Le blog de Chut !
Il y a quelques semaines, j'ai rêvé d'Andrea mort. Il fallait que je sache, alors je lui écrivis un petit mot. Je lui demandai si tout allait bien. Précisé qu’il n’était pas obligé de me répondre. Il avait droit au silence comme à l’oubli.
J’ignorais d’ailleurs s’il utilisait encore cette adresse. Je la devinais réservée à notre relation secrète. Probablement l’avait-il détruite à mon départ. Plus que jamais j’étais la femme absente, dématérialisée dans une nuée de pixels.
Les jours passèrent. Je continuais à relever mes mails en guettant un signe de lui. Les morts n’écrivent pas. Les vivants, si.
Aujourd’hui, après une éprouvante séance de dentiste et un passage à l’hôpital, j’avais besoin de me détendre. Je me dirigeai vers une boutique Internet. J’aurais pu attendre mon retour au bungalow pour me connecter, mais j’espérais des nouvelles d’amis. Nouvelles qui ne venaient pas, même si ma boîte contenait un nouveau message.
C’était Andrea.
J’eus un petit coup au cœur. Ouvris son mail gorge serrée en me demandant bien ce qu’il pouvait contenir. Je le lus, d’abord très vite, puis le repris depuis le début, lentement.
A mesure des lignes, mes yeux s’embuaient. Une fois rendue à la fin, j’essuyai mes larmes.
Il n’avait pas supprimé cette adresse car il espérait, un jour, un signe de moi.
Il n’avait rien oublié. Loin d’affadir ses souvenirs, le temps les avait ravivés. Peut-être, en dépit ou à cause des photos, étais-je devenue la femme rêvée, l’amante désormais inaccessible qui, peu à peu, avait remplacé la femme vivante. Pieds, mains, bouche, sexe, taille, reins, poitrine, cheveux passés sous le vernis de l’absence.
Halluciné, Andrea me voyait dans la rue. Courait pour me rejoindre. M’appelait. Toujours la femme se retournait, mais jamais elle n’était moi. Sorti de son délire dans un cahot, il baissait la tête.
Il avait peur pour moi. Peur qu’il ne m’arrive une maladie, un accident. Peur, sûrement, que la mort ne me prenne pour rayer mon nom de cette planète. Alors, pour conjurer, il m’imaginait. Debout, vibrionnante, heureuse dans un pays dont il ignorait le nom. Ou à côté de chez lui, mu par l’espoir toujours déçu de me rencontrer par hasard.
Sans moi Andrea avait du mal à vivre. J’étais le passé trop présent dont il ne pouvait se défaire, l'ouragan qui, comme il me l'écrivit, avait dévasté à son plus grand bonheur sa vie. Mais sûrement haïssait-il parfois mon fantôme, cette ombre qui planait sur lui en l’empêchant d’être heureux.
C’est à sa place ce que j’aurais fait. Et que j’ai fait au fil de mes insomnies, finissant par détester des hommes jadis tant aimés. Virevolte en impuissance à me délester d’eux qui me poursuivaient.
Rêves, veille, lieux, objets, musique… Tout me ramenait à leur perte, et tout était insupportable.
Je sais cette sensation de chair à vif qui n’en finit plus de s’écorcher. Ces encoches que le temps creuse tels des traits de condamnés aux murs de leur cellule.
Leur compte à rebours avant la libération est le décompte d’amour de notre prison.
"Il y a un jour, une semaine, un mois, un an, nous étions là, ensemble."
Peu importe l’endroit, seule importe la trace. Paupières closes, les souvenirs ressurgissent, intacts. Et la peine déferle, rompant les digues de nos défenses, emportant notre raison dans son flot, charriant le tout-à-l’égout d’images indélébiles, visions juxtaposées de bonheur et de souffrance.
Bonheur.
Mon lit a beau être grand, le corps immense d'Andrea le rend tout petit. Au-dessus de nos têtes paradent les phénix et les éléphants de ma tapisserie indienne. Des uns naissent les autres en attelages contre nature, kyrielles de générations en rut éclairées par ma guirlande à loupiotes.
Lorsque je l’allume, c’est Noël en profusion de couleurs rehaussant le lampion rouge bordel.
Il y a suffisamment de lumière pour nous distinguer, pas assez pour nous écraser. La demi-obscurité est notre complice, notre laisser-passer vers des contrées inconnues. Dans le miroir je revois son corps splendide arqué de plaisir, ses tresses auxquels il s’agrippe tel un radeau dans la tempête.
Allongée entre ses fesses, je lui donne un plaisir que nulle autre ne lui a prodigué. Partagé entre impudeur et jouissance, Andrea chancelle, se raidit puis s’abandonne alors que je glisse un doigt en lui.
"Arrête ou je vais m’évanouir…" suffoque-t-il en se rétablissant, saisissant mon visage pour boire son suc à la source.
Plus tard il me glissera qu’il veut prendre mon cul. Ecartelée entre peur et jouissance, je le lui offre. Et il me le prend, lentement, attentif à ne pas me faire souffrir. Lorsqu’enfin il est tout en moi, je suis submergée.
Rarement nous avons été si près l’un de l’autre.
Un simple tressaillement de son sexe et je sursaute, gémis comme si sa chair était la mienne. Lui s’en amuse, joue avec moi comme un musicien enfoncerait les touches de son piano de la plus grave à la plus aiguë.
Au cours de cette nuit volée je fus son instrument. Pianissimo et staccato je jouis, franchissant toutes les portes du plaisir, poussant la dernière dans un hurlement. Bête comblée, repue de spasmes incontrôlables, blessée aussi car il s’était approché près, trop près du cœur affolé qui palpitait sous ma poitrine.
Souffrance.
Roulée en boule dans mon lit trop grand, je guette ses messages. Andrea a promis de me voir aujourd’hui et j’attends qu’il passe ma porte, me serre dans ses bras, me berce, me rassure. Bientôt je vais partir pour un long voyage et j’ai la peur aux tripes.
Peur de le laisser derrière moi. Peur qu’il ne m’oublie. Peur de la vérité aussi.
"Votre histoire ne mène nulle part, c’est une impasse…", me souffle mon intuition.
Elle qui m’a si rarement trompée, je voudrais pour une fois qu’elle se taise. Qu’elle me laisse espérer de beaux lendemains et cesse de me déchirer.
Indépendante, oui, mais aussi attachée à lui. Et plus que jamais j’ai besoin de sa chaleur, de son regard, de ses mots. Qu’il me balbutie encore qu’il m’aime en dehors de la jouissance, de ces moments d’égarement où, j’en suis persuadée, il n’aime que moi.
Un regard au miroir. Il ne reflète plus Andrea, comme effacé d’un coup de gomme vengeur, mais moi seule, une fille défaite et perdue, épuisée par trop de veilles.
Je brosse mes cheveux, retouche mon maquillage. Sous le fard j’ai l’air d’un clown triste qui se dessine un faux sourire.
14 février, saint-Valentin. Il ne passera pas cette fête avec moi mais avec elle.
Mais qu’espérais-je donc, putain d’idiote ?
Lorsqu’Andrea m’appelle, je hurle. Non ma jouissance mais ma douleur, l’accablant, franchissant à rebours toutes les portes jusqu’à la première, celle de la presque indifférence.
Ce jour-là en moi quelque chose s'est cassé. Le ressort de l’espoir, de la confiance malmenée ou de la volonté, je l’ignore encore. Mais lorsque je m’abattis entre les draps, je savais que c’était fini.
Andrea eut beau m’accompagner à l’aéroport, pleurer tandis que je m’arrachais à son étreinte, agiter désespérément la main alors que je disparaissais sur le tapis roulant, c’était fini.
Les meilleures décisions n’empêchent pas la tristesse. C’est, plus d'une fois répétée, l’amère leçon d’aujourd’hui.
Beaucoup écoutée en écrivant ce billet...
Tableaux de Sandorfi.
Merci Odile de toutes ces pensées.... Je suis devenu très sage depuis mes "exploits" de septembre, n'aie aucune crainte pour cela.
Je t'embrasse très fort.
"Les meilleures décisions n’empêchent pas la tristesse. C’est, plus d'une fois répétée, l’amère leçon d’aujourd’hui."
C'est vrai...
Pour la peur... je suis sans doute une monstresse sans coeur, mais je n'ai pas peur pour toi. Cela fait un moment que je ne suis plus passée (pardon...), mais je ne suis pas inquiète, parce que, pour moi, tu es partie en tournant le dos à des cauchemars... même si tu traînes toujours des chagrins dans tes sacs.
Cruchotte,
ne t'excuse pas de ne pas être venue pendant un long moment ! Je sais que ta vie est compliquée et épuisante, et il n'y a de toute façon aucune obligation de visites régulières. Moi-même je commence m'éloigner de ce blog par manque de temps, rédaction de roman oblige (et oui, cette fois, je me suis sérieusement lancée... enfin !)
Tu n'es pas une monstresse sans coeur, bien au contraire... Ce commentaire le prouverait si besoin en était !
Ma belle,
Voilà pourquoi j'aime autant venir te lire, c'est pour cette vérité, cette force, cette faiblesse entre chaque mot, chaque syllabe... Douceur incommensurable. Je te comprends tellement, lorsque
cela prend aux tripes, lorsque notre impulsivité nous fait poursuivre notre chemin coute que coute, alors qu'au fond notre coeur de midinette voudrait se laisser envoler...
Tu sais ce qui me touche le plus, c'est ce dernier orgasme, cet orgasme "si près du coeur"... Une des raisons pour lesquelles je laisse rarement la main... Contrôle permanent pour ne pas
succomber, pour ne pas souffrir plus que d'accoutumée.
Prends soin de toi, vraiment... Je t'embrasse tendrement, et je te remercie pour tout, pitt bull adorée!!! sourires
à très vite j'espère
bisous!!!!!!!
Beav'
Mais de rien !! J'ai de bonnes quenottes maintenant (enfin... j'espère !), même si elles ne valent pas encore celles du pitt bull. :)
Il me semble qu'avec le temps, l'expérience (les expériences), on se méfie de notre impulsivité. Elle est grisante, comme un coup de fouet d'énergie qui nous ferait soulever de montagnes, mais pas toujours bonne conseillère.
Un petit truc que je pratique : laisser passer un jour ou plusieurs avant de prendre une grande décision. Pas toujours évident de m'astreindre à cette patience, mais je crois que ça m'a évité de faire "des bêtises".
Prends soin de toi aussi !
Bizzzzzzzzzzzzzzz
"Il avait peur pour moi..." Mais sais-tu que nous avons tous peur pour toi? Et en permanence...?
On t'aime, take care of yourself, comme te l'ont dit tant de personnes!