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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Samedi 11 décembre 6 11 /12 /Déc 20:16

SakitSeize heures. C’est le milieu de l’après-midi, presque le début du soir. Sous les tropiques, la nuit tombe tôt. Vers cinq heures et demi, quelle que soit la saison d’une latitude qui n’en connaît que deux : la chaude et sèche ou la chaude et mouillée.

Je souris en repensant à mes arrivées à Bangkok. A cette gifle d’étuve lorsque s’ouvrent les portes de l’aéroport. A chaque fois, les premières minutes, l’humidité brûlante m’étouffe, me forçant à ouvrir grand la bouche pour ne pas suffoquer. Inhalation brutale d’une saveur désormais familière, âcre mélange de sueur humaine, de gaz d’échappement et de caoutchouc brûlé.

Pour qui débarque d’Europe, l’air des tropiques est pire qu’un drap violemment rabattu. Il a la densité d’un vêtement trop lourd et serré, l’épaisseur de la fatigue d’une nuit sans sommeil. Cet air en étau aux mâchoires trop ajustées est l'étreinte qui signe mon retour à la maison.

 

Je traverse lentement la grande place. Ombragée d’un chapiteau et ouverte à la brise, elle a des airs de vacances en terrasse. Pourtant, personne ne musarde près de ses arcades. Personne, non plus, n’y est attablé. Déserte, elle est tranquille, si étrangement calme au milieu de cette ville trop bruyante.

La karenderia ou petit restaurant local est fermé. Les marmites trônant d’habitude sur le comptoir de bois ont été rangées. Lorsqu’elles sont pleines, on en soulève les couvercles sous l’œil de la cuisinière qui, selon les goûts de chacun, recommandera ceci plutôt que cela.

Un regard aux mets et on fait son choix.

Le frigo n’est pas utilisé pour stocker les plats. Cuisinés au matin, ils restent toute la journée dehors et sont servis froids. L’ambiance est comme les récipients en plastique, chaleureuse et sans chichis, à la bonne franquette d’une table pas franchement propre et d’un sol parsemé de détritus.

Un coup d’éponge, un coup de balai et hop, il n’y paraîtra plus.

 

Sakit 2

Encore quelques pas pour laisser le chapiteau dans mon sillage.

Je m’arrête.

Réflexologie plantaire, clame la pancarte de toutes ses majuscules.

C’est bien là que Bertille m’a emmenée il y a quelques mois. Je reconnais la porte branlante et l’affiche au pied malhabilement dessiné. Sa plante ressemble à deux oranges écrasées, ses orteils à des huîtres collées sur un rocher. Punaisé en dessous, un panneau récapitule les horaires de travail.

Samedi. Fermeture à 21 heures.

Moi qui craignais de me heurter à une porte close, me voilà rassurée.


J’entre. Depuis la dernière fois, rien n’a changé. L’air est toujours aussi moite en dépit du ventilateur turbinant à plein régime, la pièce aussi petite, le mobilier aussi usé.

Construite jusqu'à mi-hauteur, une cloison s’orne d’une moustiquaire. Le fin grillage découpe au cordeau la pièce attenante. Des hommes y vont et viennent mais la plupart, assis en duos, ne bougent pas d’un pouce. Parfois rompu par un rire vite réprimé, le silence est recueilli, l’atmosphère studieuse.

Je plisse les sourcils. Mais que font-ils donc là-dedans, tous ?

Je me promets de vérifier en sortant, et jamais n’aurais deviné que, concentrés, passionnés, ces hommes jouent. Aux échecs.

 

Sakit 3bisLa patronne s'arrache de son livre de compte. Me souhaite la bienvenue en visayan. S’enquiert de ce que je désire.

Je lui désigne mes pieds et elle, une des chaises en plastique.

J’y attends mon tour en sortant de mon sac le nécessaire à massages. Une petite serviette rose, une bouteille d’huile, un flacon d’alcool.

Chaque nouveau client peut l’acheter au salon contre une somme modique. Revenir avec autant de fois qu’il le désire.

Dans cet établissement, rien n’est fait pour pousser à la consommation. On réutilise, remplit, recycle au lieu de jeter.

D’ailleurs, aucune employée, une fois sa tâche achevée, n’insistera pour vous vendre un autre service. Un massage du dos alors que vous préférez en rester aux pieds. Un massage des pieds alors que vous souffrez du dos.

 

Encadrés sur le mur d'en face, des clichés aux couleurs passées. L’équipe de la patronne en rang d’oignon, debout, souriante, un peu guindée façon photo de classe, quand on prend, gênés, une pose maladroite.

Les légendes indiquent : sixième, septième, huitième anniversaire.

Le lieu a vieilli au même rythme que ses occupantes. Et, en dépit des coups d’éponge et de balai, dégage toujours une impression d’à peu près. Même propre, il paraît douteux, mais se fier à sa mine serait une erreur. S’il est complet, c’est que les masseuses y sont excellentes.

La mienne est une femme d’âge mûr, aux cheveux grisonnants tirés en queue-de-cheval. Quand elle sourit, le réseau de ses rides lui dessine un deuxième visage.

Je ne la reconnais pas mais elle, si. Comme sa collègue qui, aussitôt, me demande des nouvelles de Bertille.

- Elle va bien, dis-je.


Sakit 4bisLa conversation roule, décousue, heurtée, souvent interrompue.

Depuis quand suis-je sur l’île ?

Où se trouve ma maison ?

Bertille vit-elle avec moi ?

Ai-je un homme dans ma vie ?

En suis-je amoureuse ?

Ces questions de plus en plus indiscrètes m’amusent.

Peu d’étrangers, peut-être même aucun, ne fréquente ce salon. Il est trop à l’écart, trop défraîchi, trop peu engageant pour attirer les touristes.

Du coup, une « puti » - une blanche - ne peut que susciter la curiosité. Ce qui paraîtrait offensant en France ne l’est d’ailleurs pas aux Philippines, où les territoires de l’intime, leur contenu et leurs limites ne se dessinent pas à l’identique.

- Pourquoi n’as-tu pas d’enfants ? est dans ce pays orienté famille une question normale.

- Mais tu as toujours tes règles, non ? n’a rien d’une impolitesse.

- Dans ce cas, parfait ! Tous les espoirs sont permis ! tient lieu de sincère encouragement, presque de soulagement.

Ces femmes à la tête de familles nombreuses, souvent très jeunes à la naissance de leur premier bébé, ne peuvent se figurer une vie sans enfants.

L’identité de femme passe ici par celle d’épouse et de mère, du regard porté sur soi par les autres jusqu’aux formulaires officiels. Médecins, hôpitaux, agences de voyages, bureaux de l’immigration… Partout, toujours, les fiches à remplir comportent la rubrique statut : mariée, veuve, célibataire. Rarement divorcée, puisqu’aux Philippines, le divorce n’existe pas.

 

Sakit 3A la discussion très vite tout le monde se mêle. Patronne, employées, clients, chacun y va de son avis, de son conseil, de son grain de sel.

Ca papote, ça caquète, ça rigole sans méchanceté aucune, juste pour le plaisir d’échanger, commenter, surenchérir.

Il y a dans toute cette agitation un côté si bon enfant, une franchise parfois si naïve qu’il est difficile de s’en offusquer.

C’est la simplicité qui prime et règne, des questions personnelles aux rots sonores que personne n’étouffe.

En attendant, de digressions en éclats de rire, la masseuse travaille sur mes pieds.

- Sakit ! Sakit ! (Ca fait mal !)

Chacune de mes protestations me vaut un regard aussi compatissant que malicieux.

- And here ?

- Sakit !

Entrée dans ce salon fourbue, j’en ressors à la nuit noire, chaussée de semelles de vent.

Dans la boîte à pourboire j’ai glissé un gros billet.

C’est bientôt leur neuvième anniversaire.

 

 

Photos : Roman Signer, Bill Brandt, Elmer Batters,

Cornell Capa, Richard Avedon. 

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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