Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
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Il a sonné, j'ai ouvert la porte, il a
fait la gueule. Un sifflement sortit d'entre ses dents alors que, immobile au milieu du couloir, il
regardait les murs, les murs couverts d'étagères, les étagères couvertes de livres.
Il soupira fort dans sa salopette, comme un vieux cheval qui tousse.
"Déjà du reproche...", pensai-je.
- C'est abîmé derrière ? qu'il me demanda.
- Je crois que oui.
Son gros doigt fit basculer trois Pléiades, descendit le long des tranches
et gratta le mur. Lorsqu'il les relâcha, elles retournèrent à leur place en soulevant une fumée de
plâtre.
Il soupira encore plus fort.
- Mais pourquoi vous gardez tous ces livres ?
- Parce que c'est mon travail. Certains sont gardiens de phare. Moi, je suis gardienne de livres.
Il me fixa, vaguement hostile. Il devait penser que je me payais sa tête.
Il avait raison.
- Mais à quoi ça vous sert donc, autant de bouquins ? Les livres, c'est simple : on les prend, on les lit, on les jette. Ça fait de la place.
J'allais ajouter qu'on pouvait aussi se torcher avec, mais prudence... Nous n'étions en relation que depuis cinq minutes et ce peintre en bâtiment avait des poings à écrabouiller les mouches.
- Vous voulez un café ?
- Pas de refus.
Il le sirota appuyé contre le minibar, dos ostensiblement tourné aux étagères. Pendant ce temps, je les délestais de leur poids de papier, doucement pour ne pas abîmer les couvertures. Fastidieux
travail qui, si je ne me pressais pas, m'occuperait la demi-journée.
Cette scène m'en rappela une autre. Dans le même couloir, mais face à mon père. Lui aussi avait regardé, effaré, les triples centaines de livres alignés façon revue militaire. Puis le tas
informe, bien plus grand que moi couchée, qui s'affaissait sur le plancher.
Ce jour d'après déménagement, je ne pillais pas mes étagères, je les remplissais.
- Tu devrais t'en débarrasser, lança-t-il.
Je levai un regard ahuri.
- Me débarrasser de... ?
- Tes bouquins, tiens !
- Mais pourquoi ?
- Parce que tu les as lus.
- Pas tous.
- Alors garde juste ceux-là.
Lovée contre une étagère, je me mis à
lui expliquer. Les livres-souvenirs liés aux voyages, aux rencontres, à des périodes de vie, les livres-cadeaux d'amis, les livres coups de cœur, les livres d'art à regarder au lit, les livres
que je relirai un jour, les livres...
Il me coupa :
- De toute façon, j'ai plus lu que toi dans ma vie.
J'en restai bouche bée. Jamais jusqu'alors je n'avais songé à la lecture comme une compétition.
- Si tu veux, dis-je.
- Bon, ceci étant réglé, nous pouvons ranger ces volumes en bas à droite.
Il s'empara d'une pile, l'enfourna dans l'étagère.
Il avait gagné. Il était content.
Le lendemain je refis tout le classement. Sagan à côté de Nabokov, ça me chiffonnait. Elle serait mieux à côté de Sade.
Pin-up de Gil Evgren.
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