Le blog de Chut !

      Cebu City, mardi 12 mars 2013.

 

 

EscortAyleen Guindelcor dit en riant que je suis folle. Et encore ne sait-elle rien de ma nuit.

Sinon elle n'aurait plus ri du tout.

Et m'aurait traitée de folle.

Pour de bon, cette fois.


Voilà longtemps que le sujet de la prostitution masculine aux Philippines m'intrigue. Que je souhaite m'y intéresser de près et écrire sur le sujet.

Mon séjour obligé à Cebu est un déclencheur : deux nuits à l'hôtel, aucun programme et une chambre en solo, des balades le nez au vent, un brin d'audace, un de curiosité, un de défi, un d'envie.

Non, deux d'envie.

Ce soir, c'est décidé, promis-juré de moi à moi, je m'aventure dans un club où les hommes sont disponibles.

Contre rémunération, of course.

 

Je suis aussi lasse d'imaginer que de parler à la ronde de ce projet, déclenchant soit des gloussements gênés, soit une stupéfaction choquée, soit un intérêt qui se heurte vite à mon ignorance.

Comment se passent vraiment ces rencontres ?

J'ai bien des idées, des hypothèses, des ouï-dire, des récits de bars à champagne* émanant d'hôtesses et de clients. Rien de concret, cependant. Rien de vécu.

Ce sont ces manques que je veux combler ce soir. Même si, je le suppose, la prostitution masculine ne diffère guère de son pendant féminin.

Peu importe.

Je veux les contempler, ces hommes. Apercevoir leurs client(e)s dans la pénombre complice de la salle. Des positions peut-être lascives, des mains peut-être hardies, des baisers sans doute profonds, des étreintes sûrement esquissées pour des accords conclus.

Une liberté sexuelle à l'oeuvre aux prudes Philippines, en somme.

Je veux sentir l'ambiance du lieu. La moiteur, la chaleur, le stupre. Ou à l'opposé la retenue hyprocrite, cette respectabilité de façade épousant l'équation "ce qu'on ne montre pas n'existe pas".

Je veux ouvrir grand mes yeux et mes oreilles. Scruter, m'imprégner, communiquer.

Je veux rire, m'amuser, profiter d'une soirée en forme de bascule. En Thaïlande, en Inde, en Indonésie, aux Philippines, au Laos, au Cambodge, en France, en Hollande... Ce sont toujours, toujours les hommes que j'ai vus choisir une femme.

Pourquoi moi, femme, n'aurais-je pas le droit de choisir un homme ?

 

Escort 2terJe ne me fixe aucun couvre-feu, aucune limite. Outre le respect des gens se trouvant là, la seule sera celle de mon bien-être.

Si je me sens mal, je m'en vais.

Si j'ai envie de payer pour un homme, je paye.

À la condition expresse d'être librement choisie, la prostitution ne me pose ni problème ni dilemme de conscience.

Fut un temps, j'avais - comme tout le monde ? - une opinion sur le sujet. Plutôt défavorable, l'opinion, à base d'idées préconçues et de morale, un peu.

J'avais ce conformisme du prêt-à-penser qui m'agace, conjoint à la volonté de m'en défaire.

Alors j'ai lu, échangé, écouté, rencontré des clients et des filles en activité. Beaucoup appris, beaucoup questionné, beaucoup réfléchi. Remis mes certitudes en cause, entièrement revu mes jugements, affiné mon regard.

Tant et si bien que j'ai songé à moi-même sauter le pas.

Sacré renversement.


Mais pour l'heure se pose une question aussi urgente que cruciale : où me rendre ?

Quels - rares - établissements emploient des escorts disponibles pour des femmes ? Ou pour des hommes et des femmes ?

Quand tu ne sais pas, demande à celui qui sait... et celui-là est tout trouvé : un taxi. Eux seuls connaissent les rues, les bars, les clubs comme leur poche.

Quant aux demandes étranges, ils en entendent chaque jour.

Magnéto arrière, Cebu deux ans plus tôt.

Je glousse encore du quiproquo avec mon chauffeur :

- Un bar à putes ? Mais il y en a partout, Mââm !

De son étonnement lorsque j'avais précisé :

- Non, pas des "putes" comme vous dites, mais des gigolos, please.

De son regard insistant dans le rétroviseur. Muet, perplexe à détailler mon visage, mon cou, ma poitrine, ma robe.

- But you don't have to pay, Mââm !

De mon rire à sa réponse. Je n'ai pas besoin de payer, certes.

Mais là n'est pas la question.

La question, c'est : où me rendre ?

 

 

Escort 2bisMon premier chauffeur de la journée n'est pas sûr, dit-il. Mais en insistant, il le devient et finit par lâcher un nom, puis deux.

Je les répète :

- Trasan à Lapu-Lapu, Naa Biguitor à Mandaue.

Naa en Bisayan* signifie "il y a".

Mais biguitor ?

Des hommes, du plaisir, du sexe ?

Mystère.

Je descends de la voiture sans demander.


Autre taxi, même question. À ce jeu-là mieux vaut croiser les sources, recouper les informations.

- El Navigator, Mââm ! s'exclame aussitôt Joel, le conducteur.

Un club chic, affirme-t-il. Pour femmes, oui, et homosexuels. Avec de beaux gars musclés. Et un show dont il ignore le contenu.

Ravie de tomber sur un interlocuteur aussi coopératif, je pousse mon avantage :

Quel âge ont en moyenne les clientes ?

Les transactions s'opèrent-elles en secret ?

Combien coûte un escort ?

Les détails, Joel les ignore. Tout dépend de l'escort, probablement.

Il sait en revanche que ceux des clubs sont plus chers que les call boys qui battent le pavé, à l'affût des voitures qui ralentissent. Une vitre baissée, un échange de regard, un prix.

Marché scellé.

Les rues des tapins, il peut m'y emmener, mais pas aujourd'hui. Elles ne s'éveillent qu'après vingt heures et non en fin d'après-midi. Et après cette course, le taxi rentre au garage.

Plus loin, Joel me désigne néanmoins un carrefour :

- C'est ici. Là-bas aussi, dans la perpendiculaire.

Je le remercie. Non sans objecter qu'à mon avis, peu de femmes ont recours aux call boys. Sûrement préfèrent-elles un minimum de confort. Pas du romantisme, non, mais pas la sauvette clandestine d'un trottoir non plus.

Sans compter qu'un espace public garantit leur sécurité. Si les risques que courent les garçons sont évidents, ceux que prennent les clientes ne sont pas à négliger.

N'importe qui peut monter dans la voiture, les menacer et les brutaliser, pas vrai ?

Le club permet de nouer un premier contact, de discuter et sentir l'autre pour peut-être se raviser. Sans drame ni scène, les vigiles armés y veillent.

Joel approuve.


Escort 4Mon chauffeur sait aussi que pour repartir avec un escort, il faut s'acquitter d'un bar fine*.

Autrement dit, d'une somme fixe qui dédommage le club de l'absence d'un employé (ou correspond à la mise en relation prostitué(e)/client ?).

La rémunération pour la nuit se discute ensuite.

J'acquiesce. Le système est le même qu'en Thaïlande.

- El Navigator, very good, Mââm !

Soudain j'éclate de rire.

Naa BiguitorNavigator...

Il s'agit sans l'ombre d'un doute du même lieu. Seul l'accent visayan en a déformé le nom.

Deux chauffeurs, deux réponses identiques.

Je tiens mon endroit.

Ce soir, donc, c'est décidé, promis-juré, cap sur El Navigator.

 


La suite bientôt !

 

*Bars à champagne : bars employant des hôtesses poussant le client à consommer, souvent contre - de menues - faveurs. Afin de ne pas être accusé de proxénétisme (banni en France alors que la prostitution y est légale), l'établissement interdit en général les rapports sexuels dans son enceinte. Hôtesses et clients peuvent en revanche convenir d'un rendez-vous à l'extérieur.

*Visayan (ou Bisayan) : langue parlée dans les Visayas. Les deux langues officielles des Philippines sont l'anglais et le tagalog, totalement différent du Visayan. La quasi totalité des habitants des Visayas le maîtrise également.

*Fine ("faillne") : amende en anglais.

 

Photos : Ellen Von Unwerth, Eugène Atget, René Maltête, Weegee.

Jeu 14 mar 2013 6 commentaires

Allons bon, maintenant une plongée en territoire sordide et peut-être inquiétant.

Tu n'es pas raisonnable, mais (je ris) tu ignores même le sens de ce mot.

Ordalie - le 14/03/2013 à 18h25

La plongée est ma passion, pas vrai ? :) Sans plaisanter cette fois, le sujet m'intéresse vraiment depuis longtemps. Absolument impossible de l'approcher par personne interposée, il faut y aller soi-même. 

En relisant le billet, j'ai ajouté des précisions sur les clubs, de loin préférables pour leur environnement sécurisé. Aux Philipines il y a des gardes armés devant (voire dans) chaque bar, club, restau... Peu de risque de se faire embêter par qui que ce soit ! Et comme il n'y a aucune obligation de repartir avec un beau monsieur...

Chut !

Des gardes armés? Houlà... Mais ils sont là pour quoi au juste? Pour ce qui se passe dedans ou dehors?

Ordalie - le 14/03/2013 à 19h07

Plutôt pour ce qui se passe dehors... et jamais je n'ai vu grand-chose s'y passer. Je pense du coup que ces gardes ont davantage un pouvoir dissuasif, façon "voleurs, agités et emmerdeurs, tenez-vous tranquille car on est là, prêts à intervenir".

Cette présence armée est assez perturbante quand on arrive aux Philippines. Pour le côté convivial, on repassera ! Puis on s'habitue jusqu'à la considérer comme normale - voire à ne plus la remarquer du tout. Cest maintenant presque l'inverse qui me ferait bizarre !

Chut !

Alors là... Je vais guetter la suite de l'histoire avec intérêt!

Comme quoi... Juste un peu de sex-suspense et les foules sont captivées...

Sérieux. Vous l'avez fait?

Latis - le 14/03/2013 à 19h12

Oui, chère Latis, je l'ai fait ! 

L'idée me trottant en tête depuis plusieurs années, il fallait bien finir par l'enfourcher !

Je travaille déjà à la suite pour la poster rapidement. Le suspens ne devrait pas durer trop longtemps !

Chut !

Vraiment, moi aussi je reste scotchée ! La prostitution masculine, je n'avais même pas imaginé qu'elle puisse s'exercer dans le même genre de club que la prostitution féminine. Comme si un homme ne pouvait être qu'un gigolo/escort boy entretenu, échappant au côté sordide de l'exposition en club. Heu, vivement la suite, ça c'est duu reportage qui décoiffe !

Sophie - le 14/03/2013 à 20h03

Merci Sophie ! Voilà qui me pousse à poursuivre mes recherches, le sujet semble passionner !

Je ne suis pas certaine qu'il existe en France ce type de clubs employant des garçons (mais il y a nombre de tapineurs de rue). Ou alors, ils sont clairement orienté gays - mais une femme doit également pouvoir y obtenir satisfaction.

D'après ce que j'ai vu, le marché des garçons n'échappe pas au sordide du marché des filles. C'est grosso modo le même système, les mêmes mécanismes, les mêmes abus parfois. Ce marché est essentiellement celui des hommes en demande d'hommes, aux Philippines ou ailleurs en Asie.

A Bangkok, une rue de Patpong (le quartier chaud) est réservé aux pross hommes - et donc aux clients gays.

J'y suis allée - avec mon demi-frère, cette fois - , je suis entrée dans un club - frérot était très hésitant, je l'ai poussé -, nous en sommes vite ressortis.

Il faudrait que je raconte cette expérience ici... Elle vaut son pesant de carambars !

Avec nombre de pross il est possible de négocier en étant femme : certains acceptent les deux sexes.

Je me demande s'ils sont réellement bi, ou plutôt hétéro mais la loi du marché est là : il y a une clientèle hommes importante, une clientèle femme quasi inexistante. Il faut bien gagner des sous !

Je m'interroge d'ailleurs sur les raisons de ce déséquilibre criant. Pas sûre que les femmes aient moins de besoins sexuels que les hommes (selon des études scientifiques, non). En revanche, elles sont socialement et culturellement beaucoup, beaucoup plus limitées dans leurs choix, actions. Et partant, sexualités.

Constation qui n'a pas fini de m'attrister : le sexe dit "fort" a davantage de liberté(s) sur cette planète.

Chut !

Ainsi donc, l'occasion s'est présentée ... . Un sujet rare qui, traité par toi, est d'autant plus attendu.  Dans le vaste domaine de la prostitution, celui de la masculine est déjà moins abordé, encore moins par l'intérieur du point de vue de la cliente. Ce pourrait-il d'ailleurs qu'une telle publication aille dépasser le cadre du blog ?   

Slevtar - le 15/03/2013 à 13h28

Merci Slev. J'aurais pu saisir l'occasion plus tôt, mais je n'avais guère la tête à cette expérience-là. :)

Voilà une demi-année qu'on parle de faire un reportage sur le sujet avec ma photographe préférée, avec un panel plus large qu'un seul club à Cebu. J'en ai très envie, mais accorder nos disponibilités n'est pas chose facile. En attendant, je furète dans mon coin, je prends des notes... Un travail souterrain au coup par coup (sans mauvais jeu de mots !).

Je dois revenir à Cebu dans les prochains mois, je retournerai dans ce club et compte en découvrir un autre. J'aimerais aussi voir comment ça se passe à Bali, une (la ?) destination d'Asie pour les femmes cherchant des hommes. D'après ce que j'ai compris, la plage est un endroit de chasse des plus prisés.

L'Indonésie sera peut-être pour cet automne. Côté plongée, il serait dommage de louper la saison des molas-molas (poisson lune en français ? Poisson soleil ?... Un drôle d'animal tout rond et plat qui ne ressemble à rien !).

Je pars normalement en Corée en juin, le sujet des love hotels m'intéresse aussi. Il y a peut-être, sûrement des recoupements à opérer avec la pross masculine.

Demain, cap sur la Cambodge...

Trop d'envies, jamais assez de temps, mais ces projets me portent !

Chut !

arggghhhhhhh

vite la suite

par pitié ............................

waid - le 16/03/2013 à 22h51

Bonjour waid,

quelle bonne surprise, je ne savais pas que vous me lisiez !

Oui, désolée, j'ai pris du retard... Arrivée hier au Cambodge, pas eu le temps de tout boucler avant le départ (comem d'habitude, hein !).

Ici aussi je cherche quelqu'un, le Cambodgien francophone âgé qui fut mon guide à Angkor il y a 11 ans. Un homme extraordinaire avec un destin extraordinaire.

Si je le retrouve, je crains d'apprendre qu'il est mort... Ce qui nous éloigne de la légèreté des escorts-boys. Aussi un retour à cete légèreté-là s'impose-t-elle séance tenante ! 

Chut !