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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Pierrig, près de l'os

Mardi 28 septembre 2 28 /09 /Sep 11:52

InstantsLes loupiotes ont été allumées dans les arbres. Elles pendent comme des guirlandes de fruits trop mûrs, éclairant la plage et les tables d'une lumière étale.

Je suis à la table sous l'auvent. La fille en robe bleue, assise jambes nues en tailleur, une cigarette à la main, c'est moi. Indifférente au brouhaha du bar, penchée sur l'ordinateur, j'écris. Pour compagne, la musique de Jan Garbarek et, lorsque j'aurai fini, un roman de Murakami. Ou le mien, inachevé, en attente de corrections.


Déjà le soir et je suis encore humide d'un séchage écourté. Quatre cents mètres brasse et une ondée qui m'a saisie sur le sable, me forçant à trouver un abri. Puis la pluie s'est arrêtée pour ne pas revenir, mais la mer ne me tentait plus.

Réveillée tôt et motivée, je m'étais rendue au dive shop pour une épreuve de nage. Elle manquait à ma formation de guide, mais comme pour l'heure je ne plonge plus, la hâte n'est pas de mise.


Le dive shop ouvert tous les jours était bizarrement fermé. Je suis repartie vers le bout de plage. Et dans l'autre sens avec la pluie. Et dans le sens opposé, encore, après un jus de calamansi avec Bertille.

Du lieu de mon bain à la table sous l'auvent, il n'y a que cent mètres. 

Une dentiste à deux heures de bateau m'a fixé un rendez-vous qu'il m'est impossible d'honorer. J'ai raccroché, agacée de tous ces contretemps.

J'ai pensé que cette journée serait une suite de rendez-vous manqués et de courses dans des directions contraires.

Pas exactement car à dix-huit heures, j'en savais davantage.

C'est la semaine prochaine que je quitte la maison biscornue pour la clinique au-delà de la mer.

C'est aussi Pierrig que je revois peut-être en décembre. Drôle de date pas vraiment conclue pour une journée remplie d'avortés. Peu importe. Lui et moi avons toujours privilégié le mode du voyage et de la liberté : trois retrouvailles en en trois ans, dans un pays à chaque fois différent.


C'est moi qui ai cet été refusé les quatrièmes. Non, je n'irai pas à Singapour mais, reine fantôme d'un palais de guingois, resterai aux Philippines. Parce qu'il y avait le tampon sur mon visa, son renouvellement facile, la rédaction de mon roman. Toutes ces raisons qui, bien que vraies, s'effaçaient derrière une autre.

En vérité, j'étais aussi déçue que fâchée. Un sentiment avait conduit au suivant et les deux s'étaient mutuellement confortés, ourobouros de colère tournant à vide.

Depuis mon départ de Koh Tao, Pierrig et moi n'avions échangé que peu de nouvelles. Rien d'étonnant, tel était notre fonctionnement. Le pincement désagréable provint du contenu de nos rares conversations. Tôt ou tard s'y infiltrait ce qui nous avait, lors de notre dernière rencontre, si parfaitement rassemblés.

Les fantasmes. Le sexe. L'érotisme. La cul. L'envie. La baise.


Instants 3J'avais beau ne pas dire non, je restais, fenêtre de chat fermée, sur un sentiment de malaise, d'inachevé, de simplification frustrante et triste.

Bien que distante, davantage tacite qu'explicite, notre relation jusqu'alors riche me semblait s'aplatir, comme un espace à plusieurs dimensions privé de ses reliefs.

Une fois écrasée, cette boîte serait vide. Même plus celle de notre Pandore à nous, terreau d'imaginaire duquel avaient sans entraves jailli nos désirs. Eux et tant d'échanges si beaux, joyaux que j'aime à sortir du réticule de ma mémoire en songeant, emportée, au Cendrars du Lotissement du Ciel.


Avec le temps, de ce texte partiellement effacé restent des bribes, dont celle-ci : jeune, Blaise Cendrars fut embauché par un diamantaire. Son contrat de travail lui imposait de ne pas sortir de la pièce où les diamants étaient entreposés. Alors, dans sa solitude aussi choisie que forcée, il remplissait la nuit d'étoiles artificielles, ces pierres précieuses qu'il disposait sous les éclairages pour les voir étinceler.

Avec le temps et nos échanges tronqués, les anciennes conversations avec Pierrig devenaient comme le texte de Cendrars. Partiellement effacées, sans rien pour les aviver. Et si nous volions encore, c'était comme le saint Joseph du Lotissement.

Retrorsum volantem, c'est-à-dire en marche arrière.

Sous la patine la sève coulait du fruit et, complice, hésitante, je la regardais s'épandre.

Accordais-je trop d'importance à une impression fugace, quoique de plus en plus nette ?

Ce sentiment de perte était-il légitime ? Certainement, puisqu'il était mien. Mais, peut-être à tort, je me défie de ma sensibilité.

Comment lui en parler ?

Et le fallait-il, la situation pouvant se corriger d'elle-même ?

Je craignais que mes mots ne sonnent comme une accusation ou une mise en demeure, totalement à rebours de notre relation. Pas facile d'exprimer un ressenti sans qu'il ne passe pour un reproche.

Là, de reproches, il n'y en avait pas. De signal d'alarme, si. 

Je guettai une occasion qui ne se présenta pas. Rangeai mes doutes dans ma poche et mon mouchoir par dessus.


Mon temps de réclusion dans la douleur ne fit qu'aggraver la donne. Je ne reçus alors aucune nouvelle de Pierrig. N'en envoyai pas non plus. Quelques messages allusifs lancés ça et là, bouteilles à la mer dans un espace semi-public, ne suffirent pas.

Avec le recul, je me rends compte qu'à cette époque, presque personne ne comprit. De si loin, compliqué de percevoir à quel point être malade, isolée et en proie à une douleur qui bouffe tout frôle l'insupportable.

J'agis comme souvent : me renfermer en attendant en vain.

C'est bête mais c'est moi. Dire peu pour suggérer le tout, rarement appeler au secours sous prétexte que ça passera. Sauf que ça ne passe pas toujours. Et que ce qui est bloqué doit tôt ou tard sortir.


Instants 4Avec Pierrig, ce fut par le refus de le rejoindre à Singapour. Je lui expliquai pourquoi, brièvement. Il crut qu'ayant mal interprété son offre, je plaisantais.

- Non, insistai-je, tu as très bien compris.

Et le silence se referma. Long, presque deux mois.

Et ma déception monta. La colère également.

Bon, maintenant que j'ai parlé, quoi ? Rien.

Je t'explique que j'ai manqué de soutien, et quoi ? Rien.

Message reçu.


Je sus pourtant quelle était sa chambre à Singapour.

La 73, au 71e étage de l'hôtel.

Pierrig avait photographié le ciel par ses fenêtres. Couchée le long de sa poitrine, j'aurais pu moi aussi contempler cet horizon. M'allonger à terre pour qu'il me prenne. Me pencher au-dessus du balcon, ivre de mon vertige dans les derniers spasmes du plaisir.

Prendre la bonne décision n'empêche pas la nostalgie de ce qui aurait pu être.

 

Son silence se prolongeant, je faillis le rayer de mes contacts. Me ravisai, reculant derrière un sentiment d'irréversible. Tout amochée qu'elle fût, cette relation m'importait encore.

Peut-être par fidélité à nos moments partagés, en dérisoire gardienne d'un temple apparemment déserté.

Peut-être pour le souvenir de cette discussion si particulière sur une berge du Mékong.

Pour cette photo de mes épaules nues que Pierrig prit le matin de mon départ, alors qu'il me croyait endormie.

Pour cette violente jouissance qui, dans sa chambre en haut de l'escalier en béton, jaillit en hurlements de ma gorge. Si forts qu'il dut me bâillonner de ses doigts, me précipitant au bas du septième ciel où j'étais montée.

 

Pierrig fut l'un de mes meilleurs amants. Rarement j'ai eu l'impression, non, la certitude, qu'à ses côtés je pouvais être libre, totalement. Qu'aucun de mes désirs tordus ne le choquerait.

Mieux, que les siens finiraient par précéder les miens, m'entraînant encore plus loin que je ne l'imaginerais, frissonnante de la route parcourue, me tournant pour en rire et m'abattre encore contre son flanc, marquée de ses mains et léchée de ses baisers.

Son appétit est féroce mais ma soif intense. Et je sais que dans un lit, nous sommes taillés l'un pour l'autre, nous façonnant l'un l'autre au contact de nos peaux.

Les meilleurs amants ne font pas forcément les meilleurs amis, mais chacun a le droit à l'erreur. Aujourd'hui nous avons convenu de ne plus laisser le temps couler sans nouvelles.

Alors, en décembre, peut-être...

 

 

Accrocs 4Panne de batterie s'en mêlant, ce billet fut écrit ce soir en plusieurs fois.

J'ai pensé à publier ici la dernière chanson qui accompagnerait son point final, au hasard du choix de mon IPod.

Cette chanson aurait pu être Illicite, mais le billet n'était pas terminé.

A Epaule tattoo, il ne l'était pas davantage.

 

Ce fut sur The Love Song de Marlango qu'il s'acheva. Un signe peut-être, cette relation étant aussi une forme particulière d'amour. Ou, plus justement, un amour particulier - aux deux sens de l'expression.

Le grand que nous aurions pu partager a filé entre nos doigts voilà plus de deux ans et demi.

Je venais de rencontrer Feu mon amour et avais ma route à faire avec lui, toute brisée qu'elle soit.

Puis c'est Pierrig qui tomba amoureux. Il avait aussi sa route à faire, à peine moins brisée que la mienne.


Et sur ce point vraiment final, c'est Björk, Unison, qui a pris le relais. Quand aux deux morceaux suivants, ils avaient un drôle de point commun : Christmas dans leur titre.


Douce nuit à tous et merci à mon ange sur l'épaule.


 

Peinture et dessin : Leonor Fini, Manara, Enki Bilal.

Photo de Samantha Wolov.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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Dimanche 20 juin 7 20 /06 /Juin 13:45

Ceinture 4- La ceinture… chuchotai-je.

J’étais attachée aux baldaquins du lit, poignets entravés d’une simple ficelle. J’ignorais où il l’avait dénichée. Dans la chambre peut-être. Ou dans son sac de voyage, duquel il l’avait sortie comme un magicien. Après avoir parcouru tant de distance pour me rejoindre, il avait sûrement pris ses précautions.

 

Si je pesais sur la corde de tout mon poids, elle se romprait et me précipiterait, libre, sur le sommier.

Mais ce n’était pas le jeu.

Aussi m’efforçais-je de garder mon équilibre. Sur la pointe des pieds, sautillante, en tension arquée de la nuque aux orteils, j’avais conscience que cette position faisait se creuser mes reins et saillir ma croupe. Qu’elle accentuait le contraste entre les deux, finesse de mon ventre contre rondeur de mes hanches.

Yeux bandés, je ne pouvais pas le voir mais je savais, sentais qu’il me regardait. Qu’il se repaissait du spectacle de me voir sans défenses livrée à ses caprices.

 

La corde entamait mes poignets. Douce morsure à peine cuisante et pas assez brûlante. J’en désirais une autre, une cinglante pour me punir, m’exciter, me faire jouir.

- La ceinture… murmurai-je encore.

Il n’y eut plus dans la chambre que mon halètement et un bruit d’affaires fouillées. Des sons incongrus d’objets tombés à terre, le zip d’une fermeture-éclair ouverte à la hâte, le froissement de vêtements repoussés à coups de pied. Et enfin, le silence.

- La ceinture ? demanda-t-il.

Aveugle, frémissante, j’opinai de la tête.

- Tu es sûre ? Bien sûre ?

Hésitait-il ou espérait-il que je le supplie ?

- Je ne crois pas, désolé…

Je grimaçai. Il ne voulait plus jouer comme moi je le désirais. Et j’étais déçue, d’une déception au moins égale à mon impatience.

 

Plus d’un an auparavant je l’avais entraîné dans ce jeu, guidé vers mon plaisir en pressentant qu’il pourrait aussi être le sien. Intuition fondée sur des riens, une lueur dans l’iris au détour d’une conversation, une main qui, soudain, ne caresse plus mes fesses mais les brusque.

Le deuxième soir, j’attrapai un foulard qui traînait sur le lit. Bandai ses yeux, attachai ses couilles, marquai son dos de mes ongles, ses cuisses de mes dents. M’amusai avec lui comme un jouet, poupée de chair que j’amenais au bord de la jouissance pour brusquement l’abandonner. Puis, lentement, doucement, je reprenais la torture. Chatte et pute, femme et reine, gémissante et souveraine, attentive à son souffle, ses sursauts, ses cris.

Mes doigts roulèrent un autre foulard en corde mince. J’emmaillotai sa verge et serrai, serrai en l’enfouissant à fond de gorge.

En appui sur les genoux, il chancela, prêt à tomber.

La corde défaite, son sexe était zébré de rouge.

 

CeintureNous inversâmes bientôt le jeu.

De reine je devins esclave, déchue de sa couronne pour plier devant son pouvoir. Empire encore tâtonnant, tant on ne découvre pas sans hésitations un immense terrain de jeu.

Le dernier jour nous ne quittâmes pas la chambre.

 Le lendemain notre séparation se fit sans promesses. Avant que je ne monte dans le taxi, il me serra et me regarda, fort, glissant simplement :

"Prends soin de toi."

Peut-être nous reverrions-nous. Peut-être pas. Le pas était le plus probable jusqu’à ce qu’il prenne l’avion.

Entretemps il était devenu loup. Aussi étais-je déçue, violemment, de son refus.

 

La ceinture me cingla sans prévenir et je criai. De douleur, de plaisir et de gratitude mêlés.

- Silence !

Pinçant ma taille, chatouillant le lobe de mon oreille, il menaça de me bâillonner. Il fallait que je contienne la vague qui montait, que j’endigue le flot de salive qui baignait ma bouche.

Il fallait que je me retienne, sinon il arrêterait. Le délicieux supplice prendrait fin et je me retrouverais, frustrée, seule sur le lit.

Il frappa encore.

Je me mordis les lèvres. Un petit sourire, je l’aurais juré, tordait les siennes.

Il n’eut pas ces mots vulgaires, ces phrases que je déteste mais que - qui sait - j’apprécierai peut-être un jour.

"Tu en veux encore, hein ? Tu mouilles, salope ?" ont sur moi l’effet d’une douche froide. Terminus désir, même si j’ai moi-même pu les prononcer. Je n’étais, je crois, pas une gentille maîtresse.

 

Lardant de flammèches mes reins, ma croupe, mes cuisses, les coups tombaient, drus, irréguliers comme je les aime. En fessée, la prévisibilité me lasse, l’attente suivie de la brutalité me comble. Le creux du rien éveille mes sens, les affûte en les conjuguant à la peur.

"Quand va-t-il frapper ? Où ? Comment ?"

Désirer. Craindre. Fondre. Se raidir. Espérer. Se taire. Supplier dedans mais n’en rien montrer. Ne plus maîtriser, ne plus se maîtriser.

La surprise de la douleur est pour moi partie intime du plaisir. D’un plaisir qui, j'en ai conscience, peut effrayer.

 

Ainsi, une après-midi, je me coulais contre le flanc d’un amant pour chuchoter :

- Spank me hard… I wanna be bruised.

Je me souviens de son regard presque affolé.

Me fesser, il était à la rigueur d’accord. Mais si fort qu’il m’en couvrirait de bleus, cela le dépassait, le gênait dans sa morale de bon garçon.

« On ne frappe pas les femmes, même avec une rose. » Foutaises.

Si je veux la rose, j’en veux surtout les épines. Je veux qu’elles me lacèrent, me fendent, me déchirent. Je veux en hurler, en saigner même. Je veux des traces qui nous unissent, mon amant et moi, en secret.

 

Ceinture 2Bleu, rouge, jaune, couleurs de notre alliance dérobée aux autres, ces étrangers devant lesquels, au café, au restaurant, nous présentons bonne figure.

Pour eux, le gémissement retenu alors que je m’assois ne signifie rien.

Pour nous, il signifie la chambre, l’intensité, la lanière, le claquement, la jouissance.

Ces marques sont les preuves d’un moment qui dépasse le moment. D’un espace retiré où, animaux, vivants, nous fusionnâmes dans la chair et le sang.

Ces marques sont à la fois mes trophées et mes rappels. Ornements dérisoires d’un lien qui fut, inscriptions en espoir d’un lien à venir.

 

- Demain, je ne me servirai pas de la lanière de la ceinture, assura-t-il en me détachant. J’utiliserai la boucle.

Il n’y eut pas de demain.


    Pour finir en violence...

...  et en douceur.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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Jeudi 20 mai 4 20 /05 /Mai 13:22

Soleil traitreDe tous les passagers, il était le seul à porter un jeans, une chemise et un blouson. On aurait dit qu’il revenait d’Europe ou du désert. Il portait aussi un sac, très petit pour des mois de voyage, presque aussi léger que le mien pour la nuit que j’avais prévu de passer avec lui. Ca, il ne le savait pas. A vrai dire, moi non plus je n’en étais pas persuadée.

 

Tandis qu’il s’avançait sur le ponton, je me surpris à le trouver très grand. Quel que soit le continent, à chaque fois sa taille me surprenait. Il était plus bronzé que jamais, avec davantage de rides autour des yeux. La faute à ce fichu soleil des tropiques qui nous grille la peau.

La faute aussi à tout ce temps qui entre nous avait passé, nous apportant et nous prenant beaucoup.

Assise sur le banc dur où j’aimais à regarder la mer, je finis d’un trait mon jus de pastèque. Me levai pour marcher à sa rencontre. Nul besoin d’agiter la main ni de crier son prénom en pleine foule. Il m’avait déjà vue.

Lorsque nos joues se frôlèrent, je m’aperçus à quel point il m’avait manqué.

 

Nous traversâmes l’île juchés à l’arrière d’un pick-up. Les cahots de la route nous projetaient l’un contre l’autre. La fumée de nos cigarettes se mêlait dans le grand vent.

A la montée de la colline, l’air fraîchit un peu.

Avait-il faim, soif, envie de se baigner, de dormir ?

Il secoua la tête. Hormis poser son sac, il ne savait pas.

- C’est ici, dis-je en sautant du véhicule.

Nous nous dirigeâmes vers un de mes endroits préférés. Blue Wind, le vent bleu, ce nom parlait d’océan et de voyages mieux que je n’aurais su le faire. Ici j’avais également passé le plus clair de mon temps, empruntant chaque matin le chemin tracé sur le sable, chavirée de voir la mer surgir entre les palmiers.

J’aurais voulu lui réserver un bungalow, il n’y en avait plus. En tout et pour tout restait une chambre au premier étage d’un bâtiment. Béton brut réchauffé de bois sombre, escalier pentu sans garde-corps, lourde clef d’acier à faire tourner dans la serrure.

En montant, je trébuchai sur une marche. Nous rîmes. Là aurait pu être mon dernier voyage en ultime bascule, cou rompu sur le ciment.


Je poussai la porte. Face à nous, un grand lit à baldaquins tendu d’une moustiquaire. Le blouson, la chemise, le jeans lui tenaient soudain trop chaud.

- Ca te gêne si je me mets nu ?

Je levai un bras indifférent. Jetant ses vêtements au sol, il ne se déshabilla qu’à moitié, passa dans la pièce voisine. C’était un drôle de réduit tout en bois accolé à la salle de bain.

« Un ancien sauna », pensai-je.

Son dos était long, musculeux, creux et bosses identiques à mon souvenir.

Entre la première fois et ce moment-là, tout avait changé, mais rien n’était au fond si différent.

Alors que les cataractes de la douche le lavaient du voyage, le savoir si près, nu, me troublait. Mais au lieu de le rejoindre, je m’assis sur le lit pour l’attendre.

 

Nous revînmes du restaurant à la nuit tombée. Montâmes l’un derrière l’autre l’escalier sans rambarde, passâmes par la terrasse pour grimper sur le toit. Sur la nuit d’encre la lune dessinait une virgule jaune, vaporisant sa lumière sur un fil électrique. On aurait juré un demi-citron en carton-pâte oublié par un accessoiriste négligent.

Sa longue silhouette restait immobile dans l’obscurité. Et dans l’obscurité nous nous regardions sans nous voir, enveloppés du bruissement des cigales en palpitation de poing ouvert puis refermé. Nous ne parlions pas, ou pas vraiment. Il n’y avait pas besoin de mots pour habiter ce silence-là.

Je m’appuyai au rebord du toit. Sous ma main, une tuile était cassée.

Lorsque je me relevai pour m’approcher de son ombre, il murmura :

- Je suis tenté…

Je tombai entre ses bras.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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Samedi 7 mars 6 07 /03 /Mars 18:27
Kuala Lumpur.

Dès que j'ai gravi l'escalier menant au toit, j'ai aimé cette terrasse foutraque, en désordre et poussiéreuse comme le reste de la guesthouse. Dans cette vieille bâtisse, rien n'est vraiment hors d'état de marche, mais rien ne marche vraiment non plus.
Les robinets s'ouvrent en grand mais ne se ferment pas entièrement, les lampes s'allument mais s'éteignent brusquement, plongeant un étage entier dans le noir. Les portes bâillent sur leur cadenas, les cloisons des chambres sont en papier cigarette, les oreillers aussi durs que les pierres, les draps mouchetés de brûlures de cigarette, les canapés avachis par le poids de tous les corps qu'ils ont portés.

Ce lieu au nom prémonitoire, Le Village, est un entre-deux mondes. Une enclave coincée entre deux rues, deux immeubles, entre la pulsation lourde de la grande ville et la torpeur des voyageurs. Nombre de ces voyageurs ne voyagent d'ailleurs plus. Arrivés là pour quelques nuits, ils y sont restés, laissant leurs affaires déborder de leur sac et coloniser leur lit, les murs, le plancher.
Alors qu'un hôtel est une gare de transit, Le Village est, lui, un port d'échouage.

Ainsi, d'un jour sur l'autre, je vois les mêmes personnes.
Deux Françaises qui, vautrées sur des couvertures, se vernissent les ongles pendant des heures. Ozgeu la Turque et Dante, son mari insomniaque aux airs de grand chef indien, résidant ici depuis des mois. Joe le Mexicain, qui a écumé tous les continents. Britta, l'Allemande aux yeux scintillants à cause des pétards, accompagnée de Daniel, qu'elle a rencontré sur la route et ne veut plus quitter. Et d'autres encore, dont je ne connais que le visage entrevu entre deux portes.
A la nuit tombée, Le Village a des airs de maison fantôme. Des silhouettes se faufilent dans les couloirs, s'agrègent en petits groupes devant la télé ou méditent en ermite sur les fauteuils du salon. Ici, quelle que soit l'heure, il y a toujours quelqu'un d'éveillé.

Ce soir, la femme n'était plus appuyée contre le mur, près du canapé, sous l'horloge qui ne marche pas.
Quelqu'un l'a déplacée pendant la journée, mais elle a toujours les mains plaquées contre son giron. Un bras de biais qui fait saillir sa poitrine. La tête penchée, avec une mèche brune, échappée de son chignon, qui lui barre la joue. Les yeux clos comme si elle dormait ou réfléchissait intensément, comme refermée à l'intérieur d'elle-même.

Elle ne sent ni la lourde pollution montant de la ville, ni les vapeurs âcres des cigarettes et des joints. Elle n'écoute ni le bruissement des voix parlant dans toutes les langues, ni la mélopée hésitante de la guitare, ni le battement du djembé.
Non. Elle est seulement là, baignée par l'air moite de la nuit, rafraîchie par les ventilateurs. Moi, je suis là aussi, à observer son portrait sous la lumière blanchâtre du néon qui lui fait un teint malade, à me souvenir de matins de soleil sur cette terrasse.

Parmi tous ces matins, il y eut celui où j'attendais Pierrig. Installée à même une natte, une tasse de mauvais café à la main, je cherchais en vain une position qui soulagerait mes tempes endolories. Dans ma petite chambre sans fenêtre, la nuit avait été trop chaude, trop courte. Dix heures de marche la veille... La pollution de Kuala m'avait passé les yeux au papier de verre, collé un aquarium sur la tête et un uppercut aux poumons. Bien qu'allongée, je souffrais de cette douleur traître et diffuse qui empêche d'aligner deux phrases et deux idées.
Aussi n'ai-je pas entendu les pas de Pierrig dans l'escalier, ne l'ai-je pas vu se diriger en souriant vers moi.
Aussi ai-je crié de surprise quand il a ployé sur moi son corps bronzé.

Cela faisait plus d'un an que nous ne nous étions pas vus et nos retrouvailles ont commencé par ce cri.
Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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Mercredi 24 décembre 3 24 /12 /Déc 02:08

Il me restait cinq jours de voyage. J'avais décidé de me rendre dans la capitale en avion. Pas le courage de prendre un bus sur des routes de montagne.
Sur le chemin de l'aéroport, accroupie à l'arrière d'un tuk-tuk, blottie contre mon gros sac, j'offris mon visage aux bourrasques du vent.
     J'avais froid. Dans ce pays le soir, j'avais toujours froid. Le soleil de l'après-midi était trompeur comme un homme trop tendre. À peine ses caresses s'étaient-elles évanouies que le frisson se changeait en chair de poule.
Aussi dormais-je repliée sous les couvertures, un oreiller contre la poitrine.

À l'aéroport, comme souvent, j'étais la seule étrangère. Du moins le croyais-je. Car alors que je patientais devant le comptoir d'enregistrement, j'en vis un autre. Beaucoup plus blond que moi, avec des yeux encore plus bleus.
Nous n'avions pas la gamme chromatique de l'endroit, mais celle de l'envers qui nous liait à l'Occident.
Nous nous sourîmes.
C'est drôle, les voyages. Dans son propre pays, l'idée de sourire à un autre, juste parce qu'il est blanc, ne vous viendrait jamais à l'esprit. Sur un autre continent, si. C'est même le contraire qui serait étonnant, tant l'autre bout de la planète nous lie par nos plus évidentes ressemblances.
Sortir de la même matrice vaut bien un salut.

Lentement la file des voyageurs avançait. Péniblement je poussais mon sac. Son poids d'âne mort sentait le périple qui se termine. De dix kilos, il avait dû enfler du double.
L'autre aussi avait un sac, forcément. Un qui disait que s'il était voyageur, il n'était pas routard.
Le mien était conçu pour être porté sur le dos, le sien à bout de bras. Or, personne ne taille la route avec un sac à brides.
J'avais certes vu, au cœur de contrées éloignées, des Occidentales patauger dans la boue en talons aiguille. Mais elles ne sont ni routardes, ni voyageuses. Juste étrangères, avec l'idée folle que leur chic résistera à la mousson qui fait pourrir les vêtements.
L'autre, je le sentais, n'avait pas cette naïveté-là.

Papillon 2Nos sourires se croisèrent une fois de plus.
- I'm afraid our flight is delayed, me prévint-il.
Aussitôt je reconnus l'accent français.
L'autre était encore plus proche de moi que je ne le supposais.
- Le vol est retardé ? Bah, je ne suis pas pressée, répondis-je.
Un nouveau sourire trancha son visage en deux.
Sans le dire, nous étions d'accord. Le voyage apprend le temps.
C'est drôle, les voyages. Une attente insupportable dans notre ville devient
à l'autre bout du monde anecdotique, source de rêverie et non d'impatience. Un bus qui ne démarre pas avant d'être rempli jusqu'à la dernière place, un train arrivant en gare avec une heure de retard ne sont point une affaire mais l'occasion d'ouvrir un livre, de grignoter un gâteau, de siroter un thé.
"Tu as l'heure, moi j'ai le temps."
Cette maxime, c'est l'autre qui me l'apprit alors que nos routes allaient se séparer.

Nos bagages enregistrés, nous bûmes un café à la buvette d'en face.
L'autre s'appelait Pierig. Ancien athlète, il exerçait un métier aussi exotique que ce continent.
- Ce métier, nous ne sommes que deux dans le monde à le faire, m'apprit-il sans fierté aucune. Un gars au Brésil et... moi.
Je lui souris en pensant que c'était drôle, les voyages.
Jamais dans ma vie citadine je n'aurais croisé Pierig. Peut-être parce que son métier veut des cours d'eau vive, ou qu'il est source et moi galet.
À celui qui s'ouvre le voyage est un brassage
. Je lui souris encore alors que des gouttes tombaient sur ma cendre.

Dans l'avion nous fûmes séparés. Je dormis, je crois, sans couverture ni oreiller.
Pierig et moi nous retrouvâmes après l'atterrissage. P
uisque nous allions dans la même direction, monter dans le même taxi allait de soi.
Le chauffeur nous débarqua par une nuit d'encre dans un centre-ville désert. Nous entrâmes dans le premier hôtel.
- There is just one room left. A double one.
Nous cherchâmes ailleurs pour mieux revenir. Tout était complet, archi complet.
C'est drôle, les voyages.
Après avoir été seule des semaines entières, je me retrouvai à partager la même chambre qu'un quasi inconnu. Sans arrière-pensée,
sans peur ni malaise, à la bonne franquette, parce que les dés en sont ainsi jetés, ici comme ailleurs, en Inde ou à Hong-Kong.
Le voyage apprend le partage de l'intime. Pour moi, celui du sommeil où, abandonné, on est le plus vulnérable.

Papillon 3La courtoisie voulait que Pierrig me laisse la salle de bains en premier. Il la respecta à la lettre, déballant ses affaires de l'autre côté de la mince cloison. Je pouvais être nue que cela n'avait aucune importance. Dans cette chambre nous n'étions pas un homme et une femme, mais deux voyageurs réunis par hasard.
- À gauche ou à droite, tu as une préférence pour le lit ?
- M'en fiche
, criai-je en m'essorant dans une serviette trop mince.
Rhabillée à la hâte, je me fourrai encore mouillée sous les draps. À gauche parce que j'y avais laissé mon sac.

- Bonne nuit.
- Bonne nuit.
Pierrig éteignit la lampe de chevet.
Étendue dans l'obscurité, je me mis à penser à cette situation étrange d'un homme et d'une femme dans un lit. À mes émois d'adolescente, où tout frôlement devenait signe et aveu.
Le souffle de Pierrig était tranquille, ses doigts effleurant les miens sûrement un hasard de plus.
Brusquement, j'eus envie de ces doigts sur mes hanches, mes épaules, ma nuque.
Je roulai contre Pierig, à peine. Son bras m'enlaça la taille si doucement qu'il aurait pu m'étreindre au seuil d'un rêve.
Nous fîmes l'amour cette nuit-là. Ce fut aussi doux que brouillon, lent et précipité qu'une ébauche de partition.
Nous nous accordâmes au matin.
Au matin je découvris ses tatouages. Un minuscule sur chaque flanc.
- Pour ne pas oublier.
Je hochai la tête en répétant :
- Oui, pour ne pas oublier.
Tout était dit.
Pierig et moi avions partagé le sommeil comme le refus de l'oubli. Dormir peut-être, mais ne pas s'endormir à cause d'une vie qui nous crève, refusant au néant d'avoir le dernier mot.

Le lendemain nous parlâmes face au fleuve, les yeux tour à tour rivés sur nous et ses remous. Nous savions qu'ils nous emporteraient loin l'un de l'autre, parce que bientôt je devrais reprendre l'avion.
Notre conversation,
parfaite bulle d'écume dont aujourd'hui encore je me souviens, fut bouleversante comme les ombres sur le Mékong.
Ne pas oublier, non. Surtout pas.


Le jour de mon départ, Pierig prit cette photo alors que je faisais mine de dormir encore.
Par la fenêtre aux rideaux mal tirés, un soleil de miel illuminait ma peau.
- Viens, dis-je.
Dans cette chambre que nous avions si peu quittée, nous fîmes l'amour une dernière fois.
"Tu as l'heure, moi j'ai le temps."

Un papillon éphémère tatoua mon épaule.
C'est drôle, les voyages et leurs marques indélébiles.


Wish you the best, my friend.
Take care and don't forget. I won't.
1re et dernière photos : Pierig ;
2e et 3e : Andre Kertesz et Erwin Blumenfeld. 
Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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