Mardi 21 juillet
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Salut, toi,
en ce moment, j'écris des lettres.
Aujourd'hui, j'eus envie de t'en écrire une. Une que tu ne liras pas.
L'envie, impérieuse, vint juste après ton message inattendu. Pour moi, nous nous étions dits au revoir samedi dernier : tu quittais Paris, je restais. Et quand tu repartiras, cette fois loin et
pour de bon, je repartirai aussi, mais sur un autre continent.
Nos routes de pigeons voyageurs se sont juste croisées comme deux météorites.
Je n'ai d'ailleurs pas entendu le téléphone bipper.
Quelques heures plus tard, lorsque je remarquai la petite enveloppe, j'hésitai à l'ouvrir.
C'est alors que je vis ton nom.
Tu me disais que tu pensais à moi.
Tu me demandais comment j'allais et quels étaient mes plans. Je réfléchis aux sens de ces questions qui pouvaient en cacher d'autres.
Quels étaient mes plans ?
Que voulais-tu savoir, au juste ? Si j'allais au cinéma ce soir ou si je reprenais l'avion ?
Ou, de façon détournée, si j'avais du temps pour te rejoindre ?
Peu probable, vu que tu te trouves en famille.
Remarque, je connais déjà ta mère. Elle risque seulement de tomber à la renverse si elle me revoit.
À moins qu'elle ne fasse pas le lien entre la fille bronzée des îles et une femme tout grise.
Comment j'allais ?
Pas très bien, tu t'en doutes, puisque tu connais mes problèmes que j'aurais sûrement dû te taire.
Mais voilà, notre rendez-vous était tombé ce jour de Berezina. Remplie à ras-bord de chagrin, je tournai autour de la fontaine sans te voir. Un moment, j'eus même la peur idiote de ne pas te
reconnaître.
Peut-être ma mémoire des visages me faisait-elle défaut. Ou peut-être avais-tu tellement changé que tu étais devenu un autre.
Parfois je m'arrêtai pour regarder l'eau puis me comprimer les yeux.
"Va falloir te contenir. C'est pas le moment de lui pleurer sur le gilet."
J'aurais pu brandir l'excuse de l'émotion des retrouvailles. Mais s'effondrer de bonheur en revoyant un bel
homme, il y a de quoi passer pour une dingue.
Puis ça ressemble trop aux chiens qui, de joie, font pipi devant leur maître.
Non merci.
Quand tu te dirigeas vers moi, je ne t'ai plus trouvé si grand. Je mis un temps à comprendre que c'était la faute des chaussures. Pas des tiennes, des miennes à talons. La conversation partit toute
seule, fluide, alors que nous déambulions dans les rues qui t'avaient manqué. Je les avais déjà parcourues la veille, mais j'étais heureuse de te faire ce plaisir-là.
Au restaurant, nous rîmes du serveur italien qui n'arrêtait pas de nous parler en anglais. De nous servir du vin. De nous trouver beaux. De vouloir nous emmener ailleurs. De s'inviter pour une
partie à trois.
Tu lui dis gentiment que tu préférais rester seul avec moi.
Tu n'aurais peut-être pas dû, parce qu'alors, je t'ai déballé mon baluchon.
Tu m'as écouté, d'abord carré dans ton siège, la mine un peu désolée. Et plus je parlais, plus tu te rapprochais et plus ton visage s'allongeait.
Tu m'as conseillé de ne pas repartir. Parce que ce serait plus simple si je restais dans mon pays. Parce que les voyages sont propices aux amourettes mais pas à
l'amour.
Je t'ai dit : "D'accord, mais non". Une vraie réponse de fille, j'en
conviens.
Je t'ai dit aussi que ma place n'était plus ici. Que je n'allais pas sacrifier mon bien-être pour un hypothétique bonheur.
L'amour se trouve parfois au coin de la rue comme à Pétaouchnok. Et l'amour, de toute façon... avec ma nouvelle malle en plomb, je lui casserai les reins. Les reins mais pas les rotules pour lui
permettre de se sauver.
Ça, je ne l'ai pas dit, juste pensé très fort. T'as dû y penser toi aussi mais tu as gardé le silence. T'es de toute façon trop gentil pour frapper quelqu'un à terre. Puis tu t'es douté que si tu
disais un truc, un seul, et surtout de travers, je finirais en vomi sur la nappe.
Le serveur nous observait de loin, peut-être dans l'espoir qu'on change d'avis. Il la désirait vraiment,
sa soirée Kama-Sutra.
Mais il a dû comprendre à ma mine défaite que le vent avait tourné à notre table. Que le temps n'était plus ni à la rigolade, ni à la gaudriole.
C'est donc son collègue qui apporta l'addition que tu me chapardas.
- Ah, pas question ! C'est l'homme qui invite !
Plus par habitude que par conviction, je t'ai plaisanté sur ton côté macho. En vérité, je ne t'aurais pas désiré autrement que droit dans les bottes des conventions.
Dans autre espace-temps, allongé sur un ponton léché par la mer, tu avais affirmé :
- C'est à l'homme de protéger la femme.
Regardant les vagues se retirer pour mourir, j'avais riposté en silence :
- C'est à la femme de se protéger seule.
Je dus réfréner mes violences de gamine, résister à l'envie de me ruer sur toi, te renverser et te
serrer entre l'étau de mes cuisses pour te montrer qui, de nous deux, était le plus fort.
La sève qui coulait dans mes veines là-bas, près de la mer, s'était racornie ici, son bouillonnement figé en geysers immobiles. En ce soir de Paris, si chancelante, j'avais besoin d'un homme, de toi,
sur lequel m'appuyer.
Aussi enfouis-je ma main dans la tienne lorsque qu'il me fallut marcher.
Peine perdue, j'avançais en crabe. J'accusais le trottoir, les pavés, le vin, mes talons. Tout sauf mon désir d'être contre toi et ce ventre malade qui m'obligeait à boîter.
Cependant, comme s'en était encore étonné le chirurgien un an après, mon ventre ne me faisait pas mal. Évidemment, puisque la douleur me venait des tripes.
Mon vrai mal est celui d'être moi. Et pour ce mal-là il n'y a aucun médicament hormis le suicide.
Nous nous adossâmes à une balustrade surplombant la Seine pour compter
les rats qui fuyaient sous nos pieds.
- Celui qui repère le prochain a gagné ! lanças-tu.
Alors que, criant "Là !", je désignai une boule de fourrure grise, je me fichais du prix du jeu.
Pas toi.
En appui contre le métal, tu virevoltas et atterris face à moi. Caressas lentement mes cheveux. Pris mon visage entre tes mains, le relevas et, te penchant, m'embrassas.
Toute molle, toute douce, je me coulai dans ta bouche, fondant dans ton désir et ta tendresse.
Ton corps couvrit ma robe, tes bras encerclèrent mes épaules, ta bouche souffla à ma nuque :
- Je te vois, je te regarde, je t'écoute, je t'embrasse et je ne comprends pas...
Tu me sentis me raidir.
- Je ne comprends pourquoi tu es célibataire.
Je prétextai de mauvais choix pour mieux taire la vraie raison : aujourd'hui encore moins
qu'hier, je ne suis pas de celles qu'on épouse.
Par Chut !
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Publié dans : Eux
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