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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Mardi 7 septembre 2 07 /09 /Sep 18:09

Tout en unHabrien fait partie de ces Philippins qui ont quitté leur pays pour un ailleurs plus riche de promesses.

Pour lui, ce fut les États-Unis, il y a dix ans. Sûrement un rêve de gosse, à en croire ses tatouages : un Mickey sur une épaule, une Minnie sur l’autre. Le goût en est peut-être douteux, il avait alors dix-neuf ans.


Lorsqu’Habrien s'accroupit à côté de moi, j’étais à la plage. Étendue de tout mon long, encore trempée d’écume, penchée sur le dictionnaire français-visayas concocté par Bertille. J’essayais de retenir des mots qui n’arrêtaient pas de foutre le camp, pestant contre ma mémoire qui, elle aussi, se faisait la malle.

Tout de suite… Darun ? Kayun ? Karun ?

Oursins, yutum ou tuyum ?

Cette langue remplie de g, de k, de u et de a ne ressemble à rien que je connaisse. Sauf à l’espagnol, parfois.

 

Quelques phrases échangées avec Habrien suffirent. Je devinai que, bien que d’ici, il était d’ailleurs. Un je-ne-sais-quoi dans son attitude, ses gestes, sa façon de ponctuer ses paroles. Son accent américanisé, peut-être, ou autre chose de plus impalpable.

Je lui dis en riant que j’essayais d’apprendre sa langue. Riant en retour, il me répondit qu’ayant grandi à Manille, il ne parlait pas visayas mais tagalog. Feuilletant le dictionnaire, nous nous mîmes à comparer les mots : visayas, tagalog, anglais et français dans une joyeuse salade russe.

Habrien me raconta un peu sa vie dans sa nouvelle patrie. Le choc culturel qu’il ressentit dès qu’il y posa le pied. Insoupçonnable, violent, frontal. J’acquiesçai. Entre un pays vu au travers de la télévision et la réalité se creuse un gouffre dont on sous-estime la profondeur.

Je pouffai qu’ici, j’étais un choc culturel à moi toute seule. Evoquai, de l’Inde à l’Indonésie, de la Malaisie au Népal, du Cambodge aux Philippines, la lassante litanie des questions masculines. Serveurs, garçons d’hôtel, chauffeurs de taxi, vendeurs, voisins de bus, rencontres de hasard… Tous s'enquéraient où j’avais égaré mon mari.

Comment ça, pas de mari ? Pas d’enfants ? Mais quel âge avais-je donc ?

Oh, quand même…

Toujours seule à la trentaine passée ? Sûrement avais-je un problème qu’ils se proposaient de régler. Si je leur donnais mon téléphone. Si nous allions boire un verre. Si nous partagions le dîner puis mon lit.

 

J’avouai à Habrien que bien des fois, je mentais pour avoir la paix. M’inventais une vie aux antipodes de la mienne, juste pour rentrer dans la bonne case, celle qui coupe court à toute proposition directe ou tentative de séduction. Mariée et bardée d’enfants, je sortais du champ du possible de ces hommes, me soustrayant du même coup à leur désir.

Non pas fille avec une place vacante à ses côtés, mais femme et mère. Casée, cernée, remplie, respectable. Rideau, fermez le ban.

J’ajoutai que, faute de mentir, le scénario prévisible se déroulait. J'essayais de le prendre avec humour. Souvent toutefois, l’humour s’envolait. L’irritation finissait par me gagner. La colère aussi.

- Être célibataire ne signifie pas être disponible.

Habrien agitait la tête pour approuver, mais je voyais bien qu’il me croyait à peine. Me soupçonnait d’exagérer, de déduire une loi de cas isolés. Son accord fut timide jusqu’à ce que ses oncles nous rejoignent.


Tout en un 2Ils avaient une petite soixantaine. L’un était expatrié, l’autre toujours aux Philippines. La conversation s’engagea.

La première question tomba, rituelle :

- D’où venez-vous ?

J’eus envie de répondre « de plus loin sur la route », ou « de Malaisie », puisque telle était la vérité. Mais, obéissante, je déclinai mon pays en laisser-passer.

- Ah, merveilleux ! Les Champs-Elysées, la Tour Eiffel ! Chanel, Louis Vuitton !

Paris chic et choc. Paris de carte postale, mais Paris, oui.

- Vous êtes ici avec votre mari ?

Sur ma gauche, Habrien réprima un hoquet.

- Non. Je ne suis pas mariée.

- Oh… avec votre boyfriend, alors ?

- Non plus.

- Mais vous êtes célibataire ? Vous n’avez pas d’enfants ?

A ma gauche ne régnait plus qu’un silence consterné.

- Voilà, c’est bien ça.

- Vous venez boire un verre avec nous, alors ?

- Sans façon, merci. Là, je sèche.

Ils me saluèrent avant de s’éloigner. À peine avaient-ils parcouru un mètre qu’Habrien s’inclina, gêné :

- Vraiment désolé. Je ne m’attendais pas à ça de leur part. C’est toi qui avais raison.

Son embarras et sa franchise me touchèrent. Je les chassai d’un geste amusé.

 

Derrière les cocotiers, le soleil se couchait. Habrien et moi discutions encore sur le sable.

- Et si je te propose un verre maintenant, tu me dis quoi ? proposa-t-il prudemment.

- Je pense que je dis oui. Ta nata ! (Allons-y !)

Je remis ma robe. Il prit mes sandales. Nous marchâmes jusqu’au bar d’un hôtel. Calée sur une table face à la mer, j’allumai une cigarette.

- Probablement suis-je quelqu’un d’ennuyeux… déplora-t-il devant son jus de coco en reluquant ma bière. Je ne bois pas. Ne fume pas non plus.

- Mmmh… Depuis quand les gens sont-ils cotés à l’aune de leurs vices ?

La discussion, légère et parfois plus grave, roula des heures durant. La pluie nous saisit au beau milieu, protégés par une large feuille de palmier.

Bientôt notre abri ne fut plus suffisant. Transpercé de toutes parts, il se ployait pour tremper nos cheveux et nos vêtements.

 

J’aurais alors pu choisir de mettre fin à la soirée, mais n’en avais pas envie. J’étais bien. Sans projets ni plans, juste livrée au moment, au plaisir de l’échange et au regard de cet homme. Ses prunelles obliques m’avouaient sans fards que je lui plaisais tandis que sa bouche, sage, murmurait des mots anodins.

- As-tu prévu de passer bientôt par Manille ?

- Non, dis-je. A vrai dire, j’évite tant que possible la capitale.

- Au cas où, sait-on jamais… Si tu y étais bloquée, je te laisse l’adresse de mes parents. Appelle-les de ma part, ils seront ravis de te recevoir.

Saisissant mon cahier visayas-français, Habrien y nota avec application leur adresse et téléphone. Puis, emporté par son élan, ses coordonnées aux Etats-Unis.

- Ca, c’est si tu veux t’arrêter à Los Angeles.

- Je doute que ce soit la route la plus directe pour Manille, plaisantai-je.

Who knows ? La vie est pleine de surprises…

Il avait raison. Notre rencontre même était une surprise. Mais que désirais-je, au fond ? Rapprocher ma chaise ou la reculer ? L’embrasser ou me rester à distance ?

Je l’ignorais moi-même. Et, l’ignorant, prolongeait ces minutes où tout était possible. Le plaisir de la chair comme son renoncement. La fusion comme la solitude choisie.

Moi qui aimais les deux ne savais, ce soir-là, laquelle préférer.

 

Tout en un 3Secouée de bourrasques, la pluie battait toujours, tantôt giflant le sable, tantôt nous souffletant de sa fureur. Nous changeâmes de place pour nous replier sous un parasol.

Les rares clients avaient déserté la place, les serveuses se cachaient derrière le comptoir. Sous le ciel d’un noir d’encre, face à la mer déchaînée, accrochés à notre table telle à une coque noix perdue dans la tempête, Habrien et moi étions comme rescapés d’un naufrage.

- Cet orage me rappelle mon enfance, quand, avec mes frères, nous jouions sous la pluie dans les rues de Manille.

- On dirait plutôt la fin du monde…


Comme pour me rassurer, il posa sa main sur ma cuisse. Je ne me dérobai pas. Pas plus que je ne bougeai lorsque ses lèvres effleurèrent les miennes. Plongeant mes doigts dans ses cheveux, je gardai les yeux ouverts.

Il avait le visage d’un guerrier mongol. La sauvagerie des steppes perdues accrochée aux paupières. M’accrochant à sa chevelure, je coulai dans la pluie comme dans son baiser.

 

- Je te ferai jouir trois fois, me promit-il dans une naïve assurance.

Nue entre les draps, j’éclatai de rire.

- Trois fois ? Et pourquoi pas deux ? Ou quatre ?

- D’accord… quatre.

Après la première fois, il se lova contre moi.

- Tu m’as dit que tu ne savais pas cuisiner, n’est-ce pas ?

- En effet.

- Je peux cuisiner pour deux… si tu le souhaites.

Après la deuxième fois il s’endormit, murmurant dans son sommeil qu’il pouvait aussi ranger mes affaires éparpillées.

 

À six heures du matin, un fracas de vaisselle hacha mon sommeil. Étreignant l’oreiller, je songeai que ce n’était qu’un cauchemar de plus. Mais non. Le bruit se répéta. Plus fort, plus vif, plus insistant.

Je tâtonnai autour de moi. Pas d’Habrien.

La chute d’un plat dans l’évier finit de m’éveiller. Mi-étonnée mi-furieuse, je criai à travers les murs :

- Hé, que fais-tu ?

- Rien… Rendors-toi, j’ai presque fini.

- Mais comment veux-tu que je dorme avec un bruit pareil ?

Docile, Habrien vint se recoucher. Un poing soutenant son menton, les yeux rivés sur moi.

- J’aime te regarder dormir. Tu as l’air si… tranquille.

Je maugréai une phrase incompréhensible. Cachai mon visage derrière mon coude et lui tournai le dos.

 

Au matin, après la troisième fois, il me proposa de le rejoindre à Manille.

- Accepte, s’il te plaît. Je t’envoie un billet d’avion. Nous resterons quelques jours chez mes parents.

- Chez tes parents ? répétai-je, incrédule.

Je refusai.

- Les parents et moi, tu sais…

- Je me doute, acquiesça-t-il. Tu veux un café ?

- Volontiers.

- Je m’en occupe.

Avant que je n’esquisse un geste, il était déjà debout. Embrumée de trop de fatigue pour protester, je retombai sur les draps.

Il me servit au lit, empressé, heureux de me faire plaisir.

- Habrien ?

- Mmmh.

- Ma vie est ici pour l’instant. Pas à Manille, ni en France, ni aux États-Unis.

- Je comprends.

- Et je ne suis pas très douée pour la fidélité, je crois.

- Oh… Je ne suis pas jaloux.

- Habrien ? Take it easy, please.

 

Lorsqu’il partit, je remarquai qu’il avait étendu ma serviette humide entre deux fauteuils. Débarrassé le sable accumulé sur le canapé. Balayé le salon. Sorti la poubelle et rangé tout ce qui traînait dans la cuisine.

Je levai les bras au ciel.

Comment cela était-il possible ?

Quand je voulus m’habiller, je ne trouvai pas ma ceinture. Elle devait être quelque part, bien rangée. À moins qu’Habrien ne l’ait gardée, roulée dans sa poche, en souvenir.

 


1re photo : André Kertesz.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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