Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Il
avait le visage d'un samouraï et la barbe d'un pirate. Des cheveux très bruns en tignasse, des yeux de Chine et une bouche à croquer des fruits.
Son visage était d'Asie mais son prénom d'ailleurs.
Son nom était celui de l'eau, glissant sur la langue comme une vaguelette.
La première fois que je le vis, il étudiait, assis en tailleur sur sa terrasse. Je passai, attentive à ne faire aucun bruit. Mais les graviers bruissant sous mes pieds nus le forcèrent à lever la
tête.
- Hello ! How are you ? m'interpella-t-il joyeusement.
Le ton n'était pas que de simple politesse. Il avait la cordialité réservée à ceux que l'on connaît déjà.
Je fouillai en vain mes souvenirs.
Non, vraiment, jamais je n'avais vu ce visage-là.
J'allais me défaire de son salut d'un simple mot lorsque son regard m'arrêta. Il avait cette candeur
des enfants amusés, la curiosité en prime. Comme si, dérangé en plein travail à cette heure brûlante du jour, savoir comment
se portait une étrangère était de la plus haute importance.
Nous échangeâmes quelques phrases banales. Propos de touristes qui, partageant la même passion, se trouvent par
hasard dans le même lieu pour l'assouvir.
Sous cette conversation anodine en roulait déjà une autre, mais je ne le compris pas de prime abord. Ou ne voulus pas le comprendre. Avec certaines personnes, inexplicablement, je me sens bien
tout de suite. À peine les ai-je rencontrées que je les coucherais volontiers dans mon carnet d'adresses.
De là à les coucher entre mes draps, c'est une autre question.
Les visages de samouraï ont beau ne pas me laisser de glace, surtout par 35 degrés à l'ombre, j'aime laisser le désir monter comme la houle pour atteindre cet instant où, grossi par des
courants impétueux, il déferlera pour m'emporter.
Je le revis le soir alors que je flânais dans l'open space du club désert.
- What are you
doing here ? me demanda-t-il.
Sa question me cueillit encore une fois par surprise. Débarrassée du sel de l'après-midi, je savais que mes boucles d'oreille, ma robe violette, mes paupières ourlées d'ombre détonaient dans cet
univers de sable et de bouteilles d'aluminium.
J'esquivai d'un sourire.
Toutes les vérités n'étant pas bonnes à dire, ce que je faisais ici ce soir-là ne le regardait pas.
Il est des lieux où, même sans se chercher, l'on ne
peut que se recroiser. Celui de notre rencontre était si petit que nous tombâmes au matin l'un sur l'autre. Lui en pleine forme, moi égratignée de ma trop courte nuit, les cheveux poissés de
sueur et les yeux gonflés.
La minuscule glace de mon bungalow m'avait trouvée laide, chiffonnée comme un roman déjà lu.
J'avais conclu que je m'en fichais. Là n'était ni l'endroit ni le moment pour un concours de beauté. De toute façon, la mer se chargerait bientôt de défaire mes petits arrangements avec la
réalité.
Et la réalité tenait en trois mots : j'étais fourbue.
À mon entrée dans la cabane en bois, il eut l'air content. J'en arborai un que je souhaitais ravi. Mais sous mon sourire de façade perçait sûrement la fragilité des femmes qui n'ont pas été
comblées. Mes dents en canines déçues d'avoir goûté à une chair trop fraîche.
"Quoi que tu dises, tes yeux parlent à ta place."
Cette phrase si souvent entendue me fit rabattre mes lunettes de soleil puis observer un silence prudent. Que je finis par rompre en proposant tout à trac :
- So, you will dive today... Do you want to be my buddy ?
La proposition n'avait rien d'érotique : un buddy est simplement un binôme de plongée.
Jusqu'à présent, entre mon buddy et moi, ça ne collait pas, problement par ma faute. En voyant le nom Gabriele affiché au tableau sous le mien, j'avais cherché une femme, tourné et viré en
demandant avec insistance :
- Who is Gabriele ?
À la dixième fois, une voix lasse de baryton avait répondu :
- Gabriele, it's me.
Bâti comme un char d'assaut, poilu jusqu'à ses petits yeux sertis dans leur orbite, le cuir épais et le sourcil fourni, Gabriele réunissait tous les attributs de l'homme des cavernes. Et au lieu
de glisser avec élégance sur ma méprise, j'enfonçai le clou de ma stupéfaction d'un :
- Sorry... I was looking for a woman ! (Désolée... Je cherchais une femme !)
Depuis cette maladresse initiale, Gabriele et moi gardions nos distances.
Cette distance même que je souhaitais abolir avec l'homme au visage de samouraï.
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