Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
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Dans
mon travail, je suis carrée, je suis à l'heure, je suis maniaque. Les gens avec lesquels je traite me voient comme un bourreau de travail, doublée d'une perfectionniste.
Gentille, mais surtout exigeante. Ayant de l'humour, sans doute, mais pas très fun au fond.
À leurs yeux je suis organisée, jamais prise en défaut. Ils auraient un choc en rentrant chez moi, où règne souvent le plus parfait bordel.
Combien de fois ai-je entendu :
- Je ne t'imaginais pas comme ça !
- Ah, et comment, alors ?
Suit un silence embarrassé. Je me doute que la réponse me serait pénible. Je n'insiste pas.
Un jour, une collègue m'a avoué :
- Pour moi, tu étais une souris de bibliothèque, passe-partout avec une coupe moche et de grosses lunettes.
Je sais les a priori des gens sur moi.
Auparavant, ils me vexaient. Maintenant, ils m'amusent.
Comme tout le monde, j'ai dû faire des choix douloureux, prendre des décisions difficiles. Rassembler mon énergie et m'y tenir pour réussir. Tirer des plans et m'accrocher pour les suivre, alors
que j'avais envie d'abandonner.
Mais souvent, je plane. Distraite et encore plus gauche que distraite.
Les grilles de métro me font des croche-pattes, les objets me tombent des mains, mes meubles m'écorchent les genoux. Je les soupçonne de se déplacer en mon absence, rien que pour me rentrer
dedans.
Je ne pense qu'à un voyage et, le matin du départ, me trompe d'aéroport.
Je loupe l'avion et je pleure.
Je m'habille chic pour sortir et termine le repas vêtements tachés, visage constellé de miettes. Je sers de la sauce à mon voisin et manque son assiette. Je postillonne du vin dans le nez de mon
vis-à-vis.
Je suis incapable de garder ma serviette sur les genoux. Je me baisse pour la ramasser, je me cogne la tête.
Je perds l'accessoire (gants, parapluie, briquet, courrier), j'oublie l'essentiel (mon code de carte bleue à la caisse des magasins, mon sac dans le métro, mon ordinateur au café).
Je jette mes clefs dans le bac à verre, je sors dans la rue poubelle à la main.
Je sais les gaffes à éviter et les commets une fois sur deux.
Gag-woman malgré moi, ridicule, je me déteste.
Ma meilleure amie m'a dit une fois :
- Vu ta maladresse, je me demande par quel miracle tu es encore vivante.
Moi aussi.
Je rêve de permanence, de stabilité.
Mais les "toujours" et les "jamais" éveillent ma méfiance.
Je voudrais y croire, j'en ris.
Qui peut les avancer sans se tromper ? Et la bonne foi ne change rien à l'affaire.
Face aux hommes, je suis souvent tout l'un ou tout l'autre. Je provoque, je parle de cul avec des mots crus. On me regarde
comme une allumeuse ou, qui sait, une pétasse.
Mais je peux aussi ne pas oser soutenir un regard, trembler de tous mes membres, rougir comme une collégienne.
Retour à la case départ, au degré zéro de la séduction.
En amour, je peux être douce. Mais je suis aussi brutale, cassante.
Un jour, je console. Le lendemain, je domine. Je suis la maman, je suis la Maîtresse, l'amoureuse et la peste, l'enclume et le
marteau.
Souvent, les paroles entendues dans l'enfance remontent.
"Mais qu'est-ce que tu veux, à la fin ?"
"Oh, tu es bien trop compliquée à suivre !"
"Ma pauvre fille, tu n'es pas sortie de l'auberge..."
Bref. Je suis ceci et son contraire, ou plutôt cela et son contraire à la fois. Divisée, éparse, sans solution de continuité, je voudrais me saisir mais m'échappe. Je me fais l'effet d'un
patchwork aux morceaux mal cousus ensemble, d'un puzzle dont les découpes ne s'assemblent pas, livré avec des pièces intruses et sans mode d'emploi.
J'envie ceux qui sont "un", qui se définissent avec assurance. Jeune, je les méprisais en les jugeant trop simples. J'en suis revenue.
Aujourd'hui, je préfère penser que toutes ces facettes m'enrichissent au lieu de m'appauvrir. Puisque je ne peux vivre qu'avec, autant les apprivoiser pour ne pas les subir.
Photo de Hugh Kretschmer.
Et si l'on se voyait demain pour trancher le nœud gordien ? :)
Je ne te jure pas que je ne te renverserai pas mon plat sur les genoux, je risquerai de ne pas tenir mes promesses. Mais je jure que je ferai un effort... surtout si tu fais la cuisine !