Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Je suis assise toute raide sur sa méridienne. Mes vêtements soudain trop petits me serrent. La faute à cette boule qui grossit dans mon ventre et ma gorge.
J'avale. Elle diminue à peine.
Pour la cracher, il faut que je parle.
J'observe mes genoux. Ils saillent sous les collants. Je repense à une colonie de vacances où mon amoureux me préféra une copine aux jambes lardées de cicatrices.
L'image file, chassée par les rotules de Cécile, la petite amie du frère de celui que j'aimais. Deux parfaites saillies d'os sur des gambettes de faon.
L'image file encore. C'est l'été. Je descends en petite robe une rue à pic. Marchant face à moi, le fiancé de Véro.
Il lui dira plus tard, par naïveté ou goujaterie, qu'il préfère mes jambes aux siennes.
Elle me le répètera. J'arguerai, surprise, de la pente faussant les proportions car, non, vraiment, je ne comprends
pas.
Véro a des jambes de mannequin moins six centimètres.
L'image file une fois de plus. C'est l'hiver, je suis sous la couette d'un amoureux. Nous venons de dépasser la vingtaine et jouons au jeu des questions stupides.
La mienne est :
- Qu'as-tu remarqué en premier chez moi ?
Il réfléchit. Preuve qu'il va mentir lorsqu'il affirme :
- Tes jambes.
Je glousse. Il se reprend aussitôt :
- Tes yeux, en vérité. Mais tes jambes... C'était moins banal.
Si je ne stoppe pas maintenant le défilé des images, je ne parlerai jamais à mon homme. Faut dire que, gênée, je suis la championne des pensées futiles en bouclier, de celles qui m'emmènent
ailleurs, loin d'un possible conflit.
Mais en dépit de mon embarras, il faut vraiment que je parle.
Obligation morale à
laquelle personne ne me contraint, sinon moi-même.
Cet aveu, j'estime que je le lui dois : j'ai commencé une relation avec lui. Il a le droit de savoir où il
met les pieds ou de quoi il veut les retirer.
Ni mensonges ni non-dits, je ne l'éclabousserai pas dans le dos mais jouerai cartes sur la table, quitte à perdre la
partie.
Pour gagner quelques secondes, j'étends mes bottes, les frotte l'une contre l'autre. Leur crissement me rassure, écho de ma voix qui, faussement posée, articule que
je suis dominatrice.
Que j'aime ça ou mieux (pire ?) en aie besoin.
Et que je songe à me faire payer.
Je ne dis pas "à faire la pute".
Le sens a beau être le même, les mots ont leur importance. Les mots mais aussi les pratiques, du moins aux yeux de certains.
Autant le préciser de suite. Entre mes soumis et moi, il n'y aurait pas de rapport sexuel.
Je suis la Maîtresse et non l'amante, l'impitoyable Dame et non l'escorte qu'on effeuille.
D'ailleurs, je resterai habillée.
D'ailleurs, on ne me touchera pas, sauf si je l'autorise.
En échange des billets, ce n'est ni de la douceur ni de la baise que je propose, mais de l'humiliation et des coups. De langue sur mes bottes et de cravache sur des fesses tendues.
Cependant, lui expliquai-je, l'échange n'était pas que marchand. Il s'agit d'une prestation tarifée où se monnayent mon apparence et mon savoir-faire, certes.
Mais pas que.
J'offre aussi, avant tout, mon implication totale dans ce moment, une intimité sans jugement, un partage fantasmatique et sexuel.
Partant de là, qu'il y ait ou non consommation relève presque du détail. Pour certains hommes, ce détail-là fait néanmoins toute la différence.
J'ajoutai que si l'argent comptait, ce qui m'attirait était avant tout la transgression, le franchissement d'une limite, le renversement d'un tabou.
Le cul gratuit, je connaissais. Le cul payant, pas encore. Et faire ce que j'aime en étant payée, grassement même, ça m'excite.
Alors que je parlais, il gardait les yeux baissés et un silence qui sonnait comme une réprobation.
Je prévins son refus. Lui assurai que je le comprendrais très bien. Si bien que mon sac était déjà prêt. Prêt comme moi à sortir de son appartement.
Levant le regard pour une confrontation que je ne cherchais plus à éviter, il répondit :
- Je respecte. Si tu veux le faire, vas-y. Je ne t'en empêcherai pas. Ne te jugerai pas non plus.
Toute la pression retomba d'un coup.
La méridienne m'apparut soudain très confortable, mes vêtements à la bonne taille.
Mais cet homme-là ne fit pas
qu'accepter. Il me proposa une offre qui m'étourdit : son aide.
Mes pratiques, rapports, tractations avec mes futurs clients ne l'inquiétaient pas.
Ma sécurité, si.
Vendre ses fesses ou son fouet, c'est risqué. L'activité attire les violents, les détraqués, les pervers.
Ceux qui s'en payent une bonne tranche et reprennent l'argent par la force.
Ceux qui déversent leur haine des femmes et leur brutalité sur "les putes".
Ceux qui, sous prétexte de payer, s'autorisent l'irrespect et les insultes.
Le client a beau être roi, il n'a pas tous les droits.
Je refusai. S'il m'aidait, il deviendrait au regard de la loi mon proxénète.
Si j'envisageais de me prostituer, je ne voulais surtout pas lui causer d'ennuis.
Je n'ai finalement pas franchi le pas. Mais j'y repense souvent quand mes finances flanchent.
Monnayer du plaisir, pourquoi pas ?
À l'époque, l'argent n'était pas ma principale motivation. Maintenant, il pourrait en être une... parmi d'autres.
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