Vendredi 5 décembre
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03:31
Lorsque Christophe m'appela, il était bien plus de minuit.
- Aurélien est à la maison, nous prenons un verre et regrettons ton absence. Viens si tu peux et surtout si tu veux.
Lorsque j'acceptai son invitation, je n'avais aucun pressentiment, juste une idée derrière le cervelet. Qui se précisa alors que je gravissais ses étages.
Au premier, je pensais que le rasoir avait laissé sur mes mollets de petites estafilades.
Au deuxième, que ma peau était néanmoins douce et ma jupe courte.
Au troisième, que faire l'amour avec deux hommes était l'un de mes fantasmes.
Au quatrième, que je ne l'avais
jamais réalisé faute d'audace ou d'occasion.
Au cinquième, que je ne devais pas me tromper de porte. Parce qu'il était si tard que tous les occupants de l'immeuble
devait déjà dormir.
Hésitant entre deux sonnettes, je collai l'oreille à une porte. Je
n'entendis d'abord rien. Puis, mêlé aux mots d'Aurélien, le rire de Christophe, suivi de peu par le clac sec de la minuterie.
L'escalier se confondit avec les ténèbres. Mes yeux s'échappèrent par la fenêtre du palier. Le blanc de ses vantaux à peine découpé sur l'obscurité offrait un sombre décalque du couloir, d'un noir
d'encre intrigant comme la nuit sans étoiles.
De toutes les nuits que j'ai connues, les parisiennes sont les plus profondes.
À cause de la pollution, certes. N'empêche que mon esprit romanesque aime à inventer d'autres causes : un manteau opaque de murmures et d'étreintes enveloppant les immeubles, une chape de secrets
se coulant sur les appartements pour en souffler les lampes.
J'aurais pu appuyer sur la lumière ou la sonnette de Christophe. Oui, j'aurais pu, mais il me plaisait trop de rester là, tempes battantes avec mes idées qui se bousculaient, à épier les deux
garçons. À projeter le moment où je romprais l'équilibre de cet instant entre plancher et ciel, tendrais ma bouteille d'invitée venue de l'épicerie de coin, m'affalerais sur le canapé et sourirais
pour dissimuler mes intentions. Non qu'elles étaient mauvaises, peut-être simplement non partagées.
Depuis le temps que je chemine en solitaire dans ma tête, j'ai cessé d'attribuer aux autres mes arrière-pensées.
- Je crois qu'il y a quelqu'un, chuchota Aurélien.
La porte s'ouvrit pour me cueillir. La bouteille passa de mes mains à celles de Christophe.
- Tu n'aurais pas dû, dit-il.
- Si, si, insistai-je.
Nous choquèrent nos verres en bons amis. Discutèrent de même tandis jusqu'au moment où Christophe demanda :
- Alors... ?
- Alors... ? répétai-je.
Je savais pertinemment que cet alors nous mènerait vers un ailleurs. Un ailleurs pour lequel je ne réclamerai pas mon billet malgré mon envie.
- Alors... Quoi ? reprit Aurélien en écho.
Un peu plus tôt, sa main s'était égarée le long de mon dos. Christophe, depuis son fauteuil, n'avait pu voir cette caresse. Moi, j'avais feint de ne pas la sentir, indifférente et menteuse tandis
qu'il me tirait doucement les cheveux, exacerbant le désir dont je me dégageai d'un mouvement d'épaules.
- Alors quoi ?
- Alors rien, répondit Christophe en s'asseyant à mes côtés.
Ses lèvres se posèrent sur les miennes. Je les goûtai puis tournai la tête vers Aurélien pour qu'il profite de ce baiser. Il pouvait le refuser en se détournant.
Il l'accepta.
Par les mains d'Aurélien et Christophe je fus bientôt déshabillée, effleurée, étreinte, songeant que le désir de toute femme trouverait son achèvement dans ce quatuor-là. Parce qu'elles vous
prennent par la bouche, les seins, les cuisses et le sexe. Qu'elles vous touchent en s'immisçant dans vos points les plus sensibles.
Deux mains sont incapables d'offrir ce plaisir-là. Seules quatre le peuvent.
Alors qu'elles me parcouraient, me pénétraient, l'écho de paroles murmurées à un amant de jadis me revint :
- Lorsque ton sexe est dans le mien, je le rêve dans ma bouche. Et lorsqu'il est dans ma bouche, je le rêve dans mon sexe.
Il avait souri de toute son impuissance.
- Mais je ne suis qu'un.
- Oui, mais je te rêve deux.
Cette nuit-là, mon rêve devenait réalité.
Nue et comme sertie entre ces hommes, mon bassin tanguait de l'un à l'autre. À mesure de son oscillation leurs doigts me prenaient, se touchaient et se confondaient.
En moi aussi j'étais deux, d'un deux qui ne font qu'un.
Lorsqu'un seul me possédait, je possédais l'autre par ma bouche. Penchés, accolés par le flanc et l'épaule, Christophe et Aurélien étaient unis par mon corps qui jouissait d'eux comme eux
jouissaient de moi.
- Encore... Oui...
Ces mots jaillissaient de leurs lèvres comme des miennes pour se mélanger.
Au petit matin, j'embrassai Christophe et bordai Aurélien dans le canapé devenu lit avant de rentrer, des étoiles imaginaires plein la tête.
Celles-là même que la nuit parisienne n'avait su me donner.
Par Chut !
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