Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Il y a bien longtemps, et sur un ton plutôt mélodramatique (mes excuses aux amateurs de sa poésie), un certain Alphonse se demandait :
- Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
Pour moi, la réponse est claire : non, à part celle que nous, nous y mettons. Cette petite partie de nous que nous déposons en eux
- ou dont nous les chargeons - pour leur donner un sens.
Si les objets nous "parlent", c'est forcément par notre bouche.
Des objets, j'en ai en quantité chez moi.
Achetés parce qu'ils me plaisaient, comme cette statue chinoise pour laquelle j'ai eu un vrai coup de foudre : une silhouette épurée qui prie, les bras joints, assemblés en une seule
vague.
À peine aperçue dans une vitrine que je la voulais, sans savoir où la mettre.
Mon appartement n'est pas si grand, il est même petit...
Tant pis, il me la fallait.
J'ai quitté le magasin heureuse, avec sous le bras la statue enveloppée d'une triple couche de papier bulle.
Après beaucoup d'hésitations, je lui ai assigné sa place : sur la cheminée, pour la contempler lorsque je travaille. Mais un jour de ménage trop énergique, je l'ai bousculée et cassée en deux.
Puis j'ai hurlé très fort avant de la recoller avec soin.
Ouf, la fracture se voyait à peine.
Pour qui la regarde sans s'approcher, elle est même indiscernable. Mais moi, je sais qu'elle est là. Et cette brèche me rappelle ma colère de
ce jour-là, mes doigts englués dans la super glu et le téléphone qui n'arrêtait pas de sonner sur mes "putain de bordel de merde !"
D'autres objets ont été glanés au cours de mes voyages. Boîtes, tampons sculptés dans le bois, affiches, figurines, lampes... En général petits et légers, parce que je dois les caser dans mon sac
à dos sans trop l'alourdir.
Une fois dans mon appartement, en prendre un entre mes doigts, c'est me rappeler l'Inde, la Chine, le Mexique, la Thaïlande, le Myanmar... Tous ces pays où j'ai traîné mes semelles et qui me
manquent tant en France.
Ma mémoire, précise, peut presque resituer pour chacun le "où" et le "quand" :
C'était à ..., un jour de pluie ou de soleil.
Souvent, je me rappelle la vendeuse et son étal, nos éclats de rire alors que nous marchandions.
Et le moment où, au retour, j'ai sorti avec nostalgie l'objet de mon
sac.
- Ah, tu es là, toi ! C'est vrai... avec tous ces kilomètres, je t'avais oublié...
Ces objets me rattachent à des trajets, à des terres lointaines. Même tassés au fond d'un placard, ils sont ma part d'ailleurs.
Ici mais aussi là-bas, en simultané.
D'autres, encore, m'ont été
transmis par ma mère, en héritage. Qu'elle les ait elle-même achetés ou en ait été la dépositaire, ils sont ma part de souvenir.
Je les ai vus pendant des années chez elle, il sont à présent chez moi, semés pour la plupart au petit bonheur la chance en fonction de
leur taille.
Continuité entre nous, fil blanc qui nous relie.
Pour marquer ce lien, je porte toujours sur moi quelque chose qui lui appartenait. Un vêtement, une ceinture, un bijou.
Ainsi, depuis plus de deux semaines, un bracelet en argent n'a-t-il pas quitté mon poignet.
Lui, je lui voue une tendresse particulière : j'aime sa forme spéciale, très rétro aujourd'hui, parce que les modes ont changé.
Adolescente, je le piquais ma mère dans le tiroir de sa table de chevet. Puis le remettais vite, avant qu'elle ne s'en aperçoive.
Parfois, c'était moins une :
- Je ne comprends pas, ce bracelet devrait être là... Tu ne l'as pas vu ?
- Non !
Tous ces objets ajoutés à ceux, utilitaires, du quotidien, aux cadeaux de mes ami(e)s, à mes collections plus ou moins entamées, aux CD, aux livres qui encombrent mon couloir, cela fait beaucoup,
forcément.
Il y a peu, Feu mon amour s'est même moqué (non, non, si tu me lis, je ne t'en veux pas... J'en ris même toujours !) :
- J'y crois pas... Des cassettes VHS pour vieux magnéto ! Et des cassettes audio des années 90 !
- Oh, l'autre... Ça va, hein !
Au passage, toi : si tu veux avoir un échantillon complet de ce qui existe encore, reviens. :)
Du coup, en entrant chez moi, certaines personnes se sentent écrasées. Ce trop qui déborde, ça les agresse.
Leur regard, habitué aux espaces vides ("zens", diront-ils) s'accroche partout. Sur mes chouettes, mes fleurs séchées, mes lanternes
vietnamiennes, mes magazines, mes classeurs, mes pots à encens... parce qu'en plus, je suis bordélique.
D'autres, à l'opposé, se sentiront chez eux dans cette caverne d'Ali Baba. À l'aise dans son joyeux fouillis, assis sur les coussins, couchés sur le tapis... parce que ma table basse (peu de
meubles hauts dans mon antre, je vis à ras de terre), encombrée par l'ordinateur, les stylos, les feuilles, les cahiers, ne peut accueillir une assiette. Et encore moins un plat, surgelé, pour le
coup... parce qu'en plus de mes nombreux défauts, je ne sais pas cuisiner.
Ou je ne me suis jamais donné la peine d'apprendre, ça se discute.
Dit autrement, je serais
incapable de faire la somme de tous ces objets. Peut-être parce que, d'une certaine façon, je suis incapable de faire la somme de moi.
Et pourtant... Dans cette profusion, il y en a un que je distingue, parce qu'il me lie à Feu mon amour.
Cet objet est purement symbolique, ce qui le rend d'autant plus important.
Je l'ai d'abord choisi avec soin : il devait comprendre
deux parties, être signifiant pour moi mais anodin aux yeux de l'observateur le plus perspicace ; ne pas attirer l'attention mais se
fondre au décor.
Le lien qu'il crée entre nous n'étant pas à partager avec les autres, ceux-ci ne doivent pas le soupçonner.
Ensuite, je lui ai assigné une place très précise, dictée par mes exigences : qu'il soit dans la pièce où je me trouve le plus souvent ; sous mes yeux sans que j'aie à le chercher.
Et je l'ai fixé là.
En le fermant, j'ai posé un scellé sur mon cœur. Comme un gage de fidélité que Feu mon amour n'est pas obligé d'accepter et peut même juger idiot.
Mais le connaissant, j'en doute.
Bientôt, j'espère, il entrera en possession de sa partie à lui. Alors, il comprendra.
Et quand il reviendra ici, il pourra placer cet objet ailleurs. Me délivrer pour mieux m'enchaîner autre part, si tel est son désir.
Il pourra même choisir de repartir avec sa partie ou me la laisser.
Il agira comme il l'entendra, je ne veux forcer rien ni personne... et surtout pas lui.
Cet objet, c'est notre signe du lien, même s'il l'ignore encore.
Enfin... Beaucoup moins depuis cet article.
2e photo : Martin Parr.
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