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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Jeudi 18 novembre 4 18 /11 /Nov 10:18

 

DeuxTon visage tiré est pâle. Venue de ta fenêtre, la lumière très blanche m’éblouit, averse en coulée immaculée m’obligeant à froncer les yeux. Elle dessine un halo autour de ta tête brune et j'ai l’impression de voir un ange. Un ange aux ailes repliées, aux cheveux ras, à la barbe naissante perché sur un canapé crème.

Ici, on n’a pas cette lumière-là. C’est celle de l’hiver européen, du froid et d’un ciel lavé de pluie hésitant encore après l’orage.

 

Tu me dis qu’il n’arrête d’ailleurs pas de pleuvoir. Que tu es fatigué. Que tu cherches du sens à cette vie qui déjà t’épuise, entre embouteillages et temps qui passe trop vite. Trop peu de temps et trop de patients à lever, écouter, soulager, pressé par la tenaille des minutes qui n’en finissent pas de s’égrener.

Tu me dis que tu n’as pas choisi ce métier pour ça. Que tu ne veux pas que soigner les corps, mais aussi apaiser les âmes.

Tu me dis qu’un bout de ton âme est resté dans ma chambre. Qu’elle plane à mes côtés lorsque je dors, ou que je me réveille alors que toi tu dors. Ton âme séparée de ton corps s’étend sur moi pour me caresser, immatérielle présence qui m’accompagne.

 

Tu me dis que me voir est une douce torture. J'ai l’air si proche qu’en tendant la main, tu crois pouvoir toucher ma peau. Mais ta paume ne sculpte que le vide de ton salon incendié de lumière.

Moi, à plat ventre sur nos draps, je t’écoute. Songe à cette chemise bleue enfilée juste avant de te parler. Son tissu recèle encore des éclats de mon parfum, de ta sueur et de la mienne mêlées. En la respirant un peu plus tôt, j’eus un vertige qui me cloua au milieu du salon, gémissante, paupières fermées.

Cette étoffe a l’odeur de toi, de nous, de cette chambre nuptiale de Cabilao.

Je me souviens l’avoir arrachée pour être plus près de toi. Qu’entre nous ne subsiste aucune distance, aucun interstice. Et tandis que tu me pénétrais, j’enlevais aussi mes bagues. Elles roulèrent sur le sol dans un cliquetis que, tout occupés à ne faire qu’un, nous n’entendîmes pas.

 

Tu me dis que t’interroges sur le sens de cette rencontre. Que tu es sûr, un jour, de t’installer dans ce pays à perte de mer, de ciel et de bangkas.

Moi, en chien fusil sur nos draps, je t’écoute. Songe à tes mots tandis que mes joues s’empourprent. J'ai soudain si chaud que j’ôte la chemise bleue. De moi sur ton écran ne subsistent plus que la mèche barrant mon œil et la courbe de mes reins.

Tu tends encore la paume pour ne happer que l’air.

Mais ton énergie volette autour de moi et dilate mes flancs, me donnant l’impression d’être plus grande, plus forte, démultipliée, emplie de petites bulles qui tour à tour s’élèvent, dansent et éclatent sous mes côtes.

Si rarement j’ai connu cette sensation-là. La sensation, non, la certitude, d’être connectée à un autre par quelque chose qui nous dépasse. Quelque chose qui ne doit pas être réfléchi mais simplement vécu, tout perturbant qu’il soit.

Entre tes bras, si je ferme les yeux et lâche, lâche les mots qui tournent dans ma tête, si je me laisse aller, juste aller, à peine présente et concentrée, je sens une vibration, une coulée, un flux tourbillonnant et chaud qui entoure ma poitrine, s'infiltre sous mon sternum, s’agrège à mes fibres et roule dans mon sang.

Parfois aussi je devine une lumière, comme un fluide halo qui me baigne, me protège, me régénère.

Certains parlent de communauté d’âmes, d’autres d’énergie cosmique. Moi, je n’ai simplement pas de mots.

 

Trouble 2Ces sensations étranges n'arrivèrent pas tout de suite. Il y eut en préludes la complicité, l’émotion, les fous rires, puis ta venue dans ma maison.

Plus d’une heure du matin à la pendule. Nos lèvres ne s’étaient pas encore touchées. Trop présents au moment pour en désirer autre chose, nous nous en fichions, je crois. L’intimité de ce coin de canapé nous suffisait.

Peu importe la destination, c’est le voyage qui compte. Et ce voyage-là, aucun de nous n’avait envie de l’interrompre.

A deux heures passées, je te proposai de prendre une douche. Parce qu’inexplicablement, comme si un fantôme tournait le robinet, l’eau s’arrête toutes les nuits de couler.

Tu te déshabillas, porte entrouverte, dans le réduit qui me sert de salle de bain. Lorsque tu en sortis, j’y entrai, mais aucun jet ne frappa mes épaules.

Le fantôme était passé.

 

Tu me dis que tu n’arrêtes pas de me parler en silence. Quand nous étions ensemble, plus d’une fois je t’ai entendu. Un signal indistinct, une autre voix, impossible à confondre avec la mienne, résonnait alors sous mon crâne. Tu entrais en moi comme on pousse une porte et je t’accueillais dans la pièce secrète de mon cerveau.

Après t’avoir laissé à l’aéroport, je filai en ville faire quelques courses. Je n’avais en vérité besoin de rien, sauf de tromper mon désarroi et de reculer mon retour dans la maison vide, pleine encore de tout ce que tu avais emporté.

Je flânais dans les rayons de mon magasin préféré. Et là, égarée entre les anges et les guirlandes de Noël, je t’entendis. Ce fut comme un plop entre mes tempes, un bourdonnement si fort, une présence si évidente qu’ivre, j’en chancelai et m’accrochai aux étagères pour ne pas tomber.

A tout hasard, je regardai ma montre.

Ton avion n’avait pas encore décollé. Nous étions toujours à dix minutes l’un de l’autre. Dix minutes mais déjà un océan.

 

Tu me dis que nous sommes liés. Que mon âme est belle et que je t’ai ensorcelé.

Moi, recroquevillée sur nos draps, je t’écoute. Songe qu’en croyant savoir beaucoup, je ne savais en fait rien. Une autre, Bertille, sut avant moi.

C’était le deuxième soir. Le premier j’avais refusé ton invitation à boire un verre. La longue tablée bruyante de tes amis ne me tentait pas. Et j’étais fatiguée, trop, pour être aimable avec tant de gens. Fatiguée de mes forces abandonnées après l’opération chez la dentiste. Fatiguée de mes yeux brûlants et de mon nez encombré. Fatiguée de me lever avec une perceuse me déchirant les os, de me coucher avec un moteur fou me cisaillant la nuque.

- Tu as l’air épuisée, en effet.

Un peu piquée, je m’étais reculée. Puis ravancée en saluant ta franchise. Ni déguisement ni faux compliments, voilà qui commençait bien.

Le deuxième soir j’étais plus vaillante. Toi sur la chaise voisine, moi sous la guirlande de lumières, nous partageâmes le dîner. C’est alors que Bertille, de passage, s'arrêta pour nous saluer. Que je vous présentai l'un à l'autre. Qu’en nous laissant, elle m’enveloppa d’un drôle de regard, un qui me lançait un message que je ne compris pas.

Il me faudrait pour cela plus d'une journée, ton sexe dans le mien et ta respiration dans ma bouche pour que, comme mue par un ressort, je me redresse. M’extraie du lit, saute nue dans le salon en me frappant la tête pour m’exclamer :

- Bertille savait ! Bertille savait !

 N’importe quel homme m’eût jugée dérangée.

Toi, non. Tu te contentas de sourire.

 

Trouble 4Tu me dis que tu dois raccrocher.

Moi, assise sur nos draps, je t’écoute. Songe que la vie, souvent étrange, est traversée de voyages symétriques.

Nous aurions pu nous rencontrer en Inde il y a cinq ans. Ou plus simplement en France. Mais non, ce fut aux Philippines, alors que tu t’apprêtais à rentrer.

De l’Europe à l’Asie, il y a le sillon de mon chemin.

De l’Asie à l’Europe, l’empreinte du tien.

C’est sûrement moi qui vais te rejoindre, et j’ai peur.

Peur de m’arracher à ma paix pour me prendre mon pays en écharde. Peur de quitter ce soleil brûlant pour me diriger vers l’hiver. Peur que la perte momentanée de ce ciel immense ne rompe notre magie. Peur que ce bref retour soit un piétinement, une désillusion, une douleur ou un arrachement.

Peur malgré l’envie.


Est-ce que tu comprends, mon ange, que je puisse avoir peur ?

 


Photos : C. List et Izis.

Tableau de Leonor Fini. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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