Présentation

Paroles de lecteurs

Images Aléatoires

  • Borobudur--L-assise.jpg
  • Petite-fille.png
  • Dur, d'être un oursin
  • Junglle-de-beton.jpg
  • Cook

En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

Tic tac

Mai 2024
L M M J V S D
    1 2 3 4 5
6 7 8 9 10 11 12
13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26
27 28 29 30 31    
<< < > >>

Recherche

Profil

  • Chut !
  • Le blog de Chut !
  • Femme
  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.

Flux et reflux

Syndication

  • Flux RSS des articles

Créer un Blog

Jeudi 27 décembre 4 27 /12 /Déc 01:41
À 22, 23 ans, pas davantage, je rencontrai Nathan dans le café que je fréquentais.
Je me souviens, c'était en plein mois d'août. Un brusque refroidissement glaçait l'été, me contraignant à ressortir les collants.
- Il n'y a vraiment plus de saison ! plaisanta-t-il en reluquant mes jambes.
Sur le champ, je le soupçonnai de se ficher du climat, tant qu'il permet aux femmes de dévoiler leurs attributs.
Sur le champ, son aplomb me titilla.
Sur le champ, je voulus en faire mon amant.

Notre premier rendez-vous eut lieu chez moi. Je l'y invitai, persuadée de ne gêner personne : ma colocataire était absente, les voisins sûrement partis en vacances. Je pouvais donc crier tout mon soul sans crainte d'ameuter quiconque.
J'avais préjugé de Nathan - ou de moi-même. Erreur de jeunesse que de croire à la virilité affichée - ou à ma capacité à m'abandonner.
J'attendais un Don Juan qui saurait par son expérience abolir mes résistances. Ou, selon l'expression consacrée, me "faire grimper aux rideaux". Je trouvai un homme certes endurant et motivé, mais impuissant à me faire dépasser le premier carreau de ma porte-fenêtre.
De notre nuit, je me souviens surtout des croissants qu'il ramena à midi passé. Nous les partageâmes à même le sommier, pile à l'endroit de nos ébats. Je devais m'en souvenir le soir, peinant à trouver le sommeil à cause des miettes rassises.

Le deuxième rendez-vous eut lieu sur son territoire. Je ne percevais pas encore la différence, elle allait être de taille. Le seul point commun : lui aussi vivait en coloc, avec un coturne pointant aux abonnés absents. Si je poussais plus loin l'analogie, Nathan avait fait le même calcul que moi.
Le reste fut cependant sans commune mesure.
Dans mon appartement, il m'avait patiemment effeuillée et bécotée. Dans sa chambre, il me défeuilla et m'embrassa à la va-vite. À peine sa bouche eut-elle effleuré mon cou qu'il me glissa :
- J'ai une surprise pour toi.
Je me récriai. Une surprise ? Pour moi ? C'était trop tôt, trop prévenant, trop gentil. Trop tout court.
Nathan me gratifia d'un sourire ambigu.
- Non, non, ce n'est pas trop. Attends de la voir !
Je ne demandais que ça, tiens. Et quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'il jaillit du lit, nu, pour tirer une grosse malle au milieu de la pièce.
Il l'ouvrit pour en extraire un à un ses trésors : une guêpière en vinyle, un godemiché vibrant, une cagoule en cuir, une badine, des pinces à seins, des poids à y attacher...
J'en restai sans voix.

Cette nuit-là, nous avons testé certains de ces accessoires. J'avais du mal à me laisser aller, ils étaient tous nouveaux pour moi. Nathan m'encourageait, m'exhortait à me regarder dans le miroir judicieusement placé.
Je résistais.
D'un côté, je trouvais mon équipement très excitant. De l'autre, harnachée telle une jument de labour, je me sentais ridicule. Pour un peu, j'avais la sensation de tourner un mauvais film porno... s'il en existe de bons.
Sans mauvais jeu de mots, je n'étais pas totalement dedans.


L'aube se profilait entre les volets. Blottis l'un contre l'autre, nous dérivions dans le grand lit.
- Cette malle, je ne l'avais jamais ouverte pour personne... m'a affirmé Nathan.
Je posais alors la question qui me brûlait les lèvres :
- Pourquoi moi ?
- Parce que je savais que tu ne serais pas choquée... que tu l'accepterais... que ça te plairait...
J'ai gardé le silence.
Qui ne dit mot consent. Nathan (m') avait touché(e) juste.

Je suis rentrée chez moi, le corps et l'esprit en vrac. Ma colocataire était là. M'a dévisagée d'un œil acéré. Je me forçais à prendre l'air de rien, ne pouvais briller que d'un éclat suspect. Je tentais de le contenir, mon visage me trahissait.
- Tu as passé une bonne nuit, on dirait ?
Oui, tout compte fait, j'avais passé une bonne nuit. Une excellente, même. Une perturbante, sans précédent. Mais je savais d'instinct, tout comme Nathan savait pour moi, qu'elle ne me comprendrait pas. Me traiterait in petto de pauvre fille, de perverse, de malade, de désaxée. Bref, de tous ces termes commodes qui désignent ce qui nous est étranger.

J'ai esquivé sa curiosité, me suis enfermée dans ma chambre. J'ai repassé avec honte et délice les images de nos corps enchevêtrés.
J'ai voulu les sceller sous une chape de plomb. Mais alors qu'elle coulait sur mes souvenirs, je savais, d'instinct encore, qu'elle n'était pas étanche.
La malle de Nathan était ma boîte de Pandore. Tôt ou tard, je l'ouvrirais à mon tour pour l'explorer, éclairer l'ombre de ses recoins.
Ce n'était qu'une question de temps.
Ça m'a pris dix longues années.
Par Chut ! - Publié dans : Classé X - Communauté : xFantasmesx
Ecrire un commentaire - Voir les 1 commentaires
Mercredi 26 décembre 3 26 /12 /Déc 23:35

Presque-le-pied.png5h du matin. Fin de soirée, ou plutôt de nuit, BDSM. Je suis avec mon ami et soumis dans le "vestiaire" - comprendre : une salle unique où hommes et femmes s'habillent et se rhabillent à la bonne franquette.

Puisque nous goûtons aux plaisirs de la même table, pourquoi ne pas la partager jusqu'aux cuisines ?

Les heures précédentes ont été riches en émotions et découvertes. Les mains lasses, je dézippe mes cuissardes des cuisses aux talons. Libère mes chevilles que je fais lentement tourner.
- Un massage, Maîtresse ?
L'interrogation me pousse à jeter un regard de côté. Un jeune homme est assis sur le siège collé au mien. Pas mal de sa personne moulée d'un haut en latex et d'un pantalon en cuir.

À première vue, sa tenue le classe dans la catégorie des dominants, mais sa question ne laisse aucun doute : en dépit des apparences - souvent trompeuses ici comme ailleurs - il est soumis.
Soumis et désireux de me faire du bien.


Étant donné l'heure tardive, j'hésite. Lui expose que la nuit a été longue pour adoucir mon début de refus.

Il acquiesce d'un air contrit, et ce seul geste a raison de mes réticences.
Il s'agenouille devant moi. Prend délicatement mon pied gauche pour le serrer avec douceur et fermeté. Ses doigts agiles courent sur ma voûte plantaire endolorie, détendent mes orteils crispés.

Sans le savoir, ou peut-être en le faisant exprès, il a touché mon talon d'Achille.


Je me renverse sur ma chaise, lui laisse volontiers ma jambe. Il s'aventure sur mon mollet, le palpe, le presse à petites touches. Esquive le genou, descend le long du tibia, revient à la cheville, reprend son va-et-vient sur mon peton.
Le savant trajet de sa main n'est pas une caresse.

Il ne se la permettrait pas sans mon autorisation.
Pas une caresse, donc. Juste un moment de pur bonheur.

Je me redresse, il se raidit. Je lis dans ses yeux la crainte de ne pas me contenter. Le rassure d'un geste : j
e veux simplement connaître son prénom.

Il s'appelle Yohann, cherche une Domina qu'il n'a pas trouvée. Je me désole pour lui, je me désole pour elle. Elle ignore ce qu'elle rate et ce dont je profite, à la seule différence que mon cœur n'est plus à prendre.

J'avise la laisse accrochée à sa ceinture, le complimente sur sa forme sobre et originale : deux liens de cuir épais entrelacés.
Il me la remet aussitôt, attachée à un collier de cuir noir. Simple et beau lui aussi, il en est la pièce finale et maîtresse. J'ouvre l'attache par curiosité. Yohann, se méprenant, s'avance pour me tendre son cou.
Je n'ai pas la cruauté de lui refuser ce plaisir.
Je le lui passe et le ferme.

Si besoin en était, ce clic métallique scelle nos places, assoit davantage nos positions. Surélevée, impérieuse, je trône.

Inférieur, assujetti à mes caprices, il se plie.
Lentement, mes pieds prennent possession de son visage. Le redessinent, ferment ses paupières, soulignent ses pommettes, pèsent contre son nez, s'introduisent entre ses lèvres ouvertes. Ses dents mordillent mes ongles, sa langue serpente sur mes bas. Je les lui abandonne avant de les reprendre pour mieux les lui redonner.
Me penchant, je saisis la poignée de la laisse, la tire contre ma poitrine. Son torse entravé bascule vers mon ventre. Je le repousse du talon, l'attire de nouveau à moi. L'éloigne pour le rapprocher encore.

En avant, en arrière, nos corps chaloupent et se frôlent en une danse lascive. Chorégraphie sensuelle et parfaitement accordée, sans fausse note aucune. Soudés, rivés, enchaînés, nous tanguons au son d'une musique que nous sommes les seuls à entendre.

Presque le pied bisAutour de nous, des gens passent et s'arrêtent. Emportés par notre ballet, nous n'y prenons pas garde.

Un homme presse mon bras en gage de complicité. Je lui souris sans le retirer. Il se courbe alors sur mes cheveux, les relève pour dégager mon visage, évente de son souffle mon front trempé de sueur.

Acteur et spectateur de notre étreinte, il y assistera jusqu'à la fin.


Yohann me fixe avec adoration. Mes jambes descendent le long de ses épaules, enserrent sa nuque. Alors que je l'étrangle, son sexe trahit son désir.

Je le foule aux pieds en staccatos.

Pianissimo, fortissimo.

Il vibre au rythme de ma partition, épousant le mouvement que je lui imprime.


Soudain, ses pupilles se révulsent.

Il va jouir.
Soudain, la voix du préposé au vestiaire déchire l'air :
- À qui il est, le sac 216 ? J'vais le jeter, j'veux m'rentrer, y en a marre !
Yohann, dégrisé, ouvre les yeux et lève un doigt timide.
Mauvaise pioche, le sac 216 lui appartient.

Autant dire que la séance a fini là.
J'ai retiré mon pied en maudissant cet homme d'avoir empêché Yohann de prendre le sien.
Rond-de-cuir, va !

 

 

Photos : flyer Nuit Elastique ; Elmer Batters.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X - Communauté : xFantasmesx
Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires
Mardi 25 décembre 2 25 /12 /Déc 20:02

Mots pour mauxPendant un an, je me suis enfermée pour jouer au scrabble.
J'arrivai sur le site par Thibaut, une connaissance. Il ne se doutait ni de l'ampleur que prendrait ce jeu à mes yeux, ni de la place qu'il dévorerait sur ma vie.
Moi non plus.

Le scrabble est a priori un jeu innocent. J'en connaissais les règles pour y avoir souvent joué. Mais c'était en famille, contre des adversaires qui se fichaient de gagner : ma mère me soufflait des mots, ma grand-mère enlevait les siens lorsqu'ils prenaient les lignes que je visais. Elle finissait toujours dernière et satisfaite, en répétant que "l'important, c'est de s'amuser".
J'ai joué et perdu en dilettante mes premières parties contre Thibaut. Il était un peu meilleur que moi, plus expérimenté, mieux rompu au maniement des lettres sur le chevalet.

Je ne compris que plus tard qu'on pouvait les déplacer grâce à la souris. Utile pour s'épargner la peine de les combiner de tête...

Thibaut connaissait les petits mots des scrabbleurs et ceux qui nous débarrassent des Q sans U, des K couplés au W.

Vite je rattrapai mon retard. Je battais Thibaut régulièrement, me connectais régulièrement aussi.

En un mois j'étais accro et coulais dans cette dépendance.

À dire vrai je coulais tout court. Ma mère était morte dans un accident. Je ne voulais plus affronter le monde extérieur, plus sortir, plus réfléchir, plus penser.
Livrée à moi-même, je ressassais. Des scènes du passé s'entrechoquaient, des images me crucifiaient. Des phrases décousues tournaient sous mon crâne. Toujours les mêmes, dans un sens puis dans l'autre.
Sans le scrabble la folie m'aurait emportée.
Le plateau vert devint mon horizon bien ordonné, mon univers enclos dans un échiquier, droit, carré, aux contours cernés de lignes. Rien qui n'en déborde, rien qui ne m'en distrait.

À droite, mon pseudo et celui de mon adversaire.

En face, nos scores. Mathématiques, implacables.

En bas, les lettres parfaitement alignées. Les arranger pour faire sens, c'était conjurer le désordre.

Mot pour maux 3Petit à petit ma vie se résuma au jeu. Le matin je me jurais d'y résister. Je craquais en me promettant de me limiter à une partie.

Je la perdais ?

Il me fallait emporter la suivante.

Je la gagnais ?

Il me fallait conforter mon avantage.
Mon travail en pâtissait. Ma vie sociale aussi. Je pestais contre le téléphone, le laissais sonner dans le vide. Je déclinais des invitations pour m'adonner à mon vice. Je me fichais de tout, sauf des points que j'amassais.
Mon classement augmentait. Je franchis la barre des 2000.

J'étais fière. Je visais les 2200.
Plus, toujours plus.
J'abaissais le temps de chaque partie. En quatre minutes, je posais toutes mes lettres, surclassais les plus forts, pulvérisais les autres.


Je connaissais les habitués de la salle, les bons joueurs comme les mauvais perdants. Mon malin plaisir était de leur coller une rouste.
Mon instinct pervers s'aiguisait sans étancher ma soif de compétition.
J'étais devenue une machine de guerre, une obsédée.

J'apprenais des termes dont je ne retenais pas la définition. Je pestais de ne tirer que des voyelles. Je piochais en conjurant les W, pleurais de rage en héritant d'un Q. Insultais le serveur qui me défavorisait, le traitais de vendu. Me masturbais sur les mots compte double, jouissais sur les "compte triple".
Je jouais jusqu'au petit matin contre des gens à l'autre bout du monde. Me traînais jusqu'à mon lit, escortée par les régionalismes québécois. Soulevais la couette en égrenant un chapelet de verbes bizarres. Me couchais bercée par la farandole de lettres qui défilaient sous mes paupières.

Yeux fermés, je continuais à jouer, Piccoli au féminin dans La Diagonale du fou.

 

Une fois, j'entendis la voix de ma mère. Pour railler son frère cadet, ses atermoiements, ratiocinations et incertitudes perpétuels, elle usait d'un terme qui lui allait comme un gant : tâte-mite. L'expression était du patois de je ne sais où et une plaisanterie entre nous.
Bingo. J'ai tiré ces lettres dans cet ordre précis, guillotinées du E final.
Impossible d'y voir un simple hasard.

 

Mots pour maux 2Quelques mois et des milliers de mots plus tard, je pensais à me faire interdire comme les accros des casinos. J'aurais supplié à genoux le site de blacklister mon IP pour me délivrer enfin.

Enfermée à triple tour dans ma prison de mots, je tournais en rond.

Ce qui avait été ma planche de salut se changeait en naufrage programmé.


Maintenant je suis abstinente. Et avec le recul, j'ai compris : les mots isolés sur le plateau étaient ceux que j'étais incapable d'aligner sur la page blanche.

Soit ils me blessaient trop et je devais les polir.

Soit ils s'émoussaient et je devais les fourbir.
Décousu contre bout à bout, maillon contre chaîne. Continuité contre lien brisé.
À moi, à présent, d'en aligner les perles pour reformer le collier.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Lundi 24 décembre 1 24 /12 /Déc 10:46

Le jour où j'ai commencé à trier les affaires de ma mère, le sang s'est mis à couler entre mes jambes.
De semaine en semaine, je retournais à cet appartement d'adolescence à reculons. Je tournais la clef dans la serrure le ventre noué. Je poussais la porte le souffle court. J'avais la migraine, envie de vomir. Un sentiment terrible d'oppression me pesait sur la poitrine.

Au tout début du tri, j'ai saisi un sac dans le débarras. L'ai tiré trop fort. Une pluie drue de besaces, de pochettes, de réticules et de valises a dégringolé sur ma tête. Je n'ai pas eu le temps de m'en protéger. A moitié assommée, je me suis recroquevillée sur le plancher. Dépeignée, hurlante, ivre de tristesse et de rage mêlées.
Pourquoi me faisait-elle subir ça ?
Hors de moi, j'ai frappé les meubles, balayé les bibelots, lancé contre les murs ce qui me tombait sous la main. Piétiné le chaos en invectivant l'absente à travers les pièces désertes.
Pourquoi, pourquoi m'as-tu fait ça ?

Son héritage m'est tombé dessus, je n'en voulais pas. Il était un fardeau que je n'avais jamais sollicité, un poids trop lourd, un poids mort. Mais à mon corps défendant, je l'ai accepté. Impossible de le refuser à moins de me transformer en fille indigne.
Je suis, je dois être celle qui continue. Simple maillon d'une chaîne brisée, forgée bien avant ma naissance, perdurant bien après mon décès.

Souvent, ma mère me disait :
- Tout ce que j'ai, ce sera pour toi.
Je ne supportais pas d'entendre ça. Je ravalais mes larmes, je devenais violente. Je lui disais d'arrêter ses conneries.
D'autres fois, je me mordais les joues et ne répondais rien. Ce que l'on ne nomme pas n'existe pas. Naïvement, je croyais que taire la mort la tiendrait à distance.
Un jour, évidemment, ma mère mourrait. C'est ainsi qu'avance le train de la vie, poussant ses occupants sur la voie ferrée pour laisser de la place aux nouveaux arrivés. Mais ce jour-là, on se refuse à y penser. Il viendra toujours trop tôt.

La mort de ma mère m'a laissée face à la lente invasion qui gagnait son appartement, encombrait ses placards, débordait de ses penderies, rampait derrière le canapé, le dessous des lits, occupant jusqu'au moindre espace encore vacant. Même le vieux poêle à charbon était saturé de fleurs séchées, de cailloux et de brindilles.
Nombre d'affaires figuraient en double, en triple, en quadruple. Cette kyrielle me fendait le coeur. Je ne la comprenais pas. Je ne savais à quoi l'attribuer. Compulsion de la collectionneuse, coquetterie de jolie femme ?
Peu importe. La masse délirante du tout additionné sonnait comme une accusation.
Fallait-il que ma mère se sentît si seule pour dépenser encore et encore, entasser encore et toujours, poussant les meubles pour faire de la place, en achetant de nouveaux pour les bourrer jusqu'à la gueule ?
Le doute m'empoisonnait. La quasi-certitude me rendait malade : je ne lui avais pas assez donné, elle avait rempli le vide de la distance que j'avais instaurée entre nous. La béance d'un amour que, trop égoïste ou trop pudique, je n'avais pas su lui témoigner.

Depositaire 3Ces affaires, elle les avait achetées une à une, il me revenait de (les) payer au prix des larmes.
Combien de fois ai-je lâchement rêvé d''y foutre le feu ? De me ruer dans la cour pour rouler des poubelles sous ses fenêtres et d'y faire basculer l'ensemble, sans y toucher ? D'ouvrir grand sa porte et d'intimer aux passants de venir se servir ? D'appeler les encombrants ou les marchands des puces pour qu'ils m'en débarrassent enfin ?

Insidieusement, la liste toujours ouverte de ses possessions m'écrasait, m'empêchait de dormir, me réveillait en pleine nuit. Fatras incommensurable, arsenic et vieilles dentelles : vêtements remisés depuis les années 60, épousant toutes les modes, les époques, galets ramassés sur les plages des vacances, piles de magazines, étagères entières de livres, bibelots de brocanteur, assemblage hétéroclite d'assiettes, de verres taillés, de saladiers, de couverts en argent, collections inachevées de vieux outils, de médailles...
Les acteurs, les témoins d'existences entières se dressaient devant moi. Celle de ma mère, bien sûr, mais aussi d'ancêtres dont j'ignorais jusqu'au prénom.
A qui donc avait appartenu ce pot de chambre ? Ce bibi en plumes mitées ? Ces robes amoureusement pliées sous housse plastique, empestant l'oubli et la naphtaline ? Cette correspondance en allemand datant de la dernière guerre ?
Ces objets muets, forcément muets, me renvoyaient à un avant mystérieux. Intriguants et hostiles, ils me sommaient de disposer d'eux mais, surtout, de les reconnaître pour leur assigner une place.
Comment l'aurais-je pu ?
Ma mère était morte, ma grand-mère perd la mémoire. Pour toujours et à jamais, la serrure de la (re)connaissance me resterait verrouillée. Les attaches qui me reliaient à mon passé étaient sectionnées, ses deux clefs définitivement perdues.
J'ai beau faire partie du trousseau, je suis la clef surnuméraire, celle qui n'ouvre aucune porte.
Sous le signe du lien brisé(e), mon histoire m'échappait.

Malgré moi, je me retrouvais propriétaire d'objets que je n'avais pas choisis. Et de par la loi, je pouvais en user à ma guise, sans jamais les avoir possédés.
Mais de quel droit pouvais-je éparpiller ce qu'elle a passé sa vie à rassembler ? Vider ce qu'elle a empli, donner ce qu'elle aurait souhaité conserver, piller ses biens sans lui demander son avis ?
Tout héritage est une crise aiguë de conscience, toute transmission une dépossession et une prise de possession : hormis de beaux habits dans son cercueil, le mort n'a plus rien ; le vif, lui, se retrouve à la tête de son cheptel. Berger dérouté, égaré sur les chemins tortueux, rattrapé par testament.
En passant le relais, le mort saisit le vif.



Depositaire 2Pour finir, je voudrais remercier ceux qui m'ont aidée à traverser cette longue épreuve.

Sans vous, mes amis, je n'y serais jamais arrivée. Vous qui, pendant plus d'une année, avez pris de votre temps pour trier, séparer, jeter. Avez puisé dans votre énergie pour nettoyer, porter, empaqueter. M'avez conseillée pour la destination de certains objets, avez accepté d'en recevoir en cadeaux.
Maintenant, grâce à vous, des petits bouts d'elle sont disséminés dans la France entière et même à l'étranger. Le don d'ubiquité, exister à la fois ici et ailleurs, elle aurait adoré.
C'est bien le moindre des cadeaux que je pouvais lui offrir.

Alors, à tous - et à toi qui me liras aujourd'hui ou demain, j'en suis sûre -, merci du fond du coeur.

 

 

Photos : Mauricio Palos, Ken Graves et Eva Lipman.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 3 commentaires
Dimanche 23 décembre 7 23 /12 /Déc 15:51
J'aime Brigitte Fontaine. Brigitte Fontaine m'horripile.

Mamie déjantée, grande bringue dégingandée vêtue de fringues improbables, le visage ravagé par les abus, Brigitte Fontaine est une gueule. Mais surtout, une grande gueule.

Je détesterais l'interviewer. Coriace, la bête ne se laisse passer à la question. Elle a le sens de la formule mais pas celui des convenances. La politesse de la patience, ça la gonfle. Elle se moque des journalistes et de leurs questions idiotes. Elle esquive les autres ou répond à côté... quand elle répond. Elle soupire, éclate de rire à contretemps, s'agite sur son siège, se lève.
En un mot, elle fait son show.

Je l'imagine bien se planter devant la caméra pour jeter :
"Mais je ne suis pas folle, vous savez !"
À la voir, on pourrait en douter. À mieux l'observer, on s'interroge : quelle est la part du vrai, la part du masque ? Si Brigitte souffre de folie, c'est de folie douce. Quand Brigitte délire, elle se parodie avec un clin d'œil en coulisses, qui laisse entendre : "Ah, mes cocos, je vous ai bien eus !"
Brigitte a la clownerie juste des bouffons des rois, qui s'autorisaient à tout dire sous couvert d'étourderies et de bons mots.

Sur scène, poupée mécanique aux ressorts grippés, elle bouge moins qu'elle ne tressaute. Elle ne chante guère, elle récite, elle éructe, elle braille. Elle occupe l'espace, elle vibre, elle donne le tournis.
Un concert de Brigitte, c'est une grosse poilade assortie d'une volée de claques en pleine figure.

Certaines de ses chansons (L'Île*, La Cour*, Belle abandonnée**, Il se mêle à tout ça**...) sont de magnifiques poèmes. "Amour" peut certes y rime avec "toujours", mais sans la facilité des phrases creuses :
L'ombre énorme et brûlante tournant toujours
Était une pesante dame d'amour.


D'autres chansons (La Femme à barbe**, Le Magnum**) sont des champs (chants) magnétiques hallucinés, dignes d'un Breton sous acide, proférés d'une voix martiale. Prodiges d'écriture automatique, tranchante comme un scalpel, aussi brûlante qu'une lame chauffée à blanc. Pliés à sa fantaisie, les mots s'y appellent, s'y enchaînent, métamorphosent la nuit en femme à barbe, venue d'Ispahan ou de Tarbes ; le matin en épée de dieu, lancée pour nous crever les yeux.

La cosmogonie de Brigitte ? Le soleil, fauve en rut qui ne manque jamais son but ; la terre, os disparu dont rêvent les chiens dans les rues ; les astres, bijoux d'or, oubliés par la Castafiore.

Brigitte ou la cacophonie du chaos. J'adore.

* Album Les Palaces.
** Album Genre Humain.

Par Chut ! - Publié dans : Juke-box
Ecrire un commentaire - Voir les 1 commentaires
 
Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés