Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Ile de Bornéo, Sarawak.
Un panneau coloré suspendu au bas d'un immeuble avec les empreintes de deux chaussures de trek. Tracks... Le nom m'a aussitôt plu, comme les messages des voyageurs laissés dans
l'escalier, les murs rouges de la réception et la grande chambre du coin. En plus, elle s'ornait d'un 6, mon numéro fétiche.
Alors j'ai dit "D'accord" et j'ai posé mon sac.
Tracks est une petite guesthouse repliée sur elle-même comme un escargot. Pour rejoindre une pièce, il faut en traverser une autre : le dortoir pour accéder à la chambre du fond, la réception
pour la cuisine, la cuisine pour la salle de bains.
Ici, l'intimité est fragile comme une cloison de bois. On vit côte à côte mais surtout ensemble.
L'après-midi, les lieux sont presque déserts. Mais le soir, lorsque tout le monde est rentré, on partage le récit de sa journée, une bière, de la musique. Des massages parfois, quand Matt
s'invite sur le coup de onze heures.
Matt, la cinquantaine solide, a des mains en battoirs et une poigne à vous briser les os. Lorsque que, la première fois, il s'empara de mon talon et le serra, je hurlai.
Matt, imperturbable, déplaça ses doigts pour poursuivre son examen. Je me mordis les joues avant que ne tombe son diagnostic :
- The devil is behind you. (Le démon est derrière toi).
J'éclatai de rire en pensant qu'il avait peut-être raison. Ernesto rit aussi, en pensant certainement que ce n'était pas si drôle.
A Bornéo, sur la terre des chasseurs de tête, on croit encore aux légendes. Aux
pouvoirs sacrés des objets, à la malédiction des crocodiles, aux génies de la rivière et de la jungle, à la protection magique des tatouages, témoignages à livre ouvert d'une existence.
Celle d'Ernesto a été bien remplie. Et de tatouages, son corps en est couvert. Non parce que tatouer est son métier, mais parce que chacun de ses dessins a un sens. Son corps est une passerelle
de son art à sa vie, de sa vie à son art. Et Ernesto ne plaisante pas davantage avec l'un qu'avec l'autre :
- Lorsque quelqu'un me demande un motif, ma première question est : pourquoi ? Ma deuxième : qu'as-tu fait pour le mériter ?
Mon regard effleura son buste mince taillé pour la jungle, ses cheveux longs, ses lobes distendus par de lourdes boucles d'oreille, s'attarda sur la pierre fétiche autour de sa gorge, cette
pierre même que plus tôt il refusa que je touche pour ne pas lui ôter son pouvoir :
- Ernesto... Si je te demandais un trident, tu me le tatouerais ?
Ses yeux d'onyx me dévisagèrent comme s'ils me voyaient pour la première fois. Puis, après un silence, il m'interrogea d'une voix douce :
- Où le voudrais-tu ?
A suivre.
La photo est publiée avec l'autorisation d'Ernesto. Il me fait autant confiance pour les textes que moi pour les tatouages. Alors, un grand merci à lui.
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