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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Mercredi 4 mai 3 04 /05 /Mai 17:43

Taiwan, Sueili.

 

In memoriam 2Pierrig me désigne un toit bleu de l’autre côté de la rivière.

- Notre hôtel. Enfin, s’il n’est pas fermé… Sinon, nous dormirons ailleurs.

Je ne demande pas où. Peu m’importe et tant mieux, puisque Pierrig a déjà disparu.

La nuit est tombée. Les bords de la rivière deviennent impraticables. La maison des athlètes me sert de refuge. 

Ming vient à moi :

- Pierrig m’a demandé de te conduire à l’hôtel pour que tu t’y reposes. Il te rejoindra plus tard. Vous dînerez ensemble. Ne paye pas la chambre, il s’en chargera.

Je reste sans voix. Ainsi, c’est Pierrig qui décide de tout, de mon emploi du temps au cours capricieux de mon estomac. Lui qui se charge de moi par personne interposée, comme une valise qu’on trimballe d’un lieu à l’autre.

- D’accord.


Ming me conduit à l’hôtel. Pierrig supposait bien. L’établissement est ouvert, et doté d’une jolie réceptionniste en comité d’accueil. Son pull et les collants noirs, trop épais pour la saison, rappellent l’exubérance de sa chevelure surmontée d’une barrette papillon. Ses ailes dorées s’inclinent tandis qu’elle s’adresse à Ming en chinois.

Pendant leur long conciliabule, j’observe l’insecte qui tourbillonne sur les lourdes mèches, prisonnier tels ces scarabées tenus au bout d’un fil par des enfants, vivants jouets au corps libre mais aux pattes emmaillotées, au vol captif brisé d’un coup de poignet. Et alors que les deux filles se taisent, c’est moi qui dégringole des hauteurs de mon imagination à la terre ferme.

- Un problème, Ming ?

- Oui et non. Ils ont beaucoup de clients et le bâtiment principal est en rénovation. Du coup, il ne reste qu’une chambre. Sans fenêtre.

- Ca ira pour cette nuit.

- Tu crois ? Pierrig fume… Ca risque de l’embêter.

Je réprime une grimace. Moi aussi je fume. Aussi vrai que je ne compte pas.

- Let’s have a look, dis-je.

Le long du patio s’enroule un cordon de chambres à large baies vitrées. Ming me désigne la première, sa petite terrasse encombrée de linge à sécher :

- Pierrig réserve d’habitude celle-ci.

J’acquiesce, soulagée qu’elle ne soit pas libre. Trop proche de la réception, ses murs n’offriraient aucune intimité pour nos jeux particuliers. Je devrais contenir mes cris pour ne pas alerter les employés, mordre mes joues, mes poings, comprimer au fond de mon ventre l’animal qui veut s’en échapper, échine renversée et gueule ouverte.

Ming, comme si elle avait deviné mes pensées, me lance un regard de biais.

Je souris.

Elle ne peut pas savoir. Pas savoir ce qui me meut, déjà frémissante dans l’air doux du soir. Pas savoir que plus tard, Pierrig crachera dans ma bouche un jet de salive entrecoupé de deux mots :

- Petite… salope.

 

In memoriam 1

Premier étage. Eclairage spartiate, bâche plastifiée au sol, seaux abandonnés et relents de peinture, le bâtiment a des airs no man’s land. A droite, une chambre en réfection. J’entraperçois un sommier défoncé, une table abandonnée, une chaise bancale. Le garçon d’étage nous guide jusqu’à la porte du fond, la déverrouille, allume les lumières.

 Le décor change soudain de face comme si, acteurs émergeant des coulisses, jambes titubantes et paupières douloureuses, nous étions projetés sur le devant de la scène, aveuglés par une double rangée de projecteurs.

Le parquet lustré réverbère les éclats tranchants des spots. Une clarté dorée, mousseuse, patine les meubles neufs. Des appliques éclaboussent les cloisons de gouttelettes scintillantes. Une ligne vallonnée de loupiotes serpente à l’aplomb du lit. Celui-ci, immense, s’orne de draps immaculés et d’oreillers ventrus.

 

Un miroir renvoie mon reflet surpris. Je suis au pays des rêves, dans l’antre de Cendrillon, avec une clef magnétique en guise de passeport et un sac à dos pour tout viatique.

Elfe en jeans et pull rose, figée comme par enchantement sur le seuil, Ming m’observe.

Le garçon d’étage, suspendu à ma décision, ose un timide :

- Like it, Miss ?

- I do.

- Well, dit Ming.

Ses prunelles sombres s’ourlent d’une hésitation, la même qui infléchit sa voix tandis qu’elle me souhaite une bonne soirée.

Je referme la porte sur mon théâtre de lumières.

 

Sans fenêtre pour me raccrocher au monde, je perds le compte des minutes en attendant Pierrig. Peu importe qu’il soit dix heures du matin, le crépuscule ou le milieu de la nuit. Je vis dans le temps immobile de la réverbération mate de la télévision, des franges soyeuses du canapé scintillant telles des flammèches.

Le tableau de commande des différents éclairages est si compliqué que je peine à m’en servir. Toutes les indications sont écrites en chinois, ce qui ne m’aide guère.

A son arrivée, Pierrig tentera d’allumer la salle de bains. Elle restera noire. Nous déciderons que l’ampoule est grillée. Que nous utiliserons cette pièce la porte ouverte. Et nous l’utiliserons, oui, mais non pour nous doucher.

- Doucement… dirai-je.

- Non.

Pierrig m’agrippera par les cheveux. Me forcera à m’agenouiller à même le carrelage froid, jambes entravées par ma jupe. Actionnera le jet qu’il dirigera sur son buste, mouillant par ricochet ma chemise, mes cheveux, mon visage. Bouche et nez remplis d’eau, je reniflerai, suffoquerai, me débattrai.

Cette averse impromptue cascadant sur ses jambes sera peut-être une forme de délicatesse, mais c’est son odeur à lui que je voudrais sentir, mêlée de l’air de la rivière et du brûlant soleil de l’après-midi. Pas le goût insipide d’une eau claire ni d’un savon, mais le goût intime de cet homme, de sa sueur, de son urine, de son sperme, le jus de toute cette journée entre mes dents restitué, palpitant sur ma langue tel un alcool, coulant à longues rasades au fond de ma gorge, étanchant et ma soif et mon désir.

 

In memoriam 3Abandonnés au seuil de la salle de bains, les vêtements de Pierrig forment un tas dérisoire. Coton agrégé de chair, les miens collent à mes seins, mon ventre, mes hanches. Le jet ruisselle encore sur mon crâne lorsque Pierrig me plaque contre la faïence.

- Doucement…

- Non.

Il entre brusquement en moi, un bras enroulé autour de ma taille, une main frappant mes fesses. Claques mates assourdies d’écume alors que je me tends, rehaussant mon bassin pour qu’il me laboure encore.

Mes poings s’abattent, impuissants, entre les trombes d’eau. Bouche écrasée, je murmure entre deux à-coups :

Tu me dois… quelque chose… depuis Koh Tao.

- Quoi ?

- La boucle.

- Attends donc… ça va venir.

Et c’est venu, oui.

 

A quatre pattes sur le lit, je n’ai pas vu Pierrig saisir ma ceinture. Mais je l’ai sentie sur mes épaules, mes fesses, mon sexe. Davantage encore lorsque, las de me fouetter avec le bout trop lâche, Pierrig imprima sa boucle sur ma peau. L’ardillon ouvert se ficha dans ma cuisse, doublonnant dans sa course mes muscles d’une traînée rouge.

La chaîne à mon cou scandait notre étreinte du battement de ses breloques. Cœur, cadenas, cœur, cadenas pulsant au staccato de mon sang. Accroché à ses maillons, les tirant comme les rênes d’une pouliche rétive, Pierrig cisaillait ma gorge. Joue tordue contre mon épaule, je capturais entre mes paupières l’éclat métallique de ses yeux, le pli de sa bouche répétant un mot que j’entendais à peine :

- Encore ?

Un gargouillis jaillit de mes lèvres.

- Chuttt…

La paume de Pierrig se posa, apaisante et complice, au creux de mes reins. Il ouvrit le collier comme pour me libérer. Cadenas et cœurs s’abattirent mollement, pêle-mêle sur ma peau.

- Petite salope…

J’aspirai une large goulée d’air.

- … tu ne croyais…… 

Le fermoir de la chaîne entailla ma chair. S’en délogea pour mieux s’y replanter. 

- … tout de même… 

Un à un les maillons sautèrent. L’air sortit de mes poumons dans un cri. 

- … pas que…

Je ne sus même pas ce que je criais. Peut-être rien, peut-être « non », peut-être « encore ».

A ce moment, Pierrig aurait pu tout me faire subir en restant en deçà de mon désir. Moi, je rêvais de supplices plus intenses et de douleurs plus déchirantes. D’une roulette de métal lacérant ma peau, de garrots encerclant mon cou, de liens disloquant mes poignets. D’une rive abrupte où, seule, je n’aurais jamais osé aborder. D’un aller simple vers une destination inconnue, d'un gouffre sans fond dans lequel je spiralerais pour me noyer.

- … c’était fini ?

Offerte, moite, glissante, je criais cette soumission qui me frappait en vertige, m’épurait pour me vider de moi-même, femme pleine puis coquille vide. J’aimais, passionnément, l’exigence, la dureté, la violence de Pierrig.

Par lui je voulais être prise, étranglée, battue.

Il aurait pu me tuer que j’aurais hurlé « oui, continue » en l’implorant de ne pas cesser. De me faire mourir encore pour mieux renaître entre ses bras, contusionnée, bleuie, souillée de bave et de foutre.

 

In memoriam 4Dans le grand lit, mes phrases alignées en explication se heurtent à un battement de cils.

- Eh, c’est dangereux.

Je hausse les épaules comme si je n’avais rien dit. Comme si, coupable de m’être trop laissé aller, je devais à présent m’amoindrir.

- Possible, mais je te fais confiance. Alors mettons que… nous jouons pour de rire.

Et je ris la première, d’un rire faux qui masque la vérité. Celle-là même que, sûrement sans s’en apercevoir, Pierrig m’oblige à cracher.

Je lui tairai que, sous ses mains, j’ai la porosité de l’argile et la dureté du minéral, prête à casser mais endurante à la douleur, fière de ses marques infligées en autant de médailles.

Cette vérité est assez effrayante pour ne pas être partagée. Et c’est sur mon secret que, corps séparé du sien, je m’endors. En chien de fusil, boucles éparses sur l’oreiller, Pierrig a déjà sombré dans l’inconscience.

Un autre voyage pour lequel il ne m’a pas attendue.

 

 

Comme tu l’as dit, que le sable fasse son œuvre. Recouvrir, abraser, polir.

Il faut parfois beaucoup de plages pour un oubli.

 

 

1re et 2e photos, respectivement :  André Kertész, Amano

 

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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