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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

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  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 23 novembre 7 23 /11 /Nov 00:50

Le combat qui s'engagea fut en effet une drôle de guerre. À la proposition incongrue de Vassilis je répondis "non", évidemment. Un non à la fois assez ferme pour qu'il ne réitère pas sa demande, et assez ouvert pour qu'il ne parte pas sur-le-champ.

Plus que mouchée, j'étais en vérité impressionnée par son culot.

Cet homme se croyait-il donc dans une confiserie où il lui suffirait d'apparaître pour se servir ? De quel bois était-il fait pour se jeter ainsi à la tête d'une femme ? Pour encaisser sans broncher un refus annoncé, et ajouter sur le ton d'une évidence proche de l'insulte :

- Oh, vous êtes bien conventionnelle.


Ma part guerrière désira soudain lui envoyer son gobelet au visage. Ou de le traîner à l'hôtel histoire de le détromper, en pariant qu'arrivé à la porte, il se dégonflerait. Mais la violence ou l'acceptation étaient sûrement les réactions qu'il attendait.

Échouant à me montrer originale, j'optai pour l'attitude la plus prévisible : la demi-mesure.

- Conventionnelle ? Si vous voulez, d'autant que je ne vous connais pas.

La déception se peignit alors sur son visage.

- Mais si, vous me connaissez. Comme moi, je vous connais.

- Pardon ? questionnai-je, soupçonnant une grossière manœuvre de séducteur.

- Oui... Le jour où vous avez rabattu le couvercle du piano, j'étais votre amant de l'ombre.

Le gobelet éclata entre mes mains. Un fond de café froid me poissa les doigts. Je les portais à mes lèvres en regardant Vassilis se lever.

- À bientôt, me dit-il.


À bientôt... Vassilis mentait.

Après cet au revoir, il disparut. J'arpentais les couloirs, fouillais les recoins des amphithéâtres, guettais sa silhouette dans la cour.

En vain. L'homme de l'ombre s'était échappé, évaporé, volatilisé.


Je l'oubliai comme un songe trop vite enfui lorsque Vassilis ressurgit des limbes. C'était un après-midi de grande fatigue où, harassée, je traînais mes livres épaules basses.

- Un café ? me proposa-t-il simplement.

J'acceptai sans un mot ni un reproche. J'avais déjà assez vécu pour savoir que certains "à bientôt" ne sont que des adieux qui taisent leur nom.


Après ce café, il y en eut un autre, puis encore un autre, puis plus rien. Qu'il le calculât ou non, Vassilis, traversant ma vie par éclipses, me prenait toujours à rebours et par défaut. Sans cesse là où je ne l'attendais pas, jamais là où je l'attendais, il se dérobait alors que je croyais le saisir en me laissant un vide au cœur. Et, sur la langue, l'âcre goût d'inachevé du mauvais café.

Ses absences prolongées l'imposaient à mon esprit plus sûrement que sa présence. Son image me berçait le soir, habitait mes rêves, m'éveillait au matin. À peine debout, je me surprenais à penser :

- Le verrai-je aujourd'hui ?

Jour après jour, je me découvrais hantée.


Notre relation à ellipses avait les serpentines d'une boucle qui peu à peu serrait mon cou, m'étranglait, m'étouffait. Je brûlais de la trancher pour m'en délivrer. Mais pour ce faire, je devais à mon tour demander à Vassilis, employant le vouvoiement que nous n'avions jamais quitté :

- Voulez-vous coucher avec moi ?

Ma fierté m'interdisait d'ajouter "s'il vous plaît". Comme elle m'interdisait, évidemment, de le lui demander tout court. Alors je restais là, suspendue à ma potence, lui supposant d'autres femmes, d'autres conquêtes. Celles, par exemple, qu'il évoquait en se vantant un peu. Celles dont je prétendais me ficher, mais auxquelles j'objectais les miennes.


Dressés l'un face à l'autre comme deux chats, Vassilis et moi multipliions les coups de patte.

"Tu me griffes, je te pince. Tu me pinces, je te mords. Tu me mords, je te déchiquète.

Tu me fais mal, je te fais mal. Et plus mal que toi."

Notre surenchère avait une allure civile, elle ne l'était pas. Si, au début, nous avions lutté par jeu, la donne avait changé. À présent, je luttais pour ne pas lui concéder une once de terrain. Sinon, il me dévorerait toute crue sans que je ne puisse sauver ma peau.

Emportés par nos escarmouches, nous nous croyions très malins. Nous n'étions en fait que deux imbéciles.


Le jour où je le traitais de Don Juan, Vassilis n'approuva pas. Ne nia pas.

- Vous m'énervez, dis-je.

Il se contenta de sourire, ce qui aiguillonna ma fureur.

- Ton arrogance est insupportable, ajoutai-je.

Il gloussa, fanfaron :

- On se tutoie, maintenant ?

- Oui, on se tutoie et je te dis merde. Tu sais quel surnom je t'ai trouvé ? Non, hein ? Fier-à-bras, parce qu'il te va comme un gant. Alors continue comme ça et je finirai par te détester.


Son sourire s'effaça brutalement. Balayé, l'homme sûr de lui. Vassilis eut soudain le regard d'un enfant perdu.

- Parce que tu crois peut-être que moi, je ne me déteste pas ?

Je me serais mordu la langue au sang s'il n'était pas trop tard pour les excuses.


La corde autour de mon cou gagna un cran supplémentaire. La faille ouverte en Vassilis me liait plus sûrement à lui que tout le reste.

Je bus une dernière gorgée de café. Elle était amère comme ma victoire.



(La suite bientôt...)


L'acrylique est de Nathalie Carrette.

 

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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