Le blog de Chut !
La piscine de l'hôtel est déserte. Tant mieux. Mingus et moi ne souhaitons pas de spectateurs. Notre session d'aujourd'hui risquerait fort de les dérouter, voire de les déranger. Ou de leur donner une fausse idée de la plongée, ce qui n'est pas le but.
Le nôtre est purement ludique, esthétique, expérimental. Égoïste aussi, car il ne vise aucun public.
Un jour, peut-être proposerons-nous une formation, un atelier découverte. Mais ce jour semble si lointain qu'il se perd dans la brume.
Voilà quelque temps que l'idée a surgi. Qu'elle a refait surface au gré de nos échanges. D'abord comme une plaisanterie, un défi de coin de table. Ensuite comme une piste à creuser. Puis, cette semaine, la décision : trêve de discussions, place à l'action.
En l'occurrence, à la séance test de bondage sous-marin.
Depuis notre premier essai en Thaïlande, à sec dans un bungalow de Koh Tao, Mingus s'est découvert la passion du shibari. A lié un mois durant toutes sortes de corps féminins. Les gracieux aux formes esquissées d'adolescente, les plantureux de l'âge plus mûr.
Moi qui tourne autour des jeux de cordes depuis quelques années, je brûle de découvrir sous ses doigts la sensation de ne rien peser. D'évoluer, libre et entravée, en apesanteur.
À notre connaissance, personne n'a encore jamais vraiment croisé le bondage et la plongée, ni établi de passerelle de l'un à l'autre. Sûrement parce que les adeptes de ces deux disciplines se comptant en petit nombre, leur intersection n'en est que plus limitée.
Peut-être pour des raisons de sécurité, quoique celles-ci ne soient pas si difficiles à résoudre. Chaque jour, d'ailleurs, une foule de gens tentent sans filet des expériences plus périlleuses.
Pour nous, le filet n'est pas en option, mais tant que possible solidement tressé.
Avant de nous lancer, brève recherche Internet. Tout conseil, exemple, astuce est bon à prendre. Sans surprise, les sites pornographiques tiennent le haut du pavé. La plongée s'y limite à une courte immersion, le shibari à un vague ligotage.
Ni art ni recherche, juste du cul à consommer.
Sur un site, une photo attire mon regard. Une femme blanche et nue, potelée, mains encordées dans le dos, allongée sur le ventre dans une baignoire remplie. Coupant ses cheveux, la lanière d'un masque. Entre ses lèvres invisibles, un tuba.
Vision incongrue de deux mondes qui se superposent.
Le cliché me rebute. Il m'évoque le supplice du seau, au cours duquel les bourreaux plongent le tête de leur victime dans un baquet, jusqu'à l'étouffement, la presque noyade. La photo semble d'ailleurs sorti d'un lieu du crime ou d'un rapport de police estampillé "décès loufoques". Echouée face contre la faïence, cette femme figée paraît morte. Je me demande combien de temps, prisonnière, elle est restée là, abandonnée au bon vouloir de son Maître.
Puis, comme souvent, des questions sans importance prennent le relais :
"Fut-elle directement attachée dans la baignoire ?"
"L'eau était-elle tiède ou froide ?"
Dans notre version achevée, les jeux de liens se dérouleront à moyenne profondeur, en pleine mer.
Mingus m'attachera d'abord le corps. Entrelacs de cordes passant et repassant entre mes seins, sur mon ventre, mes cuisses, ma colonne vertébrale, mes épaules.
Ensuite viendront les poignets et les chevilles, ensemble, dans le dos.
Pour moi, pas de combinaison de plongée mais un simple maillot de bain, sans masque ni détendeur en bouche.
Pour Mingus, un équipement complet. Avec la certitude qu'il me fournira de l'air selon mes besoins. Plus encore que les fils tressés, c'est son octopus* qui, en signe du lien, formera notre alliance.
Pour lui, un travail sur la précision, l'adresse, la rapidité.
Pour moi, sur la confiance, le souffle et l'abandon.
Côté poids, nous ne savons pas encore. J'en ai besoin pour me maintenir au fond, mais une ceinture de plomb est inesthétique. Il est par ailleurs exclu que les cordes la chevauchent : en cas de problème, l'un de nous doit être capable de l'ouvrir d'un geste pour me laisser remonter.
Notre préférence ira certainement à des poids fixés à mes chevilles par une boucle. Ou à une corde arrimée à un rocher.
Régler cette question n'est toutefois pas une priorité. Nous voulons d'abord nous entraîner, vérifier le comportement des cordes mouillées et explorer les sensations d'une expérience qui a tout l'air d'un défi.
Qu'est-ce que ça fait d'attacher un corps privé de poids ? De le faire tourbillonner entre ses paumes, d'une simple pression ?
Qu'est-ce que ça fait d'être attachée sous l'eau ? Et sans masque ? Puis sans air ?
Voilà les questions que je me pose.
Aujourd'hui elles trouveront autant de réponses.
* Octopus : source d'air dite "alternative" (ou de secours) reliée, comme le détendeur principal, à la bouteille. Le tuyau de l'octopus et l'embout lui-même sont d'une couleur différente que le détendeur - en général jaune vif - pour être identifié facilement.
Photo de bondage : Nabuyoshi Araki.
Coucou Ordalie !! Ne t'inquiète pas : nous en sommes déjà à 3 sessions, avec des améliorations au fil de chacune, et aussi quelques "ratages", façon bordel (dés)organisé sous l'eau, avec des cordes qui partent dans tous les sens, des poids mal positionnés, des montées / descentes façon yoyo, des octopus qui se sauvent (et un jardinier fort intrigué qui nous fixait d'un air très bizarre à notre sortie de la piscine !)... L'apprentissage par l'erreur, en somme !
Nous nous penchons davantage sur le côté technique, ce qui me permet de garder mon détendeur en bouche. Aucun doute : côté apnée, j'ai énormément de progrès à faire !
J'en frissonne d'avance ... mais je ne suis que plongeur.
Eh, mais c'est déjà énorme ! D'ailleurs, si je me souviens bien, tu n'es pas que plonguer mais aussi apnéiste, ce qui est une énorme avance sur moi !
J'en ai eu la chair de poule, juste à lire et imaginer... je jure, c'est vrai !
Ça a quelque chose d'absolument fascinant, et de terrifiant, aussi. Belle preuve de confiance, parce que là, on ne joue plus du tout... on met sa vie dans les mains de l'autre.
Arriver à s'abandonner dans ces circonstances doit être grandiose, aussi. Une sensation de liberté, étrangement poussée à l'extrême, j'imagine...
Le shibari m'attire, et me plait. Dans l'élément aquatique, l'apesanteur m'a toujours troublée... se laisser porter par l'eau, être liée... alors l'alliance des deux est vraiment attirante, pour moi.
J'ai hâte de lire la suite, vraiment.
Bonsoir Ombres,
je réponds enfin aux commentaires en attente !
J'ai comme l'impression que nous sommes toutes deux des créatures marines, avec beaucoup de goûts en commun et des réflexions entrecroisées.
Tu le dis très justement : tout aussi paradoxal que cela puisse paraître, être attaché peut aussi permettre d'être libéré (ou de se libérer... Là, je me souviens de conversations avec des soumis : être dominés leur permettait de me réaliser, car ils ne se seraient jamais accordé d'eux-mêmes la liberté de vivre leurs fantasmes. En leur donnant des ordres, leurs Maîtresses les déchargent de toute culpablité : ils ne faisaient que leur obéir !...).
J'attends la suite avec beaucoup d'impatience et un peu de frayeur incrédule. Cordes, tuyaux, détendeurs, bouteilles, ceintures de plomb... Et malgré tout, conserver le désir, rester l'esprit ouvert au plaisir ? Pourquoi pas, de la contrainte naît la créativité...
Contrainte, créativité, c'est exactement cela ! Chaque aspect technique soulève un problème qu'il nous faut résoudre avec les moyens du bord. Tâtonner fait aussi partie du plaisir de la "quête".
Et puis...?
Accent Grave
... Voilà, j'ai (enfin) fini !
Désolée de cette longue attente imposée.
J'ai hâte de lire un billet relatant cette expérience...pour nous rassurer.