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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Vendredi 26 août 5 26 /08 /Août 17:58

Thaïlande, Prachuap Khiri Kan, juillet 2011.

 

 

 

La musique pour accompagner le texte...

 

Grande roue 1La ville est petite, l'hôtel immense. Jaune, marron, vert, couleurs des années 80 pour cette bâtisse sans cachet, aussi massive qu’un éléphant couché. Une aile a été ajoutée et, fait étrange, seul les couloirs desservant les chambres sont situés côté mer. Les balcons, eux, donnent sur le parking.

 

Mingus et moi logeons dans la partie ancienne du bâtiment. Chambre sans climatisation, mais avec une terrasse ouvrant sur la baie. Une route la longe, épousant la courbe du littoral jusqu’à la prochaine anse, une plage déserte ombrée de transats et de parasols déglingués. Bois et tissus sont rongés de vent, raidis de sel et pour s’asseoir, il faut payer. Dix bahts, obole réclamée par un gardien en uniforme. Il porte un pistolet à la ceinture et sur le visage, un grand sourire. Le même que celui des marchandes auxquelles j’ai acheté, plus tôt, un sarong.

Je lui règle son dû et ouvre mon livre, un polar glacé d’un pays froid, absurdement décalé par cet éternel été. Mon désir de paresser sur le rivage s’est heurté aux mouches des sables, aussi minuscules qu’avides de sang. Leur piqûre est si irritante que la peau de Mingus s’est vite boursouflée de cloques écarlates. C’est dans l’eau que nous trouvâmes refuge, coulant dans l’onde fraîche, corps enlacés et yeux repus des arceaux des collines, des courbes oscillantes des palmiers et du berceau d’un ciel si bleu qu’il doit jaillir des pinceaux de Klein.

 

Le crépuscule est tombé. Nous sirotons une bière sur notre terrasse. La ville est tranquille, comme assoupie. Après Bangkok l’électrique, saturée de gens, de voitures et de centre commerciaux, le contraste est saisissant.

A Prachuap, nous sommes presque les deux seuls touristes. Il y a bien quelques autres blancs que nous croisons à l’occasion, mais puisque ce sont toujours les mêmes, ils doivent vivre ici.

- Tu pourrais, toi ? avais-je demandé à Mingus.

- Non, je ne crois pas. Ou seulement pour écrire un bouquin.

Mon regard file sur la jetée grignotant la mer. Comme chaque soir s’y ouvre le ballet des voitures, suivie de la danse des bateaux. Ceux-ci patrouillent dans la baie pour pêcher le calamar, pulvérisant les flots de lumières vertes. Ils navigueront jusqu’à l’aube pour nous surprendre côte à côte dans le grand lit. Des sommiers jumeaux que nous rapprochâmes pour n’en former qu’un.

- Je veux être avec toi, sweety.

Pourtant de Mingus je m’étais éloignée, décidée à le quitter jusqu’à ce que nos routes se recroisent à Bangkok. Puis, de disputes en discussions, lui avait laissé une autre chance. Le bénéfice du doute. Une presque carte blanche.

Aucune relation, jamais, ne recommence de zéro. Mais toutefois peut-on essayer de vivre à deux.

 

Grande roue 2

Et l’amour dont me baignait ses yeux, éclaboussé d’espoir et de promesses, m’avait émue. Touchée comme par ce matin de Bangkok où Mingus pleurait de me perdre, négligeant d’essuyer les larmes qui trempaient ses joues.

Son amour est le même, immense, que celui d’un homme du passé. Même étincelle au fond des iris, même ouverture doublée d’un abandon impossible à feindre. Certitude d’être aimée pour moi-même, et même en dépit de moi.

 

Mingus me l’avait dit. Trop émotionnelle, trop compliquée, pas assez rationnelle, un désir d’enfant malgré un ventre cassé… Il y a quelques années, il m’aurait fuie. Mais aujourd’hui, il savait, disait-il, que j’étais son unique.

La femme par laquelle il connut, pour la première fois, les pointes de la jalousie. Le désir de protection aussi, pour les grands dangers comme pour les petits.

Mingus en eut la révélation lors de nos promenades à Amsterdam où, plusieurs fois, talons accrochés par les pavés, je faillis tomber. C’est son bras qui, me retenant, m’en empêcha.

- Appuie-toi sur moi, sweety… Je serai ton garde du corps.

La femme de laquelle il se découvrit amoureux. Vite, si vite, quelque part entre Bangkok et Le Caire. Peut-être parce qu’épuisée, je m’endormis tête entre ses genoux, visage offert, sans défense, paupières et lèvres entr’ouvertes.

Sûrement, au cours des mois qui nous séparèrent, avais-je mal jugé Mingus.

Après deux semaines de voyage, Prachuap me donnait raison.

Je l’avais en effet mal jugé.

 

Dans la baie mangée d’ombres, la lente sarabande des bateaux se poursuit. A l’arrière, sur la terre ferme, clignotent les loupiotes d’une petite fête foraine.

- Allons-y ! propose Mingus.

Des stands s’étalent le long de la rue. Beaucoup vendent de la nourriture. D’autres des vêtements, des bijoux fantaisie, des objets hétéroclites façon vide-grenier. Quelques chaises alignées font office de salon de massage, où s’activent de rudes matrones. Tête, dos, pieds, jambes… On paye à la demi-heure sans remonter son pantalon plus haut que le genou.

L’ambiance est bon enfant. Nous flânons dans la fumée des brochettes. A chaque pas, les gens nous sourient. Les plus hardis osent quelques mots d’anglais en guise de bienvenue. Nous tentons notre chance au tir à la carabine. Renversons chacun une peluche. Repartons, nos trophées dans mon sac, vers le milieu de la fête. Là se tient un manège pour enfants : une ligne de wagons peinturlurés tournant sur un rail, avec un pompon à décrocher.

- Faisons un tour !

Mingus refuse. Il est trop grand pour tenir dans un chariot. Puis le manège est rempli de bambins. Un peu ridicule, tout de même…

 

Grande roue 3C’est à bord de la grande roue que nous embarquons. Vétuste, d’une hauteur maximum de trois étages d’immeuble, elle monte à l’assaut de l’horizon dans un ferraillement de métal rouillé. S’arrête, tout en haut, entre les étoiles et la mer.

Blanc des néons, jaune des lampes à pétrole, vert lumineux des bateaux, le monde est un agrégat de flammèches tourbillonnantes. Et je tourne, emportée, pour m’abattre entre les bras ouverts de Mingus.

Prenant pour témoin la foule en contrebas, il me chuchote :

- Do you want to marry me, sweety ?


 

Deux semaines plus tard.

Pour retourner - seule - sur Bangkok, je pris l’avion. Le ciel était d’un gris si plombé qu’on ne distinguait rien du paysage.

Soudain, comme par magie, les nuages se déchirèrent. Une longue côte en demi-lune apparut. Puis une jetée qui s’avançait sur les flots. Puis un bâtiment massif, semblable à un éléphant couché.

Prachuap.

Je fermai les yeux.

Quand je les rouvris, la couche de nuages s’était refermée. Cette vision fugitive avait tout d’un rêve.

 

 

Photos : André Kertesz, Bill Eppridge, Noir et Blanc.

Par Chut ! - Publié dans : Mingus, my dutch herring
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