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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Vendredi 7 novembre 5 07 /11 /Nov 23:50
Les temps qui suivirent furent durs.
L'année avait bel et bien commencé, et sur les chapeaux de roue. Assommée de travail, je me prenais à regretter cet été dont j'avais si peu profité. Un été de tête-à-tête, ou plutôt de prise de tête, entre déclinaisons latines et diphtongaisons du e tonique.
Mes amis étaient sortis avec leurs amis ? Pas moi, cloîtrée face à Cervantès et Marguerite de Navarre.
Mes repas, c'est en compagnie de Clément Marot que je les avais pris.
On peut décemment rêver d'une discussion plus amusante.

Septembre me trouva avec un teint de craie, octobre de papier mâché, novembre de carton plombé.
Qu'importait. Puisque je tenais
semble-t-il le bon bout, pas question de le lâcher de sitôt.
Ainsi cette pause entre deux bourrages de crâne me cueillit dans la cour de la fac, lestée comme une naufragée à son bouquin.

En vérité, j'ignore qui du livre ou de moi jouait le rôle du poids mort.
Lui qui, en digne pavé indigeste, pesait comme une enclume au bout de mes poignets, menaçant de m'échapper pour se fracasser sur les pavés.
Moi qui, en manque chronique de sommeil, ne comprenais plus rien à rien, et surtout pas une ligne de ce que je lisais.
Chaque page tournée était une victoire dûment arrosée au café et aux miettes de
sandwich.
"Contrairement à l'ulcère, le concours est encore loin...", soupirai-je.
L'ingurgitation de toute cette littérature ne me réussissait manifestement pas. Censée tutoyer les hautes sphères, je demeurais au rase-mottes de la pensée, centrée sur mes boyaux qui se révoltaient et mes doigts poissés de mayonnaise.
Le décollage attendu n'était qu'un pitoyable crash. De plus, histoire de tout arranger, voilà que mon gobelet est vide, sans même un fond de marc dedans.
Il en serait resté que la face de mon monde n'eût pas été bouleversé : je n'ai jamais été douée pour l'auto-prédiction.
En l'occurrence, je n'ai rien vu venir.
Pas même lui.

- Un autre pour la route ?
Mes yeux s'arrachèrent du fond du gobelet pour atterrir sur un autre empli à ras-bord.
Trop forte. En un temps record, je venais de réussir l'expérience des vases communicants.
De me remémorer Forrest Gump, un film dégoulinant de bons sentiments comme la mayo sur mes paumes, et son célèbre :

"Maman disait toujours : la vie, c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber."

De me forger en réaction un adage personnel et privé :
"La vie, c'est comme une suite de gobelets, on n'a jamais fini de les écluser."


L
a main serrée autour du récipient avait la même apparence que la voix : nette, carrée et pas franchement caressante. Mais puisqu'il paraît que seul le geste compte, j'avançai la mienne pour l'attraper.
- Merci, dis-je en remontant de la main à la manche, de la manche à l'épaule, de l'épaule au cou, du cou au visage.
Blanc de peau et brun de poil, poupin et mâle à la fois, il avait une paire d'yeux noisettes soulignés en haut par des sourcils à l'arc parfait, en bas par une double rangée de cernes.

Un regard verlainien aussi étrange que pénétrant, et surtout implacable.
Sa fixité dérangeante, loin de me sourire ou de chercher une quelconque complicité, m'observait juste comme un insecte. Mais pas comme une mante religieuse, non, du tout. Plutôt façon moucheron prisonnier d'un gobelet en plastique.

- Merci beaucoup, dis-je encore, partagée entre le malaise et la curiosité.
Nom de nom, que me voulait donc cet homme ?
J'avais passé l'âge de croire qu'offrir un gobelet n'est que pure gentillesse rendue à une fille épuisée. A fortiori lorsque cette fille se fiche bien de vous, trop occupée qu'elle est à tenir un livre-enclume.
Perturber une activité aussi passionnante est d'habitude signe d'intérêt. Un intérêt dû à une attirance minimum, étayé d'une bienveillance ad'hoc : on a envie de connaître l'autre, ne serait-ce que pour mieux l'allonger. De lui signifier qu'il nous plaît, ne serait-ce que pour mieux obtenir son accord.

Mais dans ces iris marron pâle je ne discernais rien, à commencer par l'ombre d'une sympathie ou d'un doute.
Cette opacité me renvoyait à ma propre transparence. Assise sur un banc dur, je n'étais qu'un contour de femme
traversée par deux pupilles, un ectoplasme sans bouche ni seins, aussi gris que le mur et agrégé à lui.

J'eus soudain froid, non à cause de l'hiver ou de la fatigue, mais à cause de ces yeux glacials qui me changeaient en pierre.
Dans tout mon corps gourd, seule une partie faisait exception : mes paumes brûlées par le gobelet trop mince.
Cette chaleur
était le lien ténu entre cet étranger et moi, la contradiction apportée à son regard et son cadeau que je n'avais accepté qu'à moitié, ne l'ayant pas encore bu.
Si je portais ce philtre à mes lèvres, je pressentais que je me lierais à cet homme par la force d'un pacte.

Hésitant à peine, je levai le gobelet pour trinquer seule. Avalai le café amer jusqu'à la lie alors que l'inconnu s'installait à mes côtés.
Assis, il était à peine plus grand que moi. Aussi plongeais-je mes pupilles à l'aplomb des siennes pour dire simplement :
- C'est bon.
Il approuva d'un hochement de tête.

Comme réchauffés par mes mots, ses yeux n'étaient subitement plus froids. Ils flambaient au contraire d'une lueur que je connaissais bien. Ironie, défi, provocation ne titillaient pas mes instincts de soumise mais de guerrière.
- Tu veux jouer ? Moi aussi. Alors, si tu veux la paix, prépare la guerre.
Galvanisé par l'adversité, le vulgaire moucheron se sentait pousser des mandibules de mante religieuse.
"De toi et ton arrogance je ne ferai qu'une bouchée", me flattai-je, trop, sûrement, car de ses lèvres coulèrent une phrase qui me laissa interdite :
- Voulez-vous coucher avec moi ? Je m'appelle Vassilis.
Pour cette guerre-là je n'étais pas armée. Et j'allais probablement la perdre
faute de munitions.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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