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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Lundi 24 novembre 1 24 /11 /Nov 01:52

Vassilis disparut à nouveau. Lorsqu'il revint enfin, nous reprîmes notre relation au point où elle était restée. C'est-à-dire pas très loin, et surtout  à grande distance d'une quelconque chambre à coucher. Car si Vassilis et moi discutions beaucoup, nous ne faisions pas grand-chose. Mais notre pas grand-chose donnait une signification à notre si peu.

Des lèvres frôlant une joue, une paume apposée sur le col d'une veste, un bras s'égarant autour des hanches... Lorsque l'autre nous plaît, que nous le désirons peut-être autant qu'il nous désire, les gestes les plus simples se chargent d'un sens secret.

Peu importe que les premiers soient dus au hasard et le second à notre imagination. Peu importe si l'histoire que nous forgeons n'est qu'un long monologue, un conte ciselé à notre seul usage. Dans un monde de signes la trivialité devient érotisme, comme la moindre parcelle de notre peau une lande avide d'être bue.


Vassilis percevait tout cela aussi certainement qu'il pratiquait en expert la douche écossaise. Car après l'art de la suggestion, il n'hésitait pas à donner dans la grossièreté.


Ainsi, un soir que nous prenions un verre, il quitta la table pour se soulager d'un besoin pressant. Le café avait beau être branché, les toilettes se résumaient à un réduit à la turque, séparé de l'espace lavabo par une porte en verre dépoli.


Je l'attendis si longtemps que je le soupçonnais d'avoir pris la clef des champs, malgré son sac accroché à la chaise.

Lorsqu'il revint enfin, il avait le regard égrillard et triomphant d'un homme ravi. Me désignant une jolie femme qui se rasseyait sur son tabouret, il me dit :

- J'ai vu sa chatte. Elle me l'a montrée.

Je levai les yeux au plafond. Claquai de la langue comme devant un enfantillage.

- Génial. Vous avez pris date pour que tu la défonces ?


Il rigola.

- Tu sais ce que j'aime chez toi ? J'ai beau être vulgaire, tu l'es toujours plus que moi.

- Tu sais ce que j'aime chez toi ? Tes compliments.

Vassilis, hilare, se tenait les côtes. Pour un peu, il m'aurait tapé dans la paume comme un ancien pote l'égalant dans la provocation. Au sein de l'univers guindé d'une université réputée, dans celui, encore plus confiné, d'un concours élitiste ("Vous êtes la future crème de la France", nous assenait-on sans un milligramme d’humour), où les étudiants sont vieux avant même d'avoir vécu, où le bien-parler prime sur la pensée, cette irrévérence était notre espace de liberté.


L'un comme l'autre, nous y avions recours comme à une révolte dérisoire. Par jeu mais aussi par test, histoire de sonder notre vis-à-vis.

Aussi, à la question innocente "Quel est ton hobby ?" d'un jeune cravaté me contant fleurette avais-je répondu, l'air docte :

- La baise, et toi ?

Choqué, il s'était juré de ne plus m'adresser la parole de l'année.

Fiérote, j'en rigolais sous cape en le voyant m'éviter autant qu'il m'avait recherchée. Et je pensais aussi que j'étais aussi stupide que ma fronde inutile. Ce qui ne m'empêchait pas de glaner de meilleures notes que lui en jouissant de le mortifier.

- Oui, je suis vulgaire. Oui, j'emploie "baiser" à tous les temps de l'indicatif, et même "enculer" si tu veux.

La compétition rend con, ce n'est pas à moi qu'on l'apprendra. Ni à Vassilis, même s'il prétendait y prêter aussi peu le flanc qu'à son image. C'était un aussi gros mensonge que la photo prétendument ratée de la quatrième de couverture de son premier roman.

Il y apparaissait les yeux un peu gonflés, les cheveux gominés, le cou niché dans un manteau.

- Le photographe m'a réveillé à l'aube alors que j'étais crevé... argumentait-il.

N'empêche qu'il savait que sur cette photo, il était aussi attirant que le diable déguisé en ange déchu. Et sous son nom où figurait la liste de ses ex-métiers ("éboueur, barman, cobaye, guide touristique, libraire, fleuriste, déménageur"), j'y ajoutai mentalement celui de "fantasme ambulant".


Vassilis était une solution de non-continuité qui me fascinait. Moi qui me targuais de vite classer les gens, il se déjouait de mes cases d'un simple coup de reins, en musardant. Et plus je croyais l'attraper, plus il me filait entre les doigts comme du sable.

Tour à tour tendre et cruel, consolateur et peau de vache, Vassilis me renvoyant à mon impuissance était pour moi un méta-piège : alors que je croyais le saisir, je ne me saississais que moi-même et m'enfermait plus avant dans les lacets de mon obsession. Étranglée jusqu'à la glotte, aveuglée au-delà de la cécité, je ne percevais même pas que je ne tournais qu'en rond en me mordant la queue.

Face à cet homme, plus qu'échec j'étais mat sans vouloir le reconnaître.


Il y avait heureusement des moments de répit où nous nous retrouvions à La Buvette, un lieu aujourd'hui disparu. Serti dans la cour d'un immeuble en démolition, il proposait des tables improbables aux chaises dépareillées.

L'ambiance y était camping, nous décontractés. Par les beaux jours d'un printemps timide, les derniers rayons d'un jour qui flanche caressaient nos peaux incapables de se toucher. Nous regardions en silence le soleil disparaître entre les immeubles. Tandis que son disque laissait place à la pénombre, nous fixions la flamme de la bougie qui chancelait entre nous.

- Que vas-tu faire maintenant ?

- Rentrer chez moi, répondais-je.

Vassilis inclinait la tête, à moins que ce ne fût le contraire.

Car à ma question "Que vas-tu faire maintenant ?, il répondait toujours "Rentrer chez moi". Et toujours je le laissais s'échapper comme il me laissait partir. Avec regrets, en se retournant une ultime fois alors qu'il pensait que je ne le voyais pas.


Un soir, je regagnai mon chez moi après un dernier café à La Buvette, mais sans avoir vu Vassilis, puisque nous n'avions pas rendez-vous.

J'avais néanmoins espéré qu'il serait là. Comme si, se logeant dans ma tête, il avait pu deviner où j'allais pour m'y rejoindre. Ou comme si, reliés en amants par l'écheveau de notre désir, il avait tiré sur son fil pour en dévider la pelote.


Vautrée sous la couette, j'étais plongée dans une version latine lorsque mon téléphone sonna.

- Allô ? articulai-je d'une voix revêche.

- C'est Vassilis.

Les feuilles me tombèrent des mains.

- Je passais en voiture dans ton quartier... Me demandant du même coup si je pouvais passer chez toi.

- Chez moi ? repris-je stupidement.

Je survolai, désespérée, le désordre de mon deux-pièces. Des vêtements tire-bouchonnés, des assiettes sales et des livres ouverts se battaient en duel à même le plancher.


Un vent de panique me submergea.

- Chez moi ? C'est que...

Avouer que j'étais une souillon vivant dans un bordel noir était au-dessus de mes forces.

- Impossible, coassai-je. Je... travaille.

- Tant pis, j'aurai essayé, conclut-il.


Je bondis pour me transformer en pelleteuse. Planquai sous le lit les vieilles fringues, poussai la vaisselle dans la cuisine, entassai les bouquins dans les placards. En ouvrir un revenait à se faire scalper par un Gaffiot.

À moins de venir chez une femme pour inspecter ses placards, il y a sûrement des façons plus bêtes de mourir.


J'eus beau me dépêcher, la somme de toutes ces opérations m'occupa au bas mot une demi-heure. Alors que je rappelai Vassilis, je ne nourrissais aucune illusion : il était au loin depuis longtemps.

- Euh... Tu peux venir si tu veux... Je ne travaille plus...

- Mais je suis sur le périphérique, maintenant, objecta-t-il.

- Tant pis, j'aurai essayé.

- Ne bouge pas, d'accord ? Je fais demi-tour.

Ne pas bouger, Vassilis n'avait guère besoin de me l'ordonner.

Pris comme un lapin dans la lueur de ses phares, je restai pétrifiée au milieu de mon salon en guettant la sonnette.


(À suivre !)


Toiles : pour la plus connue, L'Origine du monde, de Courbet.

Pour la moins connue, Combat, de Meriem Banchoabane.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Commentaires

On ne sait toujours pas si Vassilis tient ses promesses, mais le texte, lui, si. Double raison d'avoir hâte.
commentaire n° :1 posté par : slevtar le: 27/11/2008 à 12h41
Merci beaucoup, Sev'. J'avoue que je commence à m'interroger sur la longueur du texte, craignant qu'il ne devienne barbant. Mais difficile de résumer deux années (le temps de cette "relation") en quelques chapitres !
Pour Vassilis, je dis rien. Même pas que certaines projections s'avèrent au final décevantes. Ah zut, j'ai presque tout dit !
réponse de : Chut ! le: 06/12/2008 à 00h08
Pas grave, ma grand mère me disait souvent que l'attente du plaisir valait souvent bien mieux que le plaisir lui même !! Encore une fois, la primauté du voyage sur la destination finale... Tu es vivante, tu as vécu (et tu sais la faire partager) une belle histoire, c'est juste l'essentiel.
commentaire n° :2 posté par : Léo le: 08/12/2008 à 01h51
Merci ! Je me suis quand même sûrement avancée sur le "tout dit". Mais pourquoi les journées n'ont-elles que 24 heures ??
réponse de : Chut ! le: 15/12/2008 à 06h06
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