Le blog de Chut !

Giger barilletMingus et moi avons traîné le matelas de la chambre au salon. Fini la bouteille de vin. Fumé un paquet de cigarettes. Fait l'amour avec un peu de maladresse, comme deux collégiens trop émus.

C'est l'heure des confidences.

- Pourquoi es-tu venue ?

La question me surprend. Qu'est-il d'autre à dire, hormis :

- Parce que j'en ai envie.

Ma réponse ne le satisfait pas. L'envie, ce n'est pas rationnel. Mingus veut des causes, des raisons, des explications argumentées.

Visiter Amsterdam, allier l'utile à agréable en restant chez lui, cela a du sens. L'envie pure, le coup de tête, beaucoup moins.


Mingus sait mon désir de construction avec un homme. Il sait aussi qu'il ne correspond pas à cet homme-là. Et c'est cette distorsion, cet apparent paradoxe qu'il interroge :

- Pourquoi es-tu venue ?

- Parce que j'avais envie de te voir.

- Mais pourquoi ?

Est-ce donc si difficile d'admettre qu'il me plaît ? Que je souhaite prolonger notre traversée de l'Asie à l'Europe, puis notre longue escale au Caire où, épuisés, nous avons partagé un café, ri et déambulé enlacés dans les couloirs, stoppant soudain pour un baiser ?

Est-on toujours obligés d'être cohérents ? De choisir ses amants, ses partenaires à la façon d'un casting pour un rôle à jouer ?

Je revendique mon droit aux petites routes et aux chemins de traverse, à l'erreur comme à la perte de temps. C'est souvent des sentiers tortueux que jaillissent les plus beaux paysages. Et le temps en apparence perdu peut aussi s'avérer du temps gagné.   


Une autre cigarette. Les questions pleuvent sur ma tête comme le crachin hollandais. Mingus s'emploie à faire sortir de moi une vérité, des confidences que je répugne à lui livrer. Non pour mentir ni me cacher, simplement parce que le moment n'est pas encore venu.

- Je veux te connaître, comprends-tu ?

J'argue que son désir me flatte sans devoir préjuger du mien. Me laisser connaître, oui, mais à une allure qui est la mienne. Non, je ne mettrai pas ce soir mes tripes sur la table. Ne lui parlerai pas davantage des hommes qui ont marqué ma vie, de mes contradictions ni de mes peurs.

Je viens d'arriver. J'ai envie de rires, de douce ivresse et de légèreté, pas de ce dévoilement forcé qui me rend presque hostile, tendue derrière le rempart des couvertures, battant en retraite vers le bord du lit. Mes mains s'agitent, mes inflexions se font plus dures. Je les connais bien, cette crispation dans mon échine, cette tension dans les mâchoires annonciatrices de ma colère.

- Mingus, arrête, s'il te plaît.

Impression désagréable de passer un test ou pire, un entretien d'embauche. Comme si chaque question avait une bonne réponse que j'étais sommée de produire, là, dans la seconde, sous peine d'être éliminée.

- Je ne suis pas ton cobaye.

Cobaye... Le mot le fait sursauter. Mais si Mingus continue, il ne sera plus mon amant mais mon adversaire.

 

Confrontation 2Les phrases se bousculent, mais en français. Mon anglais devient hésitant, heurté. Trop lasse, je ne pense plus assez vite et m'énerve de ma lenteur.

Mingus secoue la tête. Il ne me comprend pas. Et moi, je ne comprends pas qu'il ne comprenne pas que son désir m'agresse. Qu'une relation n'est pas une course de vitesse, quand bien même existe cette urgence à s'approcher de l'autre, à pénétrer son monde, son corps, son cerveau. Je lui parle du Petit Prince et du renard, d'apprivoiser pour être invité à s'asseoir chaque jour un peu plus près.

- Mais de jours, nous en avons cinq... juste cinq.

J'objecte que penser connaître quelqu'un en si peu de temps est irréaliste ou fichtrement prétentieux. Puis, pour adoucir mes mots, le plaisante dans un sourire :

- You... arrogant herring.

Cinq jours, d'ailleurs, il se trompe. Nous en aurons davantage sous un autre ciel. Bleu Thaïlande, aussi pâle que son pull.

 

Notre confrontation se défait dans la chaleur de ses bras. Mingus s'excuse. Il n'a pas voulu me blesser.

- Je veux seulement te connaître, sweety... Comprends-tu ?


 

  Dessin : Giger. Photo : Helmut Newton.

Sam 26 fév 2011 2 commentaires

L'intérêt avide de l'un est perçu comme de l'indiscrétion par l'autre, et pire: la méfiance n'est pas loin. Ici, le temps fait tout à l'affaire.

Ordalie - le 28/02/2011 à 06h05

Oui, Ordalie, c'est exactement ça ! De la curiosité amoureuse au passage à la question, la limite peut être ténue. Je préfère encore passer... à la casserole. :)

Chut !

Savoir qu'on est l'homme du paradoxe, le présent sans l'avenir, voilà bien la difficulté d'aimer sans partage.

N'être pas amoureux(se), on le sait d'emblée ; c'est juste que parfois, l'autre a besoin d'en être sûr.

Ca peut être agaçant, j'en conviens.

Slevtar - le 01/03/2011 à 15h04

En te (re)lisant, je me rends compte que, toute à la transcription du moment, je n'ai pas décrit l'ensemble du paysage. Si cette relation se poursuit, elle sera d'un autre ordre que les précédentes, avec "ouverture" pour maître-mot, sans exclusivité dans le contrat de couple. Rien de tacite là-dedans, les choses ont été dites, et clairement. De fait, on s'approche davantage du polyamour dont parle si bien Françoise Simpère. Pourrais-je le vivre, m'y épanouirais-je ? Je l'ignore encore, ma vision est pour le moment surtout théorique. J'avais abordé le sujet dans un article plus ancien, Amours (non) singulières. Maintenant, il est temps de passer aux travaux appliqués !

Mingus ne correspond pas, en théorie, à l'homme que je cherche(rais). Il le dit lui-même. Un exemple très concret : il ne veut pas d'enfant. Fort probable, à l'heure qu'il est, que je ne puisse plus en avoir du tout. La fenêtre des six mois annoncés par les médecins est passée depuis belle lurette. Aussi est-ce sûrement une fausse question, un faux problème, mais tout faux qu'ils soient, ils m'interrogent. Faut dire que je suis assez douée en terme d'interrogations (hélas ?). :)

Pour revenir un peu plus haut : dans "contrat de couple", il y a couple. Nous n'en sommes pas là... ni aujourd'hui ni, peut-être, demain (attends, je vérifie... demain, il semble que j'ai piscine !).

Chut !