Le blog de Chut !

Pochette surprise 2Ce jour-là, Paulien et moi avions rendez-vous pour parler de nos écrits (enfin, surtout des miens). Nous ne devions nous reconnaître qu'à notre air, "celui de gens qui attendent quelqu'un" (lui dixit).

Pour précipiter un timide été, je choisis une robe courte et sans bretelles, coupée de biais dans la couleur des filles : rose, très rose. Mais mon choix n'avait peut-être rien à voir avec l'été ni la couleur des filles. Il tenait davantage au compliment d'un homme :

- Avec cette robe, tu as l'air d'un bonbon... On a envie de te croquer.
"Pourquoi pas, à condition d'avaler les épines ?", me retins-je de répondre.
Que Paulien traversât tout Paris pour discuter littérature avec une fille habillée en bonbon à épines m'amusait.
Amusons-nous donc, puisque cela ne fait de mal à personne.
La robe enfilée, je me précipitai en direction du café.

Je marchais d'un pas rapide, fixant de loin les gens attablés à la terrasse, espérant y repérer un homme qui aurait l'air d'attendre quelqu'un. Un homme qui, loin de s'absorber dans sa lecture, jetterait
 des coups d'œil aux alentours ; un homme paraissant stressé ou indécis, peut-être.
Les premières rencontres, ça impressionne toujours.
J'espérais surtout qu'il n'y en aurait qu'un comme ça. Aucune envie d'aborder tous les mâles en tête-à-tête avec leur verre :
- Bonsoir... Vous êtes Paulien ?
- Nan !
Je relevai la tête pour enfin regarder devant moi. Avisai un homme debout, téléphone en main. Il me sourit. Je lui rendis la pareille mais me détournai vite. C'est alors qu'il m'adressa un signe joyeux et m'appela par mon prénom.
Je me figeai, incrédule.
 Il devait y avoir une erreur. Les universitaires, les chercheurs, les philosophes n'ont ni cette prestance ni cette décontraction.
Non, aucune erreur.
Cet homme me dépassant d'une bonne tête était bien, comme sa voix me l'affirmait, Paulien.
Je ne m'attendais pas à son visage. Ou plutôt à sa beauté. À ses traits affirmés de statue m'évoquant tout à la fois Suryavarman, le roi d'Angkor, Jules César et les masques olmèques. À ses yeux obliques, couleur de noisettes détrempées de miel et de fougère. À sa bouche charnue, délicatement ourlée, dont je fus aussitôt tant admirative que jalouse.
Cette bouche-là, si féminine et sensuelle, c'est celle que j'aurais aimé porter sur mon visage.

 

Pochette surpriseDans toute rencontre, on sait dès le premier regard si l'autre nous plaît. Et, à condition d'être attentif ou perspicace, si nous lui plaisons en retour. On peut ne pas être venus pour se plaire - pour discuter littérature, par exemple - que cette règle demeure.
Ni Paulien ni moi n'y dérogeâmes.
Mes yeux furent incapables de lui mentir. Et les siens me dirent la vérité lorsqu'ils se posèrent sur moi, juste avant ses lèvres sur mes joues.

Pendant le repas, nous parlâmes longuement en faisant mine de rien. Décidés à ignorer cette attirance qui sourdait néanmoins par à coups : entre deux phrases, mon pied effleurait ses jambes, sa main mon poignet. Petit ballet timide d'un désir qui ne s'avouait pas encore. Et nous rîmes aussi, penchés l'un vers l'autre, de la conversation de nos voisins de table, consacrée à... l'ornithorynque (un monotrème, pour ceux qui en doutent encore).

Plus tard, j'embrassai la belle bouche dont je suis jalouse.
Et Paulien m'enleva ma robe couleur de fille.
Lovée dans ses bras sur le lent tempo de la nuit, je devins un bonbon sans épines.

 

 

Photo : Sarah Moon.

Toile : David Delamare.

Ven 8 aoû 2008 Aucun commentaire