Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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La sorcière me tendit sa lanterne en m’ordonnant de prendre un bonbon.
Je glissai ma main dans la citrouille en plastique, évitai la bougie et pêchai un chewing-gum.
- C’est bien la première fois qu’une créature de l’au-delà m’offre une sucrerie ! m’esclaffai-je.
- You’re welcome, Mâ-âm !
La voix sortait étouffée et bizarrement aiguë de derrière le masque. Sous les os du crâne grossièrement peints, je devinai un sourire.
Le mort-vivant prit la sorcière par le bras. Tous deux se détournèrent pour poursuivre leur chemin, éclairés au lampion qui pendouillait à son fil.
Je repassai devant le bar où le propriétaire de ma maison éclusait de la San Miguel, la bière nationale, dans une énorme chope.
La soirée avait dû commencer depuis un moment. Il était tellement ivre qu’il aurait fait du gringue à un barreau de chaise.
Son anglais s’emmêlait à son allemand et son accent, plus épais que jamais, devenait si guttural et râpeux que je peinais à le comprendre.
Mais au travers de ses phrases hachées je saisis l’essentiel.
Il savait que je devais partir pour un moment.
- Probablement une semaine, peut-être un peu plus, avais-je annoncé.
La semaine avait passé. Puis une autre. Et une autre encore sans qu’il ne me croise à la plage. Dans la maison, sur la terrasse, il n’y avait plus de lumière. Il finit par s’inquiéter, s'obligeant toutefois à la patience.
Encore deux jours et il viendrait aux nouvelles.
- Je me demandais vraiment où tu étais passée, si tu allais bien. J’ai pensé à un accident, à un retour précipité en France...
Lui et moi n’avons jamais été intimes. Nos rapports se bornent au paiement du loyer, aux réparations à effectuer dans la maison, à de brèves conversations de bar.
Sa sollicitude me toucha.
- Good evening, Mâ-âm ! me lança une silhouette sur la route.
Je répondis en pensant au cortège des saluts qui m’entourait depuis la veille. Aux Long time no see !, Hey, where have you been ? des gens que j’ai croisés.
Expatriés de tous pays, habal-habal (conducteurs de moto-taxi), serveuses de mon restaurant préféré, masseuses sur la plage… toutes ces personnes que, pour la plupart, je connais qu’à peine mais qui ont remarqué mon absence.
- Non, non, je n’étais partie. Mais bientôt, en décembre, oui…
J’ai songé que c’était peut-être cela, être chez soi. Avoir un point fixe auquel retourner plusieurs semaines de suite, des habitudes qui rythment le quotidien, le sentiment de laisser une place vide quand on part.
Et des détails aussi minuscules qu’un double de clés caché sur la terrasse, dans un pot de fleurs ; qu’un bon livre gardé sur l’étagère pour un plaisir longtemps différé ; qu’une robe aimée accrochée dans la penderie ; que des affaires achetées peu à peu pour embellir, faciliter, améliorer le quotidien.
Il y a neuf mois, j’arrivai ici avec quelques pantalons et tee-shirts, le sac rempli aux trois quarts par ma combinaison de plongée, mes palmes, mon masque, ma trousse à pharmacie et des bouquins.
Un pas grand-chose qui me semblait déjà bien lourd à traîner.
Je refusais de me charger davantage.
À quoi bon, puisque bientôt je retracerais la route ?
Un maillot, la mer, une robe, mon ordinateur et quatre produits de beauté me suffiraient largement.
Pour être heureuse, nul besoin de plus.
Puis, à mesure de mon installation imprévue, j’eus envie.
De confort, de fantaisie et de superflu.
De rideaux de perle pour orner les portes défraîchies de la maison.
De patères et de cintres pour suspendre mes vêtements.
De verres et de tasses pour ne plus boire dans des gobelets en plastique.
De haut-parleurs pour écouter ma musique.
De ceintures coordonnées à mes boucles d’oreille, elles-mêmes assorties à mes sandales.
D’une longue chemise en soie, crème comme un nuage café au lait, pour dormir.
D’un vrai sac à main à porter en bandoulière, avec plusieurs poches.
Petits achats qui n’ont l’air de rien mais qui, pour moi, avaient le goût du luxe. Un luxe qui finira une fois de plus dans un carton.
On the road again, again...
Dernière photo d'Emmanuel Sougez.
Il semble que le petit tour de "machine à laver" ait marqué la fin d'un cycle.
Et si on a bien lu, nul doute que le prochain sera plus que jamais sous le signe de l'envol. Un ange sur l'épaule, ça vous donne de ces ailes.
Un peu plus haut et je perfore la stratosphère...
Merci, Slev. Depuis le temps, toutes ces peaux et ces espoirs.
Et le carton finira où? ;-))
Chez Bertille, semble-t-il. :)