Lundi 12 janvier
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J'aimerais que tu viennes chez moi avec tes pantalons, tes vestes, tes pulls, tes chaussures et tes chaussettes. Sans oublier tes livres, tes feuilles précieuses, tes vernis, tes fusains, tes
brosses et tes parfums.
Enfin, surtout le parfum que je préfère et dont tu oublies toujours le nom. Celui qui me fait piquer du nez sur ton cou, te renifler comme un petit animal en couinant de plaisir, te léchoter les
oreilles et les clavicules.
Ce parfum-là se marie si parfaitement à ta peau qu'il est devenu toi. Son goût d'ambre et de sel a d'ailleurs la saveur de toi. De ton épiderme, de ta salive, de ta sueur, de ton sperme.
Même parti, tu es chez moi encore, si près contre ma joue, ma poitrine, entre mes cuisses, reposant en chien de fusil sur le drap, la tête bercée par les oreillers.
Seule l'eau brûlante de la douche a le pouvoir de dissoudre notre alliance.
J'aimerais que tu viennes chez moi avec tes malles remplies de tes affaires et de tes rêves. Ceux taillés en cours de route comme de jolis costumes, mais aussi ceux remisés dans les placards.
Je te dirai de vite ouvrir ton barda pour ne pas les y oublier trop longtemps. Parce que renoncer à ses rêves, c'est mourir à l'étouffée sous la douce et délétère cuisson du
quotidien. Puis, une fois le feu arrêté, se découvrir racorni, calciné, bourrelé de remords, pétri de
regrets.
Mais toi, toi, toi que j'ai vu indécis, je te voudrais heureux, accompli.
Alors prends mes mains pour te donner la force, mes épaules pour diviser tes peines. Repose-toi dans ma tendresse, réchauffe-toi à mon amour.
Dehors il fait froid mais dedans, chez moi, il y a les tapis si doux aux pieds, ma collection de chouettes bienveillantes qui nous protègent, mes cadenas nous liant de l'entrée à la chambre. Et dans la chambre le lit, notre bulle pour le plaisir, pour les
mots, pour les larmes parfois. Pour les baisers qui s'achèvent en confessions, pour les confessions qui s'achèvent en étreintes.
J'aimerais que tu viennes chez moi avec tes malles pour te faire de la place. Moi qui ai presque toujours
vécu seule, au fil des années je me suis étalée pour remplir à ras bords les tiroirs, les placards, la penderie, les boîtes à bijoux, à outils et à couture.
De fil en aiguille, le chaos a grandi sur le désordre, les affaires proliféré sur les affaires.
Dans mon chez-moi plein comme un œuf, il n'y a que les murs que je n'ai pu pousser.
Qu'à cela ne tienne. Si tu viens chez moi avec tes malles, les murs resteront en place mais je pousserai le reste. Tout mon fatras, tout mon fouillis, jetant, triant, classant, rangeant toutes ces
années de vie dans lesquelles tu n'étais pas.
Je ne pourrai même pas dire que je t'attendais, car tu m'es tombé dessus sans que je ne t'espère. À l'improviste, façon pot de fleurs qui m'a fendu le crâne et arrosé de terre.
Fière comme je suis, j'ai affiché ce sourire que tu connais si bien pour affirmer :
- Même pas mal.
Puis j'ai regardé la fleur et dit :
- Elle est belle... Je la garde, merci.
J'aimerais que tu viennes chez moi avec tes malles pour de l'essentiel, de l'accessoire, du futile.
Pour cuisiner des recettes à manger avec les doigts avant de commander des plats chez le traiteur, parce que notre repas était vraiment trop mauvais.
On se disputera sur qui a mis trop de sel ou pas assez graissé la poêle.
Ne tombant pas d'accord, nous casserons des assiettes juste pour le plaisir d'en sortir des neuves des cartons.
Puis, fourbue, je me laisserai tomber sur le canapé.
La main que tu me tendras en signe de paix, je m'en emparerai pour attirer tes jambes entre les miennes, ouvrir ta braguette et glisser, dos cambré, ton sexe entre mes lèvres.
Le soir, il y aura deux halos de lumière au salon.
L'un, dirigé contre le mur, est la place du papier grenu, celle d'où jaillissent de tes doigts des corps
de femmes.
Beaucoup me ressemblent car tu aimes, dis-tu, mon corps, ses rondeurs et ses attaches fines.
Car je suis, dis-tu, devenue ton modèle et ta muse.
L'autre, dirigé sur une table basse, est l'espace de ma feuille blanche. Celle dont je lève à peine la tête parce que, si pleine de toi, les mots viennent, roulent et s'étendent, faciles, harmonieux, pour t'écrire.
Entre l'un et l'autre, il y aura la musique. La même qu'on écoutait tous deux avant sans le savoir, et qui formait déjà nos points de repère.
Plus tard tu poseras ton fusain, moi mon stylo.
Nous rejoindrons la chambre dans le noir, main dans la main et impatients, déjà tremblants de la jouissance à venir.
Et comme chaque nuit elle viendra, bouleversante.
C'est par une de ces nuits où arrivera ce que nous désirions, que nous espérions sans vraiment l'attendre, tout en étant prêts à l'accueillir.
Même l'eau brûlante de la douche n'aura pas le pouvoir de défaire cette alliance-là.
Oui, j'aimerais que viennes chez moi avec tes malles et que tu n'en repartes pas.
Par Chut !
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Publié dans : Andrea d'ébène
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Magnifique déclaration d'amour, très sensuelle, troublante, émouvante.
Merci beaucoup, Bulle. L'histoire s'est terminée mais je garde une tendresse particulière pour ce texte. Il fait aussi partie de notre histoire, et qu'importe la fin.