Le blog de Chut !

Contrairement à annoncé précédemment, cet article est long,

si long que je l'ai divisé en deux parties.

J'ai l'envie, le temps et... le droit à mes contradictions !

Pas femme pour rien, paraît-il...

 

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Ombres et chapeauNuit du 11 novembre. Mon petit ordinateur eut le mauvais goût de repartir avec un cambrioleur, cambrioleur qui eut lui-même le goût détestable de visiter ma maison alors que je me trouvais à l'intérieur.

Remplacer cette machine m'obligeait à me rendre à Cebu, une île à une demi-journée de transport. Le voyage pour l'Indonésie approchant, je fixai le départ à jeudi dernier. Essayai de réserver un hôtel. Complet.

- Bizarre, m'étonnai-je auprès de Bertille. Cet établissement a tant de chambres...

- Oh, cherche pas, c'est l'effet Sinulog !

- Pas possible... C'est ce week-end ?


Sinulog... Une fête atteignant son apogée le dimanche avec la parade de rue. Maquillés et costumés, les danseurs suivent un long circuit les ramenant à leur point de départ : la basilique de Santo Nino.

Explosions de danses, de chants, de couleurs vives et de joie, Sinulog m'apparut une occasion à ne pas manquer. À condition que je déniche une chambre, tour de force dans une ville où la moindre pension était complète depuis des mois.

Après plusieurs essais infructueux, la chance me sourit dans un hôtel façon gratte-ciel. Je m'imaginai avoir décroché le pompon. C'est plutôt la timbale qui me tomba sur le crâne.

La fête commençait deux jours plus tard. Craignant d'en subir le bruit, je demandai une chambre à l'arrière du bâtiment. Si possible, s'il vous plaît. Le réceptionniste me gratifia d'un sourire gêné. La mienne se trouverait au milieu.

- Est-ce calme ?

Il m'assura que oui d'un air qui signifiait "pas trop".


D'emblée, le ton fut donné. Désignant mon sac à dos, l'employé insista :

- Pikpockets, pickpockets, be careful, Mââm !

Selon lui, ces détrousseurs à la petite semaine ne venaient bien sûr pas de Cebu. Bien sûr... Partout dans le monde, on défend son pré carré : les mauvaises gens arrivent toujours d'ailleurs. De la ville, de la campagne, du département, du pays ou du continent voisin. Comme les touristes, les voleurs n'affluaient ici que pour un week-end de réjouissances. Les proies seraient nombreuses, le butin conséquent.

Prudente, ma voisine ne dut pas l'être assez. Elle passa le vendredi soir à pleurer. Ses amis tentèrent de la consoler. En vain. Si son visaya haché de sanglots ne me permit pas de tout comprendre, je saisis néanmoins l'essentiel : on l'avait délestée de trois mille pesos - soit 50 euros, l'équivalent d'un demi-mois de salaire.

Ses lamentations résonnaient dans le couloir et sur ma pauvre tête.

J'avais quitté mon île en forme pour accoster malade à Cebu. Rien de grave, juste un gros rhume qui me perforait les sinus, me lacérait la gorge et me piquait les yeux. Vautrée sur le lit, je maudissais presque cette Philippine d'avoir le désespoir si bruyant. D'autant plus bruyant que pour couvrir un autre chaos sonore, elle devait forcer la voix.


 

Son truc en plumes 3Face à l'hôtel se tenait un restaurant-karaoké.

 La machine turbinait à plein régime depuis le milieu de l'après-midi. Musiques survoltées des années 80-90, saccagées par des chanteurs braillant à la mesure de leur ivresse : de plus en plus fort.

Minuit, une heure, trois heures du matin... Autant que mes oreilles, ma patience était à bout.

Je décrochai rageuse le téléphone. Composai le 0, tombai sur le réceptionniste de la veille et crachai sans autre forme de procès :

- When are they going to stop this noise ? I want to sleep !

- But it's Sinulog, Mââm.

Un Sinulog qui signifiait cinq heures du matin.

 

Réveillée à onze heures, j'étais aussi fraîche qu'une pomme blette.

Un café s'imposait. J'en avalai deux, le corps traversé d'ondes de chocs : une antédiluvienne sono qu'un serveur s'ingéniait à tester, passant sans crier gare du piano au fortissimo. Îlot de calme dans un océan de tumulte, le silence disjoignant deux essais semblait d'autant plus délicieux. Mais trop bref pour totalement en jouir et trop long pour se préparer à la prochaine agression.

Sur la platine tournait toujours le même morceau. Des percussions, des instruments façons biniou ou bombarde bretonne parcourus d'un choeur endiablé :

- Si, Senor ! Si, Senor !

Le rythme s'accordait à mon coeur battant la breloque. Je payai, tempes rompues, pour me traîner jusqu'à la rue principale. Longeai des boutiques, des épiceries et des restaurants qui, dotés de leurs propres enceintes, déversaient sur le trottoir des geysers de musique. Toutes différentes et distordues, à pleins volumes mal mêlés dans un galimatias sonore. Tambouille de flûtes-guitares-tambours sur un vomi de cris discordants.

Tous mes organes malmenés en tremblaient.


Je faillis rendre mon déjeuner au premier immeuble, battis en retraite pour me réfugier dans l'air frais du National Bookstore.

Le magasin résonnait du morceau déjà entendu au café :

- Si, Senor ! Si, Senor ! Si, Senor !

Une vendeuse s'occupait de moi. Potelée, entre deux âges, elle traversait les rayons avec entrain et dansait de même en agitant les bras, en remuant les fesses.

Soudain, elle s'arrêta dans un cri. Sauta trois fois sur place, secoua les doigts à s'en décrocher la main. Traversant la devanture vitrée, son regard fixait la rue. Je crus qu'elle voulait attirer l'attention d'une amie.

Du tout.

Elle saluait la statue de l'enfant Jésus.

Porté par une foule compacte, Santo Nino passa devant la vitrine. Dans son sillage, des centaines, non, des milliers de pèlerins avançant au même pas cadencé.

 

Orange is my colorJe réglai mes achats et sortis me mêler à la foule.

Les porteurs marchaient vite. À peine cinq minutes s'étaient écoulées mais, comme avalée par la poussière, la statue avait déjà disparu. Et je marchais moi aussi, mais sans rien voir, fourbue, migraineuse, aveuglée de trop de soleil cru.

Le rire me saisit entre deux éternuements. Que faisais-je donc là, à suivre une relique invisible ?

Peinant à trouver la réponse, je décidai de rentrer à l'hôtel.

Progresser avec la foule fut aussi facile que la remonter périlleux. Je me heurtai de plein fouet au flot toujours grossi des fidèles. Déjouai leur enthousiasme à me placer dans le sens du courant. Subis leurs regards interloqués. Santo Nino étant devant, personne ne comprenait que je lui tourne le dos.

Je me glissai sous une barricade, gagnai enfin le trottoir. Les magasins ouverts débordaient de clients. Sur les fauteuils d'un bar à ongles-spa-massage, une marée de Philippines se refaisait une beauté. Parmi elles, sûrement des danseuses décidées à éclipser leurs rivales du dimanche. Quelques-unes m'adressèrent par la vitre un joyeux bonjour. Je répondis d'une main molle.


La moiteur de la chambre ne m'apporta pas le repos espéré. J'entrebâillai la fenêtre donnant sur l'intérieur du bâtiment, un mur de béton triste. Ouvris les rideaux. Mis la climatisation en marche. Vrombissement d'hélicoptère au décollage. M'installai suante au bureau.

À peine avais-je écrit trois lignes qu'une silhouette se découpa sur le miroir d'en face. Un Philippin en short casquette agitait le bras à mon intention. Je feignis de ne pas le voir. Il s'entêta.

- Hello, hello ! glapissait-il.

Impossible de l'ignorer davantage.

- Hello... articulai-je d'une voix rêche.

Ses yeux fouillaient avidement le rectangle carrelé de ma chambre. Il semblait chercher quelque chose qu'il ne trouvait pas. À l'intérieur, il n'y avait que mon sac, mes affaires éparpillées et moi qui, en long tee-shirt, me sentais presque nue.

- Are you alone ? s'enquit-il avec gourmandise.

"Voilà, nous y sommes...", pensai-je.

La colère me monta au cerveau plus droit qu'une ivresse. Je jaillis de mon siège. Bousculé, celui-ci tomba à la renverse. L'homme eut un sursaut de recul et deux secondes pour scruter mes jambes.

Le rideau claqua sur son nez.

 

 

 

La suite ici.

 

Photos persos ; davantage de photos des Philippines

dans les albums Blanc, ciel, sable / Sandugo / Poblacion Fiesta.

 (Rubrique Albums sur la colonne de gauche).

Mar 17 jan 2012 Aucun commentaire