.
Je suis là pour plonger, non pour tourner un remake d'un film d'horreur ou entamer une psychanalyse.

J'ai décidé que mes peurs, somme toute banales, ne seraient pas une contre-indication.

En échange de mon silence, Edwin me remet mon passeport pour l'autre monde : un livre de formation à la couverture bleu océan.

A peine suis-je installée à l'hôtel que je débroussaille la théorie en élève studieuse. M'enfile des séries de termes barbares. Tremble, un chouilla, devant les risques pourtant faciles à éviter. M'amuse de revenir, par un autre biais, à une porte jusqu'alors close : photographie ou plongée, même combat, faut bosser.

Jamais, depuis des années, je n'ai tant dû apprendre.

 

Une phrase que je répétais jadis à mes étudiants me revint avec force :

- Pour jouer, il faut apprendre les règles. Sinon, vous resterez hors de l'échiquier.

Je leur enseignais alors une matière qu'ils détestaient. Beaucoup ont fait l'effort de l'apprivoiser, certains de l'aimer.
Moi, j'aimais l'idée que le travail comme l'amour demandent du temps car, comme dit le renard au petit Prince :

- Chaque jour tu pourras t'asseoir un peu plus près.


Femme poisson 2

 

Coup d'œil à ma montre.

Il est tard, bien trop tard si je veux être en forme demain. Je referme le livre bleu océan, me ravise et le rouvre pour rechercher une phrase de l'introduction.

Une seule.

Voilà, je l'ai.

"La première goulée d'air sous la surface est inoubliable."


Affalée en étoile de mer, je soupire de satisfaction. Mais l'inoubliable avant le naufrage du sommeil n'est pas ce soir la première goulée d'air sous la surface.

C'est la dernière d'entre deux eaux pulsée par le ventilateur.

Et je dors d'un trait lourd, sans rêves ni cauchemars.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Lundi 25 mai 1 25 /05 /Mai 16:55

- Plonger, c'est se confronter à ses peurs, m'avait assuré Adam alors que nous marinions dans la mer chaude des îles Gili.
J'avais acquiescé par hasard ou par logique. Être immergé à des pieds sous la surface, lesté par une ceinture de plomb et relié à la vie par un tuyau, dents serrées sur un embout avec des bulles en guise de mots, oui, cela devait ressembler à un face-à-face avec soi-même.
Un du genre sans échappatoire.

Les pieds arrimés à un rocher, les oreilles bercées de clapotis, j'imaginais sans peine l'alliance du fond et de l'angoisse, l'exacerbation des peurs les plus enfouies, le ressac des vagues et de l'esprit se brisant toujours sur les mêmes rochers.

Face à cet Autrichien si séduisant, je pensais que la solitude absolue devait ressembler à ça : un corps en apesanteur prisonnier du vase clos de ses obsessions.
Dans l'espace, personne ne vous entendra crier. En plongée non plus, surtout quand vous criez dans votre tête.

Pourtant, et peut-être même encore plus à cause de cela, je voulais plonger. Réveiller mes peurs, les affronter et les dominer en une gageure toute personnelle. Mais ce n'est pas que le goût du défi qui m'a poussée, loin s'en faut.

En moi sommeille depuis l'enfance une créature marine. Trop longtemps engluée sur la terre ferme de la ville, j'éprouve la nostalgie de la mer, du vent salé, des paysages râpés du sud.
Je rêve d'horizon et de houle, d'embruns et de courants.
Je me languis de prendre le large d'un coup de nageoire. Insaisissable, fuyant entre les doigts qui tentent de me clouer à un sol auquel je n'appartiens pas.
Vite, retourner à mes terres souterraines de corail et à mes racines d'algues.
On ne se fait pas impunément tatouer un trident sur la cheville par un guerrier iban.
Quant à mon signe astrologique, il est sans surprise : Poissons. 

Au coucher du soleil, je voyais avec envie les plongeurs débarquer des bateaux. Jetais des regards laconiques à mon tuba en songeant qu'avec lui, je n'irais ni bien loin ni bien profond.
De retour en Thaïlande au coeur d'un Bangkok surchauffé, une conclusion s'imposa : il m'était impossible de végéter plus longtemps en surface.
Mon tour était venu de me jeter à l'eau. De donner chair à la métaphore du saut de l'ange. De m'immerger dans le creuset de mes envies et de mes peurs.
Envies et peurs... Les deux faces complémentaires de la même médaille.

J'achetai un billet pour Koh Tao.
Cette gommette dans l'océan serait le lieu de mon premier baptême. L'endroit parfait pour me couler au plus près de moi sans sombrer. Le paradis qui me retremperait de soleil, d'eau, de sel, et me relâcherait de ses flots vivante comme jamais.

A suivre.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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