Le blog de Chut !
Prendre de la hauteur... Impossible, rivée
comme je l'étais à mon fauteuil telle une moule à son rocher.
Imitant les enfants qui se croient cachés en fermant les paupières, j'ai levé un regard incertain sur le deuxième étage de l'amphithéâtre pour fuir ma propre déconfiture.
L'incident était clos.
Le cours reprit. Je ne lui prêtais plus qu'une attention distraite.
Ce qui me fascinait n'était pas l'évolution du substantif travail (étymon tripalium, instrument de torture à trois pieds), mais une silhouette que mes yeux avaient capturée.
Une seconde auparavant, la porte du deuxième étage s'était ouverte. Une forme en avait surgi d'un habile mouvement de chat. Un mouvement si précis et rapide que la silhouette avait paru sortir du néant pour se matérialiser là, en fin de travée.
Les ténèbres qui l'entouraient ne me permettaient pas de bien la voir, juste d'en percevoir les contours.
Ombre foncée sur ombre plus claire, mise en abyme des dégradés de l'obscur.
À peine deviné-je qu'elle portait un ample pardessus et des cheveux mi-longs.
Cette silhouette aurait pu être celle d'une femme. Mais j'étais sûre, ma tête à trancher sur le billot si je me trompais, qu'elle appartenait à un homme.
À un homme qui m'observait intensément, sans ciller ni se détourner.
Tout le temps que dura encore le cours, je me sentis scrutée. Scrutée ou plutôt sondée, détaillée, fouillée, mise à nue par des yeux sans visage.
Carrée dans mon fauteuil, je me traitais de folle.
"Que vas-tu imaginer là ? Tu crois que ce type n'a que ça à fiche... Te reluquer ?"
Non, bien sûr, mais le fait est que son attitude était étrange. Alors que tous les étudiants notaient religieusement le sens premier de vertu (id est pouvoir, puissance, du latin virtus dérivé de vir, viris), l'homme de l'ombre, lui, n'écrivait rien. Et pour cause : il n'avait sorti ni classeur ni stylo.
Les bras ballants, il se tenait immobile, droit, impavide.
Souverain en son royaume, roi noir d'un peuple gris, écrasant ses laborieux sujets de l'indifférence de sa superbe.
Je fronçais les sourcils pour forcer mes yeux à voir.
Je restais aveugle.
Autour de l'homme, l'ombre était trop opaque. Ou l'homme lui-même était trop opaque. Ou sa part d'ombre trop grande.
Je me forçais à me concentrer sur le substantif talent (issu de talentum, poids et somme d'argent en Grèce). Mon regard, hypnotisé, quittait ma feuille pour filer au deuxième étage et fixer ce visage absent comme lui me fixait.
Intensément, sans ciller ni se détourner.
Par dessus la marée des têtes courbées s'établissait une connivence secrète.
"Je t'ai vu, tu m'as vue. Tu sais que je sais, je sais que tu sais."
Mais entre deux regards ma raison me martelait :
"Que vas-tu imaginer là ? Tu crois que ce type n'a que ça à fiche... ?"
Non, certainement pas.
Pourtant, je savais, de toute la force de mon intime conviction, que l'homme et moi étions dans cet amphithéâtre unis comme deux amants ou deux cambrioleurs.
La fin du cours sonna.
Je fourrai mes affaires dans mon sac et jaillis d'un bond du fauteuil. Il fallait absolument que j'arrive la première à la porte. Que je voie cet homme. Que je me pende à son bras ou ne lui tourne le dos. Que je le retienne ou ne m'en délivre.
La foule des élèves, pressée de rejoindre le prochain cours, me barrait le passage.
J'écrasai des pieds, jouai des coudes pour avancer plus vite. Mais ce vite était déjà un trop lentement.
Lorsque j'atteignis le couloir, la plupart des étudiants du deuxième étage était partis.
Je descendis l'escalier, le remontai à contre-courant.
Les quelques garçons qui portaient un pardessus n'avaient pas les cheveux mi-longs.
Les quelques garçons qui avaient les les cheveux mi-longs ne portaient pas un pardessus.
L'homme, rendu à l'ombre qui l'avait engendré, s'était évaporé.
J'ignorais encore qu'il s'appelait Vassilis.
(La suite ici)
Imitant les enfants qui se croient cachés en fermant les paupières, j'ai levé un regard incertain sur le deuxième étage de l'amphithéâtre pour fuir ma propre déconfiture.
L'incident était clos.
Le cours reprit. Je ne lui prêtais plus qu'une attention distraite.
Ce qui me fascinait n'était pas l'évolution du substantif travail (étymon tripalium, instrument de torture à trois pieds), mais une silhouette que mes yeux avaient capturée.
Une seconde auparavant, la porte du deuxième étage s'était ouverte. Une forme en avait surgi d'un habile mouvement de chat. Un mouvement si précis et rapide que la silhouette avait paru sortir du néant pour se matérialiser là, en fin de travée.
Les ténèbres qui l'entouraient ne me permettaient pas de bien la voir, juste d'en percevoir les contours.
Ombre foncée sur ombre plus claire, mise en abyme des dégradés de l'obscur.
À peine deviné-je qu'elle portait un ample pardessus et des cheveux mi-longs.
Cette silhouette aurait pu être celle d'une femme. Mais j'étais sûre, ma tête à trancher sur le billot si je me trompais, qu'elle appartenait à un homme.
À un homme qui m'observait intensément, sans ciller ni se détourner.
Tout le temps que dura encore le cours, je me sentis scrutée. Scrutée ou plutôt sondée, détaillée, fouillée, mise à nue par des yeux sans visage.
Carrée dans mon fauteuil, je me traitais de folle.
"Que vas-tu imaginer là ? Tu crois que ce type n'a que ça à fiche... Te reluquer ?"
Non, bien sûr, mais le fait est que son attitude était étrange. Alors que tous les étudiants notaient religieusement le sens premier de vertu (id est pouvoir, puissance, du latin virtus dérivé de vir, viris), l'homme de l'ombre, lui, n'écrivait rien. Et pour cause : il n'avait sorti ni classeur ni stylo.
Les bras ballants, il se tenait immobile, droit, impavide.
Souverain en son royaume, roi noir d'un peuple gris, écrasant ses laborieux sujets de l'indifférence de sa superbe.
Je fronçais les sourcils pour forcer mes yeux à voir.
Je restais aveugle.
Autour de l'homme, l'ombre était trop opaque. Ou l'homme lui-même était trop opaque. Ou sa part d'ombre trop grande.
Je me forçais à me concentrer sur le substantif talent (issu de talentum, poids et somme d'argent en Grèce). Mon regard, hypnotisé, quittait ma feuille pour filer au deuxième étage et fixer ce visage absent comme lui me fixait.
Intensément, sans ciller ni se détourner.
Par dessus la marée des têtes courbées s'établissait une connivence secrète.
"Je t'ai vu, tu m'as vue. Tu sais que je sais, je sais que tu sais."
Mais entre deux regards ma raison me martelait :
"Que vas-tu imaginer là ? Tu crois que ce type n'a que ça à fiche... ?"
Non, certainement pas.
Pourtant, je savais, de toute la force de mon intime conviction, que l'homme et moi étions dans cet amphithéâtre unis comme deux amants ou deux cambrioleurs.
La fin du cours sonna.
Je fourrai mes affaires dans mon sac et jaillis d'un bond du fauteuil. Il fallait absolument que j'arrive la première à la porte. Que je voie cet homme. Que je me pende à son bras ou ne lui tourne le dos. Que je le retienne ou ne m'en délivre.
La foule des élèves, pressée de rejoindre le prochain cours, me barrait le passage.
J'écrasai des pieds, jouai des coudes pour avancer plus vite. Mais ce vite était déjà un trop lentement.
Lorsque j'atteignis le couloir, la plupart des étudiants du deuxième étage était partis.
Je descendis l'escalier, le remontai à contre-courant.
Les quelques garçons qui portaient un pardessus n'avaient pas les cheveux mi-longs.
Les quelques garçons qui avaient les les cheveux mi-longs ne portaient pas un pardessus.
L'homme, rendu à l'ombre qui l'avait engendré, s'était évaporé.
J'ignorais encore qu'il s'appelait Vassilis.
(La suite ici)
Lun 27 oct 2008
1 commentaire
hey cette homme etai moi lol.dsl petit craquage a tres vite sur les recits
yohann - le 27/10/2008 à 12h36
Tu crois ? Attends la suite ! :P
Chut !