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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 20 janvier 7 20 /01 /Jan 08:59

Le début ici.

 

Kuala Lumpur, deux jours plus tard.

 


Au creux de la poche 5- Alors les gars n’ont pas été arrêtés ? me demanda Pierrig.

- Non, et ils ne le seront jamais… Les deux portaient un casque intégral. Selon les policiers, je n’ai pas eu de chance.

- Mmmh...

- Mauvais endroit-mauvais moment, comme on dit. N’empêche que des rondes nocturnes seront maintenant organisées dans la vieille ville. Sur les bords de la rivière, surtout.

- Y a intérêt !

Pierrick me faisait face sur la terrasse du Village, où j’étais retournée sans hésiter.

Le réceptionniste m’avait attribué un nouveau réduit brûlant mais, précisa-t-il comme s’il me concédait une grande faveur, "avec, attention, un ventilateur à quatre vitesses flambant neuf !".


À mon arrivée, Britta l’Allemande, son copain et les hippies françaises étaient de sortie.

Les autres résidents permanents du lieu, Joe le Mexicain, Ozgeu la Turque et son mari Dante m’accueillirent en amie perdue de vue.

Leur gentillesse me toucha. J’eus l’impression de retrouver une famille du bout du monde, et cette solidarité comptait bien davantage que l’inconfort de la guesthouse.

Nombre d’éclopés auraient sans nul doute préféré choisir un meilleur hôtel, se requinquer dans une chambre dotée d’une salle de bains, d’un matelas moelleux et de l’air climatisé.

Pas moi.

- Comment tu te sens ?

- Plus rassise qu’un pudding. Le chef m’a laissée trop longtemps au four, je crois.

Un pétillement alluma les iris de Pierrig. Il dut penser qu’encore capable de plaisanter, je n’allais pas si mal.

 

La veille lui était parvenu mon mail de Malacca où, entre l’hôpital et la police, j’avais passé une des pires journées de ma vie.

À ce mail il avait répondu en cinq mots :

"Demain 19 heures au Village."

J'avais souri.

Du Pierrig tout craché. Ni questions ni sentiments, du pratique brut de fonderie, presque brutal.

Depuis un an, notre correspondance très hachée m’avait montré que ses messages de Malaisie, ceux revendiquant sa nationalité de papillon éphémère, étaient des exceptions.

Taciturne à l’écrit, le vrai Pierrig fuyait les échanges excédant trois lignes. En attendre des déclarations, envolées ou explications, c’était se condamner à être déçu. Pierrig était lapidaire mais bavard en tête-à-tête, heureusement.

Sinon voilà belle lurette que notre relation se serait délitée.

 

Au creux de la poche 6- Mais tu n’as rien de grave, sûr ?

- Sûr. Enfin… à en croire les médecins.

Il grimaça en observant ma jambe la plus amochée.

Les plaies encore à vif ne supportaient pas le contact d’un tissu, même léger. Aussi portais-je à contrecœur des robes courtes, m’attirant malgré moi des regards dégoûtés ou curieux et des réflexions souvent idiotes.

Comme la veille, où, après avoir scruté mes "blessures de guerre", une Hollandaise s’exclama :

- Toi, tu as eu un accident de moto à Koh Tao, Thaïlande !

- Raté. J’ai été traînée sur la route à Malacca, Malaisie.

Ma répartie lui cloua le bec.

 

J’en ris mais la douleur accompagnait le moindre de mes gestes. Ainsi le trajet en bus de Malacca à Kuala Lumpur s’était-il transformé en véritable épreuve. La station assise me devenait très vite pénible.

Même rembourré, le siège était trop dur et chaque cahot m’arrachait des plaintes.

J’étais toujours incapable de tourner la tête, de me pencher ou de tenir un objet de la main droite.

Ma démarche était lente, pesante, mes mouvements contraints.

Ma propre transpiration me brûlait, de fréquentes migraines m’assommaient.

- Que t’a dit le médecin ?

- Attention, la doctoresse ! Dans cet hôpital public, les femmes ne sont soignées que par des femmes. La mienne était voilée, ce qui, hum, m’a fait bizarre. En consultant mes radios, elle a dit :

"Cent pour cent normal, contrecoup du choc. Les muscles froissés, les entailles, les ecchymoses et les bosses… Réglés en quelques semaines, Inch’Allah ! Soyez patiente et ménagez-vous."

- D’accord. Sauf que courir à l’immigration, à l’ambassade française, voire à la police pourrégler ton problème de passeport, ce n’est pas franchement te ménager…

- Ai-je le choix, Pierrig ?

- Je suppose que non…

- Ah, et la meilleure : je suis descendue de la table sans avoir à me rhabiller !

- Tiens ? Étonnant !

- N’est-ce pas ? Quand j’ai voulu dégrafer ma robe pour lui montrer mon énorme bleu, la doctoresse a crié : "No, please ! No ! No !"

Pierrig gloussa.

- Elle était toute rouge, très gênée et un peu scandalisée, la pauvre... Quant aux policiers, bannis du cabinet, ils patientaient derrière la porte.

- Des policiers ? Mais pourquoi ?

- Procédure habituelle... Ils ont d'abord rédigé ma plainte avant de m’emmener au commissariat central : pas d’ordinateur à la tourist police ! J’ai répété mon histoire là-bas puis ailleurs encore, cette fois devant un traducteur. Trois endroits différents coincée dans une voiture avec sirène, gyrophares et une escorte de policiers. Ils m’ont conduite à l’hôpital et attendue jusqu’au soir !

- Et bien… C’est du service trois étoiles, à Malacca !

- Tu m’étonnes ! Ils m’ont même acheté des chips et du Coca dans un 7-Eleven. Ils craignaient que je ne tombe raide, je crois.

- Mmmh, tu es en effet très pâle.

- Je suis crevée. J’ai besoin de repos…

Je n’ajoutai pas "de sécurité et de douceur".


Au creux de la poche 7Les médicaments me soulageaient, mais les plaies les plus difficiles à cicatriser demeuraient invisibles.

C’était cette sourde angoisse m’étreignant dès le crépuscule, cette panique à chaque véhicule démarrant dans mon dos, l’affolement m’obligeant à bousculer les passants afin de me coller au mur le plus proche.

C’était aussi cette question qui me hantait :

"Comment voyager encore dans de telles conditions ?"

Jusqu’alors j’avais taillé la route avec légèreté. Raisonnable et prudente, certes, mais sans excès. Ma nature ne me portait pas à la méfiance, encore moins à la paranoïa.

Je ne voyais pas en l’autre un potentiel danger, encore moins un agresseur.

Depuis Malacca tout avait changé.


À présent j’avais peur.

Du noir.

Des motards.

Des chauffeurs de taxi.

Des traîne-savates sur le trottoir.

Des mendiants.

Des hommes en général. Des hommes et de mon ombre, presque.

Impossible de faire cinq pas sans me retourner, vérifier que personne ne me suivait.

Un visage plusieurs fois croisé m’apparaissait suspect.

Un bruit inattendu me faisait sursauter, une démarche précipitée dans mon dos me sauver.

Les rues étroites se muaient en coupe-gorges, les entrées sombres en repaires de malfaiteurs.

Mon imagination malade me torturait sans répit et les scénarios catastrophes défilaient, tous plus horribles les uns que les autres. On m’enlevait, on me tabassait, on me détroussait, on metorturait, on me violait, on m’achevait.


Au Village face à Pierrig, je m’interrogeais :

"Comment voyager encore dans de telles conditions ?"

Si les voleurs de Malacca n’avaient pas pris mon sac, ils m’avaient pris davantage : mon insouciance, mon bien-être et ma confiance.

Comment voyager encore dans de telles conditions ?

Peut-être avais-je été molestée parce que ce soir-là, je fus la première à longer la rivière. Le mauvais endroit au mauvais moment, ainsi que l’affirmait la police.

Peut-être. Mais j’étais convaincue, moi, que ce peut-être n’était qu’un mensonge.

La vérité ?

J’étais seule et surtout, j’étais femme. Une proie facile. Une qui n’avait pas la force d’un homme. Une aisée à jeter à terre, à traîner telle une marionnette sur le goudron.

Pouvoir de dissuasion zéro, capacité de représailles nulle.

Sous l’écorce de la peur une lame de fond couvait, grosse d’autres sentiments qui en moi se levaient.

L’indignation.

La rage.

La révolte.

Le refus de plier devant cette peur étouffante, de la laisser me dicter ma conduite, restreindre mes déplacements, écorner ma liberté.

Cette peur ne devait pas gagner, non. Car alors, oui, mes agresseurs m’auraient tout pris.

 

 

Photos : Leah Gordon, Marcel van der Vlugt, Jan Saudek. 

Par Chut ! - Publié dans : Voyages, voyages - Communauté : les blogs persos
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