Dimanche 31 janvier
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Je vais bientôt quitter mon île. Alors qu'aujourd'hui j'avais prévu une foule d'activités, bloquée par les
préparatifs de mon départ, je n'ai pu m'atteler à aucune. Épineuses questions de dates et de visas à débrouiller, billets d'avion à réserver sur un site qui marche mal, mails avec une agence
de voyage locale...
La journée y est passée.
Ce sera d'abord un retour dans les flancs des épaves, un partage d'images et de sensations uniques avec Ethan. Là nous fêterons mon anniversaire par trente mètres de fond.
Une année de plus au compteur, spéciale car celle-ci fut de celles qui comptent.
Quand je me retourne, j'ai pour certaines années la sensation d'un temps linéaire, d'une période indéfinie, sans contours, de laquelle rien ne se démarque. Un effort m'est nécessaire pour resituer
les événements, extirper le remarquable du banal comme on extrait des pépites de la boue.
Cette dernière année commença non selon le calendrier, mais au rythme de mon temps intérieur : février 2009, mois où je quittai la France pour un voyage qui changea ma
vie. Ou, plus justement, donna forme et substance à des pistes, des envies jusqu'alors refoulées,
enfouies, esquissées.
Le brouillon a laissé place à l'encrage, à l'inscription sur une page jusqu'alors griffonnée.
En un an je n'ai pas changé, je me suis prolongée.
En un an je suis montée très haut et descendue très bas, à des profondeurs presque insoupçonnées. J'ai prêté attention à la petite voix qui murmurait "par ici plutôt que par là". Me suis
sentie fragile, vulnérable, poupée sans peau prête à se briser.
Mode Terminator encore une fois jusqu'à
la presque résilience, l'accession à ce noyau dur, cette force tapie qui toujours me fait me redresser pour tenir debout. Debout et dépouillée de mes peaux d'oignons, avançant en me
simplifiant, honnête et nue, débarrassée des masques et des faux-semblants.
Blessée, certes, mais sauve. Sauve puis vivante. Vivante puis brûlante.
De mon île et des épaves, ma route m'emmènera à un endroit accessible uniquement trois mois par an, loin des côtes et des sentiers battus.
Ce lieu secret me fait rêver depuis que j'en ai entendu parler. Alors, à moins d'un coup de vent défavorable ou d'une tuile de dernière minute, j'y vais.
Simple, oui. Mais simplicité n'empêche pas serrement de cœur.
J'aime mon île, mon univers, la maison dans laquelle je suis installée. Ma routine de plage, de bars, de livres, de films et d'écriture. Mon intimité particulière avec Ethan, la simplicité de
notre vie commune, notre relation sans étiquette.
Ni couple, ni amis, ni entre les deux. Ni un compromis, ni une soustraction de l'un au profit de l'autre, plutôt une addition de l'un et de l'autre, même si nous n'avons pas fait l'amour depuis
longtemps.
Notre lien se déjoue des cases qui
réduisent, enferment, aplatissent. Confortables, elles offrent une sorte de pré-pensé en prémâché, tracent des limites rassurantes en définition à une relation.
Être amis c'est ne pas coucher.
Être en couple c'est ne pas tromper.
Je n'ai jamais été douée pour ce genre de limites. Ou, formulé sans tenir compte du poids des conventions, ces limites ne me conviennent pas.
J'ai trop de flou pour le clair et l'expérience d'au moins deux relations particulières. Dorian est l'une, Ethan est l'autre. Et j'apprends d'eux comme ils apprennent de moi.
Sur mon île j'ai trouvé mes marques, creusé ma tanière. Mon prochain départ les remet en question.
Je sais qu'à mon retour, tout sera différent. Pas forcément moins bien mais autre. Autre comme on ne se baigne jamais dans la même eau ni ne s'abreuve à la même fontaine.
Probablement ne vivrai-je plus seule dans cette maison avec Ethan. Et peut-être ferai-je, du coup, le choix de vivre ailleurs.
Probablement des personnes que j'apprécie seront-elles à leur tour parties.
Ce soir, j'éprouve par avance la nostalgie de ce que je vais quitter, une tristesse douce et tendre qui m'enveloppe tel un châle.
J'ai la conscience aiguë d'avoir vécu - et de vivre encore - une portion de temps qui ne se répètera plus à l'identique. Lorsque je reviendrai, j'aurai d'ailleurs moi-même changé, riche de
rencontres, d'images et d'expériences impossibles à prévoir.
Mais cette nuit encore à côté d'Ethan je vais me coucher. Heureuse de ce que j'ai mais ne possède pas.
C'est mille fois mieux ainsi, tant ce que nous possédons finit par nous posséder.
Par Chut !
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Publié dans : Au jour le jour
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Si je vous lis (vous êtes même classée dans mes favoris sur mon Mac), c'est en priorité parce que j'aime votre écriture... mais aussi parce que éprise de liberté, vous me faites rêver.
Bonne continuation.
la phrase n'est pas de moi, hélas, mais elle tombait à pic. Puis je l'ai beaucoup entendue ici ces temps derniers, à la faveur de discussions sur la terrasse... Elle fait maintenant partie de mon champ de conscience, un autre sujet de réflexion à creuser.
Ne rêvez pas... Vous êtes au moins aussi libre que moi. Et j'aime vos écrits emplis d'humour, de recul, de sensualité. Je vous ajoute avec grand plaisir dans la liste de mes lectures, en espérant que des lecteurs d'ici vous découvrent à leur tour.
PS/ Je suis toujours gênée par le vouvoiement virtuel. On peut se tutoyer ? :)
A partir de quand les ponts seront-ils rompus?
"Vous avez deux choix :
- faire refaire votre passeport même s'il est toujours valide (bien tiens bien sûr, t'as raison... 6 semaines d'attente au bas mot et une foule officiels de docs à fournir, dont extrait de naissance avec filiation complète. Archement simple, pour ne pas dire impossible, depuis la Malaisie !)
- essayer de passer la frontière, argumenter avec le douanier. S'il refuse de vous laisser sortir du territoire, ben, vous revenez à Kuala... faire refaire votre passeport !"
J'étais abasourdie. Le Bureau central de l'immigration qui me demande... de papoter avec la douane, alors qu'il leur était si facile d'apposer un tampon.
Fin de l'histoire : j'ai quitté le pays en avion, le sourire du douanier en prime. Lui, moins obtus, a vérifié dans son ordi que j'étais en règle en dépit de mon visa effacé (j'avais malencontreusement arrosé mon passeport à l'eau minérale).
Bon, là, vrai, rien à voir, mais je me méfie ! (Puis j'avais envie de raconter cette anecdote dont je rigole maintenant. Sur le coup, j'étais plus que fumasse et bien malade à cause d'une grosse angine).
A bientôt.
A très bientôt, ici ou ailleurs, et toujours avec grand plaisir.