Dimanche 28 septembre
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Deux bras dansent comme des flammèches sur le noir.
Achille s'approche du pas assuré du gorille dominant et me gratifie du sourire carnassier du fauve.
Ni ses photos ni son style littéraire n'ont menti : cet homme est sans conteste un bel animal trop bien pommadé.
Il a la veste de smoking chantilly-crème coupée nickel. La pochette en soie
chocolat du ton tranchant pile. La chemise blanche ouverte jusqu'au bouton qu'il faut. Le jeans un peu large du minet raccord avec la dernière mode, parfaitement à l'aise dans ses mocassins
griffés.
De cap en pied, ce mélange d'apprêté et de décontracté sonne chic et toc. À l'image de son visage trop lisse pour son âge avoué, de ses cheveux gominés au gel ou de sa barbe de deux jours
faussement négligée.
Le méticuleux travail de la tondeuse est passé par là, ça crève les yeux.
Le point d'achoppement de sa beauté est aussi mon point d'accroche : Achille a, près de la tempe, une profonde cicatrice blanchâtre.
C'est elle que je fixe alors que nous nous asseyons face à face. Elle que je me retiens d'effleurer alors qu'il détourne la tête pour héler le garçon.
La carte du bar entre les mains, nous hésitons : l'heure est celle du café ou du dernier cocktail.
Achille commande du chaud, j'opte pour du froid.
Il sucre largement sa boisson, je sirote l'amertume de la mienne.
Tandis que la discussion s'engage, la fracture entre nos mondes est consommée.
Achille est sûrement habitué à ce que les femmes boivent ses paroles. Moi, je ne bois que mon whisky. Et
je l'écoute parler de lui, de son travail à la télévision, non avec l'engageante courbure des fleurs désirant être cueillies, mais avec la rigidité du chardon pas prêt d'être fauché.
Attentive mais pas extasiée, intéressée mais pas conquise.
Ceci expliquant - peut-être - cela, la préciosité a disparu de ses propos. Restées à quai,
les formules de gare dévolues aux romans du même acabit. Remballés dans les cartons, les tendres signes d'une
virtuelle complicité.
Ce ne sont plus des charmes frelatés qu'il cherche à me vendre, mais son intelligence.
Je ne peux qu'approuver car intelligent, il l'est.
À peu près autant que sûr de lui.
La nuit desserre lentement son poing d'ombre sur la capitale. Un à un, les clients égrillards, le fêtard esseulé et les prostituées russes ont déserté le bar.
Achille et moi sommes les derniers résistants ou empêcheurs de baisser de rideau, dont le serveur exténué souhaite le départ sans oser le demander.
Pour nous y encourager, il pousse les tables et empile les chaises de la terrasse en commençant par les plus éloignées. Mais bientôt, il n'y a plus rien à mettre en ordre.
- Vous désirez autre chose ?
- L'addition, merci.
Voilà l'heure du coup de torchon, celle où l'on règle les comptes.
Je barbote la facture sous le nez d'Achille. Il proteste de l'air offensé du mâle atteint dans ses prérogatives.
- Laisse, c'est pour moi !
- Non.
Mon refus ne s'adoucit pas de la promesse d'une réciprocité.
Il n'y aura pas d'autre verre, je veux rentrer.
- Je te dépose ?
Achille, faufilant une main sous mon bras, m'entraîne vers sa voiture.
À mes yeux, toutes les carrosseries montées sur quatre roues se ressemblent. Totalement incapable de les différencier, je ne les reconnais qu'à leur plaque, exceptions faites de celles que mon
père, fou d'automobiles, collectionne.
Or, cette voiture m'est familière. Mais si mon paternel possède l'originale dans son garage, Achille n'en détient que la réplique : la tôle est trop lustrée pour dater du siècle dernier, le cuir
des sièges pas encore patiné par le derrière des passagers.
Chic et toc... Cet ersatz de pièce de maître résume à lui
seul l'homme qui accentue la pression sur mon coude.
- Alors... Je te raccompagne ?
Si une ficelle de la séduction consiste à montrer sa grosse bagnole à une femme, j'ai déjà le ciseau pour couper la
corde.
Mais cela, Achille l'ignore.
J'hésite coincée entre deux feux.
Je prendrais bien, seule, un bol d'air et de nostalgie dans le froid âpre du matin. Longerais ce
boulevard qui mène au jardin de mes années d'étudiante. Attendrais l'ouverture des grilles pour remonter l'allée conduisant au lac. Regarderais les chaises abandonnées par les promeneurs en
imaginant les dialogues de leurs fantômes. Avalerais un café brûlant près du kiosque à musique avant de me traîner chez moi.
Mais je prendrais bien, aussi, cette voiture. M'y vautrerais pour économiser mes jambes. Dériverais dans un demi-sommeil réchauffé par la clim, bercé du ronronnement conjugué du moteur et de la
radio.
Les lèvres d'Achille, soudain pressées sur les miennes, m'évitent de répondre. Si agréables lorsqu'elles se taisent, elles pansent ma mélancolie d'une piquante douceur au menthol.
Je recule d'un demi-pas.
La cicatrice qui bat à sa tempe m'invite à ouvrir la portière.
Nous traversons Paris en silence.
- Arrête-toi sur la place, s'il te plaît.
Mon lit est à dix minutes à pied.
J'embrasse Achille une dernière fois, sors de sa voiture et lui tourne le dos, persuadée ne plus jamais avoir de ses nouvelles.
Je me trompais.
Par Chut !
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Publié dans : Eux
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Bisoux !!
Bizettes.