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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Vendredi 15 octobre 5 15 /10 /Oct 15:06

 

de l'autre cotéMa chambre est un rectangle qui donne sur la mer. Vert pomme défraîchi, sans un meuble de trop et avec des rideaux en crochet suspendus devant la moustiquaire. On peut me voir au travers, surtout quand la lampe est allumée. Mais encore faudrait-il se tenir à distance, sur une barque, ou sur le balcon, à deux pas du lit.

Les draps s’ornent d’un dessin bleuté, naïf. Ils sentent le vent et la lessive, réminiscences rassurantes de vacances dans de vieilles demeures où le linge de maison était lavé avant l’arrivée des hôtes. Malgré leur forme de briques inconfortables, les oreillers sont étrangement moelleux.


La commande de l’air climatisé ne commande plus rien. Tant mieux, je n’aime pas ce souffle artificiellement refroidi qui me rend malade. Un ventilateur fait très bien l’affaire.

Le lavabo de la salle de bains ne fonctionne pas. Tant pis, il y a le robinet à ras de terre pour remplir le petit baquet.

La douche, faiblarde, n’a que de l’eau froide à offrir. Peu importe, j'ai oublié ma dernière douche chaude.

Pour écrire, ni table ni fauteuil. Fesses sur un coussin, jambes pliées sous la vilaine chaise qui soutient l’ordinateur, j’improvise en utilisant le sommier comme dossier.

 

Dehors il y a des cris d’enfants, des bribes de conversation anglaise, des clapotis de vagues. Les nuages qui se massent et annoncent une averse prochaine ou une coupure de courant, comme chaque soir. De ça aussi je me fiche, tant que l’ordinateur a suffisamment de batterie. Et si elle est vide, qu’une bougie prenne le relais.

Hier, à demi-nue sur le plancher, j’ai lu à la flamme vacillante. La Virevolte de Nancy Huston, un roman qui me fit éprouver un amour immédiat pour son auteur. Il ne ressemblait à aucun autre et son étrangeté m’avait fascinée.

Couchée au rez-de-chaussée de la maison bretonne où j’avais vécu un an, je dévorai ce livre, repartis le lendemain à Paris avec mes affaires dans un camion.

C’était le début d’une nouvelle vie.

C’était il y a exactement onze ans.

 

Onze ans plus tard, le même livre mais un autre pays, une autre chambre, un autre univers intérieur. Onze ans de vie m’ont mûrie, imprimé des griffures au coin des yeux et de la bouche.

Je ne suis plus un fruit vert, pas une vieille femme non plus. Une femme différente, oui.

Les voyages de ces dernières années m’ont changée. Cette nouvelle vie asiatique encore davantage, sans que je ne parvienne à vraiment mesurer l’ampleur du changement. Souvent, je me doute seulement qu’il est là. Parfois, je le vois dans un éclair aveuglant.

Et lorsque je me retourne, je ne comprends plus. Ce qui les pousse à courir, ces amis restés en France, courir toujours plus vite, prisonniers d’une course folle qui leur prend tout leur temps. La tête fourrée dans le guidon sur un vélo qui roule tout seul, étranglés d’obligations dont ils s’affirment les jouets mais que, victimes consentantes, ils ne cessent d’allonger.

 

de l'autre coté 2Des trois personnes qui m’étaient les plus proches, deux pointent depuis des mois aux abonnés absents.

Cet ami qui argue qu’il est en période d’essai. « Challengé », écrit-il. Challengé comme s’il était un cheval de course, prêt à être débarqué à la moindre ruade, au moindre écart. Alors il file droit.

Cette amie qui a toujours fonctionné en remplissant son agenda à bloc pour déjouer son pire ennemi : le vide. Le creux ne lui est pas respiration, il lui est crainte, angoisse, mort.


Pour certains, les contraintes, la liste infinie des choses à faire sont l’armature qui leur permet de tenir debout, leur corset aussi épuisant que nécessaire. Délacé, il les ramènerait à eux, à leurs désirs pressants ou dérisoires, futiles ou essentiels, pour occuper ces instants de vacance.

Le problème est lorsque la clef des désirs a été perdue, la communication de soi à soi-même coupée, le goût des menus plaisirs altéré.

Faire brûler un bâtonnet d'encens et rêvasser devant la fenêtre entrouverte. S’allonger entre des draps frais et respirer à petites bouffées l’oreiller. Se mettre du vernis ou savourer du chocolat.

Ne pas être productif mais paresseux, d’une oisiveté jugée socialement coupable mais en vérité si délicieuse.

« Ne rien faire », « gober les mouches », « bayer aux corneilles » comme le disait mon père dans une condamnation, ignorant que ce rien est déjà beaucoup. Une obligée pause de l’âme, une reprise de souffle dans un quotidien dénué de poésie.

 

J’ai été, moi aussi, un bon petit soldat. Une guerrière travaillant ses douze heures par jour, week-end compris. Rompue de fatigue mais fière d’avoir abattu la besogne à date convenue, flattée de surcroît d’être si sollicitée. Mon nom, ma réputation circulaient. Trop, car bientôt je n’eus plus une minute à moi, juste l’impression qu’au matin on introduisait une paille dans mon cerveau et que tout le jour durant, on me l’aspirait.

La nuit ne me reposait pas. Je me relevais à tâtons pour noter une idée, qui sinon serait perdue. M’éveillais en sursaut, épouvantée d’avoir oublié une commande.

Mon bureau était mon appartement. Je n’en sortais que pour promener le chien, acheter des cigarettes, remplir le frigo et voir l’homme que j’aimais. Deux petites soirées par semaine alors que nous n’habitions qu’à cinq minutes.

 

Grisée, je frôlai le burn out sans m’en rendre compte, encouragée dans ma folie par cet homme qui bûchait autant que moi. Je gagnais bien plus que lui, subvenais même à certains de ses besoins, mais attention : son travail à lui était sérieux. C’était l’hôpital pour ses gardes, le laboratoire pour sa thèse, la perspective d’un poste et d’une publication dans un journal émérite si ses recherches aboutissaient.

En comparaison, mes publications prêtaient à sourire. Bonnes à être balayées d’un revers de main dans un chœur de médecins, ou à être mises en avant « pour le folklore », sous l’appellation d’artiste.

Je sentis qu'une partie de l'amour de cet homme tenait à cela : j’étais active, mais jamais mon activité ne lui ferait de l’ombre. Jamais nous ne serions rivaux et jamais je ne lui demanderais de limiter son activité pour voir la mienne prospérerMalgré moi, je me glissais dans la future case de ces « épouses de spécialistes en blouse blanche » vouées à la réussite de leur conjoint et à l’intendance de leur maison, femmes au métier si atypique et rafraîchissant qu’il en reçoit le nom de hobby.

Lui tenait des vies à bout de bras. Qu’il se trompe de diagnostic et ses patients mourraient. Moi, je ne tenais que mon stylo. Et à un moment, j’en eus assez. Assez de m’échiner comme une forcenée. Assez de cette course où l’on gagne au final si peu. La vérité est qu'on n'est jamais aussi nécessaire qu'on nous le fait croire.


de l'autre coté 3Ma vie professionnelle est une décroissance assumée. Ma vie intérieure, une croissance avec ses rechutes, ses lignes brisées, ses piétinements, ses reculs et avancées.

Avant, les opinions des autres sur moi m’importaient beaucoup. A présent, sauf s’il s’agit de personnes proches, elles ne me touchent plus guère.


Par exemple, lorsque j’occupais le bungalow, j’avais un voisin. Anglais comme Ethan, free-lance, joyeux drille et noceur. Nous aimions bavarder, plonger et siroter des bières.

Un soir, je ne trouvai plus la clef de mon logis. Toquai, embarrassée, à la porte de Ryan. Il proposa de m’héberger pour la nuit. Se déshabilla sans complexes en m’avouant :

- J’ai envie de toi.

J’étais libre de refuser mais acceptai. M’allongeai sur le sommier qui, de l’autre côté de la cloison, prolongeait le mien, inaccessible. La nuit n’eut rien de mémorable et au matin, nous nous levâmes pour plonger. Après le déjeuner, je retrouvai la clef au fond de mon sac.


Nous nous invitâmes quelquefois, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre.

Un soir où j’étais épuisée, Ryan tambourina à ma porte. Je lui ouvris un peu revêche. Il se jeta, soûl et hilare, en travers de mon lit. Entreprit de régler le ventilateur et le cassa.

Je le chassai en grommelant que les Anglais ne savent décidément pas boire.

Nous en rîmes le jour d’après, complices. Complices encore lorsque j’entrepris de verbaliser les règles entre nous : aucune fidélité exigée, aucun compte à nous rendre, liberté de corps avec qui nous plaisait. Discrétion souhaitée, en revanche, puisque nos chambres se touchaient.

Ryan approuva.

 

Lorsque je rencontrai mon bel amant blond, Ryan confessa que la jalousie venait le chatouiller. Oh, pas trop fort, juste à peine. Mais, affirma-t-il avec force, cela ne me regardait pas. Et ça lui passerait, si tant est que ça l’avait pris. Quand les deux hommes se trouvèrent nez à nez au matin, il me sembla toutefois que celui de Ryan s’allongeait.

Une semaine plus tard, il proposa de me ramener quelques courses de la ville voisine.

- Que voudrais-tu ?

- Du bacon, répondis-je.

- Pas question que je t’en rapporte !

J’ouvris des yeux perplexes.

- Pourquoi ?

- Parce que je suis végétarien.

- Mais je ne te demande pas de le manger, simplement de l’acheter !

- No way.

Je haussai les épaules, le taxant dans un sourire d’extrémiste.

Au crépuscule nous dinâmes avec trois autres personnes. Ryan, si aimable jusque là, me lança brutalement :

- Tu m’as bien traité d’extrémiste ce matin ?

- Exact.

- So… Fuck off !

Un silence de plomb tomba sur la tablée.

- FUCK OFF, you frenchy !

- J’ai compris, pas besoin de crier si fort. Et, au fait… merci.

Ce fut la dernière fois que nous nous adressâmes la parole. Durant les semaines suivantes, nous nous évitâmes avec un soin pointilleux. Opération d’autant plus facile que j’étais clouée au lit.


Avant, j’aurais cherché des raisons à cette violente volte-face ou désiré des excuses. Mal vécu ce voisinage forcé, cette ostentation à agir comme si je n’existais pas. J’aurais également été blessée, désappointée par une amitié trompeuse qui s’achevait dans une inexplicable grossièreté.

Là, j’ai laissé filer. Ryan avait des raisons que ma raison ignorait. Elles lui appartenaient et au fond, je m’en fichais. Eperdument.

 

de l'autre coté 4Avant, j’étais également réceptive à ce que l’on attendait de moi. Détestais décevoir et m’estimais engagée si j’avais donné le début d’un consentement. Me jugeais traîtresse de reculer alors même que la donne avait changé.

A présent, je sais mieux dire « non ». Poser mes limites si ce qu’on me propose ne me convient pas, ou plus. Si un échange me laisse frustrée, l’évolution d’une relation dubitative ou peinée.

C’est toujours difficile, souvent douloureux, avec les amis. Quelques récentes mises au point ne m’ont pas rendue joyeuse, mais je les crois nécessaires. Salvatrices, pas forcément, car j’ignore ce qu’il en sortira. Pas que du bon, hélas.


Au bout d’une petite année loin de l’Europe, un constat s’impose : à l’exception d’Ether, mes proches et moi nous sommes éloignés, et pas que géographiquement. Impossible pour eux de visualiser, d’imaginer ma vie ici, ses contraintes, ses bonheurs et ses battements.

Paysages, nourriture, activités, relations sociales, codes, coutumes… Je suis dans un autre monde, très différent de celui que j’ai quitté.

Mon quotidien est tissé d’inexprimables, d’images qui n’ont de sens que pour moi, comme une photo qui aux autres serait présentée blanche, sans légende pour la décoder.

Certains sont persuadés que, puisque j’habite sous les cocotiers, ma vie est un long rêve. Ce n’est bien sûr pas si simple.

En partant, je ne pensais pas que se creuserait un tel décalage.

Toute chose a un prix. Celui de la liberté est, je le crains, une relative solitude.

 

 

 

Photos : Manuel Alvarez Bravo, Daido Moriyama,

David E. Sherman, Elisa Lazo de Valdez.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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